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une rue voisine, être encore flagrants, et dans un instant assez rapproché pour exclure la possibilité de la réflexion entre les faits de provocation et ceux commis dans la rue, qui faisaient l'objet de l'accusation'. >>

1440. Mais si les effets de la provocation ne sont pas détruits par cela seul que quelque distance l'a séparée du crime, il ne faut pas non plus, ainsi que nous l'avons proposé, que cette distance soit trop considérable; ainsi on devrait encore invoquer un arrêt de la Cour de cassation rendu sous l'empire du Code de 1791, et portant: « que la prétendue provocation à la tentative de meurtre, déclarée constante dans l'espèce, résultait de coups de bâton donnés au prévenu antérieurement à cette tentative; que le jugement, en expliquant le sens qu'il a attaché à ce mot antérieurement, détermine qu'il s'est écoulé entre le coup de couteau et les coups de bâton antérieurs un délai que quelques témoins ont indiqué comme étant d'environ quinze jours, et les autres comme ayant été plus long, tel que de trois ou quatre semaines; que le fait ainsi déclaré ne renferme pas les caractères admis et reconnus par l'art. 9 du titre 2, 2o part., 1re sect., du Code de proc. de 17912, comme excuse du crime, puisque cet article exprime le seul cas où le meurtre sera la suite d'une provocation violente, ce qui exige une continuité immédiate de faits qui n'existe pas dans l'espèce; que la latitude donnée par le jugement à l'excuse admise tendrait à favoriser les attentats les plus funestes, les haines invétérées et les actes de vengeance criminelle, qu'il importe au contraire de réprimer3. » Cette décision confirme les principes que nous avons établis, et devrait, sans aucun doute, être encore suivie. Il est vrai que les termes du Code de 1791 étaient plus explicites que ceux de l'art. 321; ils exigeaient que l'homicide fût la suite d'une provocation violente; mais si cette condition n'est plus dans le texte de la loi, elle n'a pas cessé d'être dans la nature de l'excuse; il est évident que lorsque quelques jours et

1 Cass., 10 mars 1826, Bull. n. 46.

Cet article était ainsi conçu; Lorsque le meurtre sera la suite d'une provocation violente, sans toutefois que le fait puisse être qualifié homicide légitime, il pourra être déclaré excusable. »

3 Cass., 27 messidor an x; Devill. et Car., 1, p. 669; t. 2, p. 657.

quelques heures même se sont écoulés depuis la provocation, le crime n'est plus, ainsi que le porte l'arrêt, un acte de colère, mais bien un acte de vengeance et de haine; la provocation ne se reflète plus sur lui que de loin et trop faiblement pour en modifier le caractère; la loi doit lui chercher une autre

cause.

1441. Le Code a posé deux exceptions à la règle qui admet la provocation comme excuse du meurtre et des blessures : 1o en cas de parricide : 2o de meurtre commis entre époux.

Nous avons déjà vu, en examinant les caractères du parricide, qu'aux termes de l'art. 323, ce crime n'est jamais excusable. (Voy. n° 1067.) Mais nous avons fait remarquer cependant que cette disposition, quelque absolue qu'elle soit, se trouve tempérée par l'admission du système des circonstances atténuantes, qui s'étend à tous les accusés sans distinction, et par conséquent aux accusés du crime de parricide.

1442. L'art. 323 doit-il être restreint au seul cas de parricide? La provocation rend-elle excusables les coups portés par un fils à son père? La Cour supérieure de Bruxelles a déclaré, par deux arrêts, que dans la législation actuelle, les coups portés aux parents ne sont pas plus excusables que l'homicide commis sur leur personne1. Mais la Cour de cassation n'a point adopté cette doctrine; elle a décidé « que l'art. 321 est conçu en termes généraux et absolus; que l'art. 323 ne fait exception à cette généralité que pour le seul parricide; qu'il laisse nécessairement subsister l'art. 321 pour le cas où il ne s'agit que de blessures ou de coups, sans distinguer si les blessures ou les coups sont ou non du fait d'un enfant envers les auteurs de ses jours*. » Cette dernière décision nous paraît entièrement conforme au texte du Code.

Il faudrait, par le même motif, décider que l'homicide volontaire commis sans intention de donner la mort, par un enfant sur ses parents, profiterait du bénéfice de l'excuse. En

1 Arr. Brux., 16 mars 1815, Journ. du Palais, t. 12, p. 639; 28 sept. 1852, Dall., t. 7, p. 646.

2 Cass., 10 janv. 1812, Devill. et Car., 4, p. 6; Journ. du Palais, t. 10,

effet, l'art. 323 ne déclare déchu de ce bénéfice que le seul parricide; or, l'art. 299 ne qualifie parricide que le meurtre des père ou mère et ascendants de l'accusé. Donc l'homicide commis volontairement, mais sans intention de tuer, crime prévu par le 2 § de l'art. 309, et qui, ainsi que nous l'avons démontré précédemment (no 1199), ne constitue point le crime de meurtre, serait passible de l'application de l'excuse, lors même qu'il aurait été commis sur les père et mère et les ascendants de l'accusé. Cette distinction, qui n'existait pas dans le Code de 1810, est une conséquence implicite du deuxième paragraphe ajouté par la loi de 1832 à l'art. 309.

1443. Une question qui n'est pas sans difficulté est de savoir si l'art. 323 fait obstacle à ce que la peine soit réduite conformément aux dispositions de l'art. 67, lorsque le parricide a été commis avec discernement par un mineur de seize ans. La raison de douter est que l'art. 323 porte en termes formels que le parricide n'est jamais excusable, et que l'âge n'est qu'une excuse, lorsqu'il est reconnu que le mineur a agi avec discernement. Il nous semble cependant difficile d'admettre que cette excuse puisse être rejetée. D'abord on peut penser que l'art. 323, quelle que soit la généralité de ses termes, n'a eu d'autre but que de poser une exception aux articles qui le précèdent. Ces articles, en effet, ne font que tracer des cas de provocation; placé immédiatement après, l'art. 323, en déclarant que le parricide n'est point excusable, a seulement voulu déclarer que les excuses admises par les art. 321 et 322 ne lui sont point applicables. Ensuite l'excuse qui résulte de la minorité de l'accusé ne peut, par sa nature même, recevoir aucune exception; nous l'avons déjà dit : c'est une loi générale qui domine toutes les lois, une règle commune qui plane sur toutes les législations, car elle prend son origine dans un fait commun à toutes les actions de l'homme, son ignorance présumée de la criminalité de ses actes jusqu'à l'âge de seize ans accomplis1. Comment créer une exception à cette loi commune, à l'égard du parricide? La faiblesse qui fait vaciller l'intelligence du mineur, les voiles qui obscurcissent encore sa conscience et l'em

1 V. notre t. 1, n. 241, p. 507.

DE L'EXCUSE DE LA PROVOCATION. pêchent de peser les suites et toute la valeur morale d'une action, ne sont-ils pas nécessairement les mêmes, ne produisentils pas les mêmes effets sur tous les actes qu'il commet? La règle pupillus mitiùs punitur domine toutes les incriminations, parce que sa raison est générale et les modifie toutes également.

1444. La deuxième exception à l'admission de l'excuse de la provocation est relative au meurtre commis entre époux nous examinerons cette exception, qui fait l'objet de l'art. 324, dans la quatrième section de ce chapitre.

1445. Toutes les fois que l'excuse de la provocation est mentionnée dans le résumé de l'acte d'accusation, toutes les fois qu'elle résulte des débats, ou que l'accusé l'a proposée dans les termes de la loi, en articulant des coups ou des violences graves, la question doit être posée aux jurés. Les jurés ont seuls le droit d'apprécier le fait d'où l'accusé fait résulter la provocation; ainsi, si la question a été ainsi posée : Est-il constant que l'accusé ait été violemment provoqué par des blessures et des coups? et si le jury a répondu : Oui, des coups ont été portés, mais ils ne constituaient pas la provocation; la Cour d'assises ne pourrait, sans violer les règles de sa compétence, effacer cette dernière partie de la réponse et atténuer la peine en admettant l'excuse: telle est la décision que la Cour de cassation a formellement consacrée 2.

1446. Lorsque l'excuse est admise, l'atténuation des peines est déterminée par l'art. 326, qui est ainsi conçu : « Lorsque le fait d'excuse sera prouvé, s'il s'agit d'un crime emportant la peine de mort, ou celle des travaux forcés à perpétuité, ou celle de la déportation, la peine sera réduite à un emprisonnement d'un an à cinq ans; — s'il s'agit de tout autre crime, elle sera réduite à un emprisonnement de six mois à deux ans; — dans ces deux premiers cas, les coupables pourront de plus être mis

1 Cass., 10 mars 1826, Bull. n. 45; 4 sept. 1828, Sir., 28, p. 349; 13 mars 1835, Journ. du dr. crim., 1835, p. 138; 22 sept. 1836, Bull. n. 311; 14 déc. 1850, Bull. n. 421; 26 déc. 1856, Bull. n. 405; 30 juin 1859, Bull. n. 159.

2 Cass., 30 juill. 1831, Bull. n. 177; Devill. et Car., 1831.1.417.

TOME IV.

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par l'arrêt ou le jugement sous la surveillance de la haute police pendant cinq ans au moins et dix ans au plus. - S'il s'agit d'un délit, la peine sera réduite à un emprisonnement de six jours à six mois. »>

Cet article ne peut donner lieu à aucune difficulté sérieuse; nous ferons seulement remarquer que ces mots l'arrêt ou le jugement ont évidemment la même valeur, puisque dans les deux premiers cas prévus par l'article, et auxquels ils se réfèrent, l'excuse légale ne peut être appréciée que par la Cour d'assises les tribunaux correctionnels ne peuvent en connaître que dans le cas où les coups et blessures constituent un simple délit, indépendamment de l'effet de l'excuse. Une deuxième observation est que la réduction des peines, autorisée par cet article, est indépendante de l'atténuation qui peut être appliquée en vertu de l'art. 463. En effet, l'excuse légale et les circonstances atténuantes ont deux objets distincts: l'excuse admet dans l'appréciation morale du crime un fait particulier, puisé dans les circonstances qui ont accompagné sa perpétration, et qui modifient sa gravité intrinsèque; les circonstances atténuantes permettent de faire concourir, dans la même appréciation, des faits secondaires qui appartiennent moins au crime lui-même qu'à la personne de l'agent, et qui toutefois, tels que son âge, son caractère, ́sa position sociale son éducation, son état d'ivresse, servent à déterminer sa criminalité réelle. Or, comment la présence d'un fait d'excuse légale pourrait-elle exclure ces circonstances? Pourquoi ne seraient-elles pas admises, qu'il y ait ou non provocation, pour caractériser à la fois et dans toute sa vérité l'action poursuivie? Ce n'est pas un double bénéfice que cumule l'agent : si l'excuse légale est établie, il se trouve qu'il n'a commis en définitive, quel que soit le résultat de son action, qu'un simple délit ; et comment ce délit pourrait-il être privé d'une faculté d'atténuation qui s'étend à tous ? Cette interprétation est confirmée d'ailleurs par le texte même du Code : l'art. 463 dispose pour tous les cas où la peine d'emprisonnement est prononcée par ce Code, et l'art. 326 ne prononce que cette seule peine, soit pour l'homicide, soit pour les blessures; lorsque l'excuse est admise, il n'est donc pas douteux que la peine doive être déter

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