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1422. La dernière faute énumérée par la loi est l'inobservation des règlements.

La sage-femme qui, dans un accouchement laborieux, néglige d'appeler le secours d'un médecin, rentre dans les termes de cette disposition, en cas de mort de la mère ou de l'enfant. En effet, l'art. 33 de la loi du 19 ventôse an xi porte textuellement que «<les sages-femmes ne pourront employer les instruments hors le cas d'accouchements laborieux, sans appeler un docteur, un médecin ou un chirurgien anciennement reçu. >> Le seul fait de cette omission ne constitue qu'une simple contravention aux règlements de sa profession, s'il n'en est résulté aucun accident grave. Mais, si cette omission a eu pour résultat un homicide, l'application de la loi pénale est évidente : il y a eu inobservation des règlements, et homicide par cette cause. Cette décision se trouve confirmée par un arrêt de la Cour de cassation. (Voy. suprà, n° 1417.) Cette solution serait également applicable à l'officier de santé qui a procédé à une opération difficile, sans être assisté d'un docteur, dans les lieux où il en résidait un, lorsque des accidents graves sont résultés de cette opération. (Voy. n° 1417.)

C'est par l'application de la même règle que la Cour supérieure de Bruxelles a décidé que celui qui vend des comestibles gâtés, corrompus ou nuisibles, en contravention aux règlements de police, peut être condamné pour homicide involontaire, si ces comestibles ont causé la mort de ceux qui les ont mangés *. Il en serait de même, ainsi que nous l'avons dit dans le chapitre précédent, des boissons falsifiées, dont la vente aurait occasionné la mort de celui qui en aurait fait usage.

1423. On trouve une autre application de cette disposition dans le décret du 3 janvier 1813, contenant des dispositions de police relatives à l'exploitation des mines. L'art. 22 de ce décret est ainsi conçu : «En cas d'accidents qui auraient occasionné la perte ou la mutilation d'un ou de plusieurs ouvriers, faute de s'être conformés à ce qui est prescrit par le présent règlement, les exploitants, propriétaires et directeurs, pourront être traduits devant les tribunaux, pour l'application, s'il y a

↑ Arr. Bruxelles, 4 nov. 1822, Dall. t. 12, p. 972.

lieu, des dispositions des art. 319 et 320 du Code pénal. » Il y a lieu de remarquer que cette disposition ne déroge point à l'art. 319, dont elle laisse subsister les règles générales. Ainsi, dans une espèce où les prévenus avaient été renvoyés sur le chef d'inobservation des règlements et condamnés pour imprudence, le pourvoi, fondé sur cette prétendue anomalie, a été rejeté : « attendu qu'il ne résulte pas de cette constatation en point de fait que l'art. 319 soit inapplicable; qu'il faudrait, en effet, pour qu'il en fût ainsi, que l'art. 22 du décret du 3 janvier 1813, qui prévoit les conséquences pénales de tout accident survenu aux ouvriers faute de s'être conformés aux prescriptions réglementaires, eût réduit ces conséquences à cette inobservation, en abrogeant les autres dispositions de l'art. 319; que, bien loin qu'il y ait eu abrogation dudit article, il ressort, tout au contraire, du texte même de cet art. 22 qu'il le maintient et s'y réfère pour laisser subsister tout ensemble les conditions de prudence spéciale et les conditions d'adresse, de prudence, d'attention, de vigilance qui sont de règle générale et de droit commun1. » La même solution a été appliquée dans une autre espèce où l'exploitant était prévenu, non de n'avoir pas observé les règlements, mais de n'avoir pas pris les mesures de précaution qu'indiquait la prudence 2.

1424. L'art. 19 de la loi du 15 juillet 1845, qui n'a fait qu'appliquer aux homicides et blessures involontaires survenus sur les voies ferrées les règles communes, est ainsi conçu : « Quiconque, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou inobservation des lois ou règlements, aura involontairement causé sur un chemin de fer, ou dans les gares ou stations, un accident qui aura occasionné des blessures, sera puni de huit jours à six mois d'emprisonnement, et d'une amende de 50 à 1,000 fr. Si l'accident a occasionné la mort d'une ou plusieurs personnes, l'emprisonnement sera de six mois à cinq ans, et l'amende de 300 à 3,000 fr.» Les pénalités ont été, bien que l'art. 463 leur soit applicable, augmentées à raison des conséquences plus graves que les accidents sur les chemins

1 Cass., 20 avril 1855, Bull. n. 133. 2 Cass., 31 mars 1865, Bull. n. 79.

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de fer peuvent entraîner et du redoublement de vigilance qui doit dès lors peser comme un devoir impérieux sur les employés.

Il se présente quelquefois quelque incertitude sur les obligations auxquelles ils sont tenus. Dans une espèce où le prévenu, ingénieur d'un chemin de fer, soutenait avoir rempli toutes ses obligations réglementaires, le pourvoi a été rejeté : « attendu que l'arrêt attaqué constate en fait qu'il résulte des traités intervenus entre la compagnie du chemin de fer de St-Germain et la compagnie du chemin de fer de l'Ouest, que le demandeur, aux termes des traités, était tenu d'établir entre la voie et l'ancien matériel une relation telle, que la sécurité des voyageurs n'eût pas à en souffrir; que le même arrêt constate en outre que ce matériel était connu du demandeur, qui n'avait pas méconnu d'ailleurs l'obligation ci-dessus rappelée; enfin que ce même arrêt constate que le déraillement sur la voie construite par le demandeur, et qui a occasionné la mort d'un voyageur, a eu précisément pour cause directe le défaut de rapport entre cette voie et l'ancien matériel; que de tout ce qui précède il suit qu'en mettant à la charge du demandeur la responsabilité légale d'un événement résultant de faits d'inattention et de négligence ainsi relevés contre lui, l'arrêt attaqué a fait une saine application des principes de la matière 1. »

1425. Les divers exemples que nous venons de parcourir des différentes fautes prévues par l'art. 319 seront sans doute suffisants pour faire saisir l'esprit de cet article. Il nous reste toutefois à examiner une question plutôt délicate que grave, celle de savoir si le délit d'homicide involontaire admet des complices. Il semble, à la première vue, qu'il faut répondre négativement comment se rendre complice, par les moyens indiqués par la loi, d'une inattention, d'une négligence ? La complicité ne suppose-t-elle pas une sorte de connivence qui entraîne la volonté ? Si un homicide involontaire peut avoir plusieurs coauteurs, ne semble-t-il pas contradictoire qu'il soit occasionné par un auteur et des complices? Toutefois, en examinant de plus près la matière, on aperçoit que cette proposi

1 Cass., 1er fév. 1855, Bull. n. 29.

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tion n'est point inadmissible. Rien ne s'oppose, en effet, à ce qu'une imprudence ait des complices. Un cocher, par exemple, pousse ses chevaux au galop au milieu d'une foule, et il les pousse sur l'ordre et d'après les instructions de son maître dont il guide la voiture; l'homicide causé par cette imprudence aura évidemment pour auteur le cocher, et pour complice le maître de la voiture. Dans une autre espèce, un enfant tire un coup de fusil, dans un lieu public, avec l'aide de son père, et il tuc ou blesse une personne. Ici encore il est facile de reconnaître l'auteur et le complice d'un homicide involontaire. Les règles de la complicité ne reçoivent donc point d'exception dans le cas des art. 319 et 320; car, d'une part, ces règles sont générales, et, d'un autre côté, leur application n'éprouve point un obstacle réel. Ainsi la Cour de cassation a pu déclarer, dans un arrêt de rejet très-brièvement motivé, «que rien n'implique contradiction à déclarer un accusé complice par promesses, menaces, instructions, aide ou assistance, de l'imprudence ou de la négligence qui ont occasionné un homicide involontaire 1. »

1426. Toutes les observations qui précèdent s'appliquent, ainsi que nous l'avons plusieurs fois remarqué, à l'art. 320, aussi bien qu'à l'art. 319; il est cependant nécessaire d'insister sur ce point, quelque évident qu'il soit. L'art. 320 est ainsi conçu: «S'il n'est résulté du défaut d'adresse ou de précaution que des blessures ou coups, l'emprisonnement sera de six jours à deux mois, et l'amende sera de seize francs à cent francs. >>

Cet article ne fait mention que du défaut d'adresse ou de précaution. De là plusieurs tribunaux avaient conclu que les blessures occasionnées soit par imprudence, soit par inobservation des règlements, ne pouvaient entrer dans ses termes. La Cour de cassation a décidé, au contraire, que les blessures ou coups involontaires provenant de la négligence ou de l'inobservation des règlements sont l'objet de l'art. 320, comme celle provenant du défaut d'adresse ou de précaution; que l'art. 320 a été rédigé dans le même sens que l'art. 319, et que l'un de ces articles ne diffère de l'autre que quant au genre

4 Cass., 8 sept. 1831, Journ. du dr. crim., 1831, p. 320.

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de peines qu'ils prononcent, suivant le résultat de la faute commise1. Cette interprétation doit évidemment être adoptée : il n'existe aucun motif qui puisse faire supposer que le législateur ait voulu restreindre dans l'art. 320 les fautes qui, dans l'art. 319, engagent la responsabilité de l'agent; le délit est le même, la différence n'est que dans son résultat matériel; les deux articles ne doivent différer que quant au taux de la peine. Si l'art. 320 n'a pas reproduit l'énumération de l'article qui le précède, c'est qu'il se référait à cet article, c'est qu'il a prétendu résumer cette énumération par cette expression : du défaut d'adresse ou de précaution.

De là il suit que toutes les règles et les hypothèses que nous avons parcourues dans ce chapitre s'appliquent au cas où la faute, quelle qu'elle soit, a causé des blessures, aussi bien qu'à celui où elle a eu pour résultat un homicide. Il nous suffit donc de nous référer, à cet égard, à nos précédentes observations.

A ces observations nous n'en ajouterons qu'une seule. L'article 320, en mentionnant les blessures qui sont le résultat de la faute commise, se réfère nécessairement à toutes les lésions corporelles prévues par le chapitre précédent. On doit donc apercevoir dans ce mot non-seulement les lésions extérieures prévues par l'art. 309, mais les maladies causées par l'emploi de substances nuisibles prévu par le deuxième paragraphe de l'art. 317. C'est la conséquence nécessaire de l'addition de ce paragraphe. Toutes les lésions volontairement causées doivent trouver une peine dans les art. 319 et 320, lorsqu'à la volonté se substitue une simple faute incriminée par ces articles: le délit n'est pas dans le mode suivant lequel la lésion est faite, mais dans le fait d'une lésion occasionnée par une faute prévue par la loi. Du reste, l'art. 320 n'a fait aucune distinction, à raison du plus ou moins de gravité des blessures qu'il punit; la peine est la même, quelle que soit la légèreté ou l'importance de la lésion; elle ne change que lorsque l'accident a été suivi de mort.

1 Cass., 30 mars 1812 et 20 juin 1813 (cités par Carnot, t. 2, p. 69 et 70).

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