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trop absolu fondée sur une présomption, elle doit fléchir devant les faits.

Ainsi l'on verra dans le chapitre suivant que, même pendant la nuit, il n'est pas toujours permis à la personne dont la maison est assaillie de repousser par l'homicide les auteurs de l'escalade ou de l'effraction. Il est également certain que si ces actes, entrepris pendant le jour, sont accompagnés de circonstances inquiétantes pour la sûreté des habitants de la maison; si les assaillants, par leur nombre, par les armes qu'ils portent, par leurs menaces, annoncent des projets de meurtre ou de pillage; si, enfin, l'isolement de la maison enlève tout espoir d'un prompt secours, l'homicide ou les blessures commis pour repousser cette attaque seront non-seulement atténués par l'excuse de la provocation, mais à l'abri de toute incrimination.

En effet, l'escalade et l'effraction des clôtures d'une maison ne peuvent point, par cela seul qu'elles ont été commises durant le jour, être nécessairement classées parmi les causes de provocation qui modifient, mais n'effacent pas la criminalité des représailles. Il faut, pour produire les effets d'une provocation, qu'elles en conservent les caractères. « Il est difficile, disait le rapporteur du Corps législatif, de déterminer avec précision ce moyen d'excuse; il doit varier suivant l'isolement, la position, les qualités physiques ou morales du coupable des violences et de la personne qui les éprouve. Le projet donne pour exemple de l'excuse de l'homicide les voies de fait employées pour repousser, pendant le jour, l'escalade, l'effraction, la violation du domicile. » Ainsi la loi a voulu poser, dans l'espèce de l'art. 322, l'exemple d'une provocation; d'où il suit que si l'agression change de nature et menace la vie même des habi-tants de la maison, si ceux-ci n'agissent plus sous l'empire d'une simple provocation, mais pour se défendre, l'art. 322 cesse d'être applicable. Cet article n'a point dérogé au principe général posé dans l'art. 328; l'exception de légitime défense couvre l'homicide ou les blessures qu'ils ont commis, toutes les fois que leur vie a été menacée et mise en péril.

1454. L'art. 322 n'a prévu les actes qu'il énumère que pour les assimiler à la provocation; ces actes doivent donc présenter

des caractères analogues aux violences qui constituent la provocation, c'est-à-dire présenter assez de gravité pour faire la plus vive impression sur l'esprit d'un homme raisonnable, sans toutefois lui faire craindre pour sa vie, car son action, on le répète, serait alors un acte de défense. On peut en donner pour exemple le cas où l'escalade ou l'effraction a pour objet soit de commettre un vol, soit même une simple violation du domicile le maître de la maison n'a pas assurément le droit, si sa vie n'est pas en danger, de tuer ou de blesser le voleur ou l'assaillant; mais s'il a commis cet homicide ou ces blessures, il est excusable, car il pouvait ignorer les projets de cet assaillant, et les actes préparatoires du vol ou de la violation du domicile constituent à son égard une provocation qui modifie son action.

Les termes de l'art. 322 ne doivent pas être entendus dans un sens trop restrictif. Lorsque la loi pose un cas d'excuse, il est évident qu'elle ne peut pas être rigidement enchaînée dans les liens de l'espèce qu'elle a prévue: ses motifs se réfléchissent même lors de cette espèce, sur des faits analogues, lorsque les mêmes circonstances les accompagnent. Ainsi, en suivant littéralement le texte de l'art. 322, l'excuse ne pourrait être invoquée que dans le seul cas où l'homicide aurait été commis ou les blessures faites en repoussant l'escalade ou l'effraction. Mais à plus forte raison on doit décider que l'excuse s'étend aux voies de fait commises après l'escalade ou l'effraction effectuée, et pour repousser le voleur ou l'agresseur qui s'est introduit dans la maison. La même raison domine ces deux hypothèses; il est impossible d'en déduire deux règles différentes de responsabilité pénale.

1455. Mais en sera-t-il de même si le maître de la maison, ayant aperçu les préparatifs de la violation de son domicile, n'a pas attendu l'escalade ou l'effraction pour commettre les voies de fait? Il est évident que cette question dépend entièrement des circonstances; si cette personne n'a fait que prévenir par ce moyen l'escalade ou l'effraction dont elle était menacée, si son isolement ne lui permettait d'invoquer aucun secours, si elle pouvait craindre le succès de l'escalade ou de l'effraction, il ne paraît pas douteux qu'elle puisse être protégée par l'ar

ticle 322; car les simples préparatifs du crime, quand ils sont visibles et bien constatés, et que la personne qu'ils menacent n'a pour les repousser que des moyens incertains, peuvent constituer, aussi bien que le premier acte d'exécution, une véritable provocation; il suffit que ces préparatifs soient de nature à produire une vive émotion, une frayeur fondée. Les anciens auteurs admettaient également cette excuse; ils reconnaissaient au maître de la maison le droit de repousser le voleur, lorsque celui-ci avait manifesté ses funestes desseins, et lorsqu'il se préparait à les exécuter, dùm se ad furandum preparat1. Ils citaient pour exemple les agents qui sont surpris dressant une échelle contre un mur, in fure apponente scalas ad fenestras causâ furandi 2. Mais l'excuse ne pourrait plus être invoquée, si l'auteur de l'homicide avait agi avec précipitation et sans avoir suffisamment constaté les projets des individus qui entouraient sa maison, s'il pouvait attendre des secours en cas d'attaque, s'il avait des moyens de défense suffisants pour la repousser; car alors la raison et les termes de la loi lui manqueraient à la fois. Il en serait de même, s'il s'était servi de ses armes lorsque les assaillants renonçaient à leurs préparatifs et les abandonnaient en se retirant.

1456. Mais lorsque le crime est accompli, et, par exemple, quand le vol a été consommé, le meurtre ou les blessures commis sur les voleurs au moment de leur retraite, et dans le but soit de les arrêter, soit de reprendre les choses volées, sont-ils encore excusables? Les docteurs répondaient affirmativement à cette question : la défense des choses leur paraissait presque aussi sacrée que celle des personnes defensio licita est non solùm pro defensione sui corporis, sed etiam pro defensione rerum suarum3; et ils formulaient le droit de blesser ou de tuer le voleur quand la chose ne pouvait être défendue ou recouvrée par un autre moyen, quandò videlicet furata res defendi aut recuperari non potest*. Jousse, tout en adoptant cette doctrine,

1 Farinacius, quæst. 125, n. 195.

2 Ibid., eodem loco.

5 Farin., quæst. 25, num. 168.

4 Ibid., quæst. 25, num. 174.

ajoute cependant: « pourvu que les effets soient d'une certaine valeur1. » Il nous semblerait difficile d'admettre cette décision, même avec cette restriction: la règle de responsabilité pénale qui a édicté l'art. 322 peut sans doute être appliquée en dehors des termes de cet article, mais elle ne peut l'être que dans des espèces parfaitement analogues, et à l'égard desquelles cette application ne pourrait être déniée sans contradiction. Or, dans l'esprit dé la loi, la provocation ne peut naître que de violences employées pour commettre le crime, pour arriver à sa perpétration; c'est ainsi qu'elle donne pour exemple l'escalade et l'effraction. C'est, en effet, au moment de l'agression que l'émotion et la terreur de la personne attaquée parviennent au plus haut degré, et l'excuse prend sa source dans ces sentiments qui dirigent sa main sur l'agresseur. Mais lorsque le vol est consommé, la crainte n'existe plus; la victime peut ressentir, sans doute, le regret de la perte qu'elle a éprouvée, le ressentiment de l'injure, le désir de la vengeance; mais c'est à la justice qu'elle doit s'adresser; elle ne peut plus alléguer la crainte qu'elle aurait conçue pour sa sûreté personnelle, puisque nous supposons le crime consommé; elle ne pourrait prétendre que les recherches de la justice seraient restées infructueuses, puisque, d'abord, le crime a été commis en plein jour, avec escalade ou effraction, qu'il a dû laisser des vestiges, et que ses auteurs ont été aperçus; en second lieu, ce ne serait point là une excuse, car l'incertitude de la répression ne saurait autoriser à se faire justice, et à substituer à la peine légale les violences inspirées par la colère et la vengeance.

1457. Quelques expressions de l'art. 322 peuvent laisser certains doutes sur les limites de son application; il déclare le meurtre et les blessures excusables, quand ils sont commis en repoussant l'escalade ou l'effraction de clôture d'une maison ou d'un appartement habité ou de leurs dépendances; que fautil entendre par ces derniers mots ? Est-il nécessaire que la maison soit actuellement habitée ? Faut-il appliquer ici la présomption établie par l'art. 390, et qui répute habitée toute maison destinée à l'habitation? Nous établirons plus loin, dans

1 Just. crim., t. 3, p. 501.

notre commentaire de l'art. 434, que la définition de la maison habitée, formulée par l'art. 390, n'est relative qu'aux attaques contre la propriété, et qu'elle ne s'étend point à celles qui menacent en même temps les personnes; or, la provocation prévue par l'art. 322 prend, sans doute, sa source dans la violation du droit de propriété, mais il s'y mêle cependant une menace indirecte contre les personnes; le propriétaire ne peut prévoir où s'arrêteront les assaillants, il a un juste motif de redouter les violences dont il peut être l'objet. C'est par ce motif que la loi n'a pas étendu l'excuse au cas où l'escalade et l'effraction ne sont dirigées que contre les clôtures de parc ou enclos; c'est par ce motif qu'elle exige que la maison ou l'appartement, objet de ces voies de fait, soient habités. Il faut ajouter, d'ailleurs, que l'habitation de la maison n'est point considérée ici comme une circonstance aggravante de l'agression, mais seulement comme motivant le droit de l'habitant de la repousser; la loi a donc dû supposer une habitation actuelle, et l'on doit dès lors se tenir à ses termes qui l'expriment nettement.

Quant aux dépendances de la maison ou de l'appartement habité, elles renferment nécessairement tous les lieux situés dans l'enceinte générale de l'habitation et qui peuvent y donner accès: tel est le sens que l'art. 390 a donné à cette expression, et la raison même de la loi exige qu'il soit consacré dans notre espèce.

1458. Enfin, il faut remarquer encore que le bénéfice de l'excuse peut être invoqué non-seulement par celui dont le domicile ou la propriété est menacé, mais par les autres habitants de la maison, et même par les personnes qui, bien qu'étrangères à cette maison, ont porté secours et concouru à repousser l'attaque. Car les termes de l'art. 322 ne distinguent pas; ils étendent l'excuse à tous les cas où le meurtre ou les blessures ont été commis en repoussant l'escalade ou l'effraction; il suffit donc que tel ait été le but de ces violences pour que l'article soit applicable. Et, d'ailleurs, la raison de la loi est également puissante à l'égard des uns et des autres; car il importe peu que leur intention ait été de défendre leurs propriétés ou les propriétés d'autrui, il faut seulement qu'ils aient été poussés par une juste cause, et qu'ils aient obéi à l'empire de la provocation.

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