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CHAPITRE XLVIII.

DES COUPS ET BLESSURES VOLONTAIRES.

(Commentaire des art. 309, 310, 311, 312, 313, 314, 315 et 316 du Code pénal.)

1322. Division de cette matière.

1323. Difficultés qu'elle présente pour saisir chaque nuance de culpabilité. 1324. Système du Code pénal de 1810 dans la répression des coups et blessures. 1325. Examen et appréciation de ce système.

1326. Division des coups et blessures en quatre classes.

1327. Incrimination des voies de fait et violences légères. Application des lois des 22 juillet 1791 et 3 brum. an iv.

1328. L'art. 10 de la loi du 19-22 juillet 1791 et l'art. 605 du Code du 3 brumaire an IV ont-ils été abrogés par la loi du 13 mai 1863?

1329. Les coups et blessures qui n'ont occasionné ni maladie ni incapacité de travail rentrent dans les termes de l'art. 311.

1330. Conditions d'application de cet article.

1331. Motifs de l'atténuation pénale autorisée par l'art. 311.

1332. Coups et blessures qui ont occasionné une maladie ou incapacité de travail

pendant plus de vingt jours (art. 309).

1333. Texte et motifs de l'art. 309. Addition faite par la loi du 13 mai 1863. Motifs de cette addition.

1334. Appréciation des modifications faites à l'art. 309 par la loi du 13 mai 1863.

1335. Ce qu'il faut entendre par coups dans le sens de la loi pénale.

1336. Les coups doivent avoir été portés ou les blessures faites volontairement. Ce qu'il faut entendre par la volonté.

1337. Cette volonté peut-elle se constater par des équivalents?

1338. Elle peut exister même lorsque le coup destiné à une personne en a atteint une autre.

1339. Circonstance aggravante résultant de la maladie ou de l'incapacité de travail.

1340. Que faut-il entendre par cette incapacité de travail ? S'agit-il d'un travail habituel ou d'un travail personnel ?

1341. Le travail personnel doit s'entendre du travail corporel de la personne. 1342. Les cicatrices d'une blessure et même la mutilation d'une partie du corps ne constituent pas par elles-mêmes une incapacité.

1343. Exception à l'égard des mutilations qui ont pour effet de rendre impropre au service militaire.

1344. Autre exception à l'égard de la castration (art. 316).

1345. Caractères du crime de castration.

1346. La durée de l'incapacité de travail doit être de plus vingt jours.

1347. Coups et blessures qui ont occasionné la mort (2a paragraphe de l'article

309).

1348. Distinctions faites par notre ancienne jurisprudence dans les où les blessures avaient été suivies de mort.

1349. Cas où le coup n'est que la cause occasionnelle et non la cause effective de la mort du blessé déjà atteint d'une maladie grave.

1350. De l'autorité des hommes de l'art dans les questions relatives aux conséquences des coups.

1351. Dans quel délai le décès doit-il suivre la blessure pour qu'il en soit réputé le résultat.

1352. Circonstance aggravante résultant de la préméditation et du guet-apens. 1353. Les pères et mères et ceux qui ont autorité sur les enfants ont un droit de correction qui, dans certaines limites, apporte une exception à la loi pénale.

1354. Cette exception ne s'étend point aux voies de fait que le mari exerce sur sa femme.

1355. Elle ne s'étend point aux violences qu'un gardien exerce sur les prisonniers qu'il a sous sa garde.

1356. Des coups et blessures portés aux pères et mères naturels et adoptifs et antres ascendants légitimes (art. 312).

1357. Anomalie dans la rédaction de l'art. 312 relativement à la circonstance de la préméditation.

1358. Peine facultative de la surveillance de la police (art. 315).

1359. Coups et blessures portés par des bandes ou réunions séditieuses (article 313).

1322. Les matières contenues dans la section 2 du chapitre 1er du titre du Code sur les crimes et délits contre les particuliers, quoiqu'elles aient également pour objet les violences volontaires contre les personnes, ne sont point complétement homogènes, et une méthode exacte eût exigé qu'elles fussent divisées; aussi, tout en nous asservissant à l'ordre du Code, nous avons dû adopter ici une classification plus exacte. Au lieu de réunir dans le même chapitre les délits qu'il a réunis dans la même section, comme ces délits se divisent par leur nature distincte en trois classes différentes, nous en ferons l'objet de trois chapitres successifs.

Le premier traitera des coups ou blessures volontaires ;

Le deuxième (le chapitre XLIX), de l'avortement et de l'emploi de substances nuisibles à la santé ;

Le troisième (le chapitre L), de la fabrication, du débit et de l'usage des armes prohibées.

1323. L'incrimination des voies de fait, des violences, des coups et des blessures, portés volontairement, mais sans intention de donner la mort, présente de graves difficultés. La loi, en effet, ne possède que peu d'éléments pour distinguer ces actes d'après leur criminalité relative; car, d'un côté, la gravité des violences ou des blessures dépend de mille causes qui ne peuvent souvent être imputées à leur auteur, et l'intention de celui-ci n'est qu'imparfaitement révélée par le résultat matériel. En cette matière, les règles générales sont fausses dans la plupart des cas parce que les actions diffèrent sans cesse, et les distinctions sont presque impossibles, parce qu'il faudrait les multiplier à l'infini.

Le législateur semble avouer lui-même son impuissance : « Il est difficile, disait l'orateur du Corps législatif, d'apprécier dans cette partie la juste mesure de la gravité du crime et de la perversité de son auteur; le nombre des peines est borné, les nuances des crimes sont aussi variées que celles des caractères. Il y a dans cette matière beaucoup à dire et beaucoup à supposer; il ne faudrait rien laisser à supposer, et il est impossible de tout dire. Dans cette pénible alternative, commandée par la nature du sujet et les bornes de l'esprit humain, il faut poser quelques jalons sur une route impossible à tracer, et rattacher les espèces et leurs innombrables variétés à quelques points fixes, à quelques principes généraux; les juges feront le reste. »

1324. La loi peut suivre deux systèmes pour arriver à cette répression. Le premier consiste simplement à établir telle peine contre les blessures graves, et telle autre contre les blessures légères, en abandonnant aux juges du fait le soin d'apprécier quelles blessures sont graves et quelles sont légères. Telle a été la méthode suivie par le Code d'Autriche : ce Code se borne à distinguer les blessures et lésions graves, celles qui ont mis la vie en danger, et enfin les violences trèsgraves; à chacun de ces degrés correspond la peine de six mois

à un an de prison, d'un à cinq ans de la même peine, et d'un à cinq ans de prison dure; mais aucun des articles du Code ne définit les caractères de chaque espèce de blessures; c'est au juge à les apprécier. Le Code pénal prussien (§ 192) et le Code pénal de l'empire d'Allemagne (§ 223) prévoient également les lésions corporelles volontaires et laissent aux juges à graduer la peine (jusqu'à trois ans d'emprisonnement) suivant le dommage plus ou moins considérable causé à la santé.

Dans un deuxième système, le contraire de celui-là, la loi, restreignant les attributions du juge, descend du genre aux espèces, parcourt les différentes mutilations que peuvent causer les blessures, et spécifie celles qu'elle considère comme plus ou moins graves, Cette méthode était celle que le Code de 1791 avait suivie d'après ce Code, la peine était de deux ans de detention lorsque, par l'effet des blessures, la personne maltraitée avait été rendue tout à fait incapable de vaquer pendant plus de quarante jours à aucun travail corporel; elle était de trois années, si cette personne avait eu un bras, une jambe ou une cuisse cassée; elle était de quatre années, si cette personne avait perdu l'usage absolu soit d'un œil, soit d'un membre, ou éprouvé la mutilation de quelque partie de la tête ou du corps; enfin, la peine était de six années de fers, lorsque cette personne s'était trouvée privée de l'usage absolu de la vue ou de l'usage absolu des deux bras et des deux jambes. C'est ainsi que l'Assemblée constituante, entraînée par le désir de graduer le châtiment du coupable sur les degrés des souffrances de la victime, avait, pour ainsi dire, fractionné le corps humain et tarifé la privation de chacune des parties. qui le composent 2. Mais si ce système, par la multiplicité de ses distinctions, évite l'immense inconvénient du premier, l'arbitraire dans les jugements, il tombe dans un péril non moins grave, en prenant, dans chaque cas, le résultat matériel de la blessure comme base unique de la peine. Ce résultat ne peut exprimer la valeur morale de l'action qu'en

1 Code pénal 25 sept.-6 oct. 1791, 2° part., tit. 2, sect. 1re, art. 21 et suiv. 2 M. Monseignat, discours au Corps législatif,

se combinant avec la volonté; il fallait ajouter du moins cette condition de l'ancien Code de Prusse adoptée par l'art. 223 du Code pénal allemand: « si l'offenseur, dans la lésion, s'est réellement proposé la mutilation et la défiguration qui a été effectuée. » En n'exprimant pas cette condition de la criminalité, et en ne prononçant que des peines fixes que le juge n'avait aucun moyen de proportionner à la gravité réelle de l'acte, le Code de 1791 n'avait établi qu'un système répressif faux et injuste.

La pensée du législateur de 1810 a été de se placer entre ces deux systèmes, d'éviter à la fois les termes trop vagues du premier, les détails trop minutieux et les distinctions trop précises du second. Le Code pénal a séparé les coups et les blessures en deux catégories distinctes, comme le Code d'Autriche; mais, au lieu de laisser cette distinction à l'arbitraire du juge, il en a fixé la base dans la durée de la maladie ou de l'incapacité de travail qui est résultée des blessures. Les coups et les blessures qui ont occasionné une maladie ou incapacité de travail pendant plus de vingt jours sont qualifiés crimes; les violences qui ont eu ces résultats sont qualifiées délits.

1325. La loi pénale doit nécessairement poser une limite pour la distribution des peines entre les blessures légères et les blessures graves; et, il faut le reconnaître, les éléments de cette séparation appartiennent à chaque fait particulier, et ne peuvent que difficilement concourir à former une règle générale. Toutefois il est impossible de ne pas remarquer combien est fragile la base de la distinction du Code, et combien son incrimination entière est incomplète.

La qualification des violences, lorsqu'elle se fonde uniquement sur les suites qu'elles ont eues, ne peut se justifier que par ce seul motif, qu'en général le délit acquiert une gravité plus grande de la gravité du préjudice qu'il a causé; et en effet, indépendamment de ce dommage qui semble appeler, à raison de son importance, une réparation plus efficace, on ne peut nier que sa gravité ne soit un indice de la volonté qui a dirigé les coups, et par conséquent de la perversité de l'agent. Mais cet indice est loin d'être infaillible, et la gravité des résultats peut être purement accidentelle. La loi, en effet, n'exige

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