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Corps législatif avait proposé de les séparer. «En cumulant ces deux conditions, portent ses observations, il pourrait se présenter des occasions où la loi ordonne, mais où l'autorité n'est pas là au même instant pour donner un ordre d'exécution. Ainsi, un gendarme qui conduit un prisonnier est attaqué à force ouverte par des hommes qui veulent lui enlever le détenu; il se défend et tue un des assaillants; il y est autorisé par la loi, mais aucun de ses supérieurs n'est avec lui pour ordonner de faire feu. D'un autre côté, un inférieur sous les armes peut recevoir de son chef l'ordre de faire tel acte qui n'est pas prévu ́ou autorisé par la loi; il paraît donc qu'il conviendrait de n'exiger qu'une des conditions, et de mettre le mot ou au lieu du mot et1. » Cet amendement fut rejeté par le Conseil d'État, qui toutefois ne motiva point sa décision.

Il est évident que les observations de la commission du Corps législatif reposaient sur une étrange confusion : la loi ne peut que prévoir et indiquer les circonstances impérieuses où elle autorise l'emploi de la force; mais cette indication ne suffit pas; il est nécessaire de constater ensuite que ces circonstances ont existé, que les précautions prescrites par la loi ont été prises, qu'il y a eu nécessité de déployer la force des armes : or, telle est précisément la mission de l'autorité légitimé; elle intervient pour régler l'emploi de la force, pour apprécier sa nécessité, elle demeure responsable de son exercice. Ainsi deux conditions sont également essentielles : l'ordre de la loi dans lequel l'emploi des armes puise sa légitimité, et le commandement du fonctionnaire compétent, qui constate sa nécessité actuelle; ce sont là les deux garanties qui protégent la vie des citoyens sans la première, elle serait abandonnée aux violences arbitraires des agents de l'autorité; sans la seconde, l'application la plus aveugle de la loi en justifierait le sacrifice.

La commission du Corps législatif objecte, à la vérité, que, dans certains cas, un agent de la force publique, subitement attaqué dans l'exercice de ses fonctions, est forcé d'agir pour l'exécution de sa mission légale, avant de recevoir un commandement. Mais alors cet agent ne se trouve-t-il pas lui-même

↑ Procès-verb. du Cons. d'État, séance du 18 janv. 1810.

dépositaire du droit d'apprécier la nécessité de l'homicide? n'est-il pas responsable de l'exercice qu'il fait de ses armes? Il importe peu qu'il en reçoive le commandement d'un supérieur, ou que ce supérieur, en lui déléguant une mission spéciale, l'ait investi à l'avance du droit de se servir de ses armes, suivant les circonstances; ce que la loi a voulu, c'est qu'un agent quelconque demeurât responsable de l'exercice des violences qu'elle autorisait; or, cet agent est ou celui qui, en les commandant, en a pris la responsabilité, ou celui qui, séparé de ses supérieurs, a dû apprécier lui-même leur nécessité et les exercer sans attendre aucun ordre.

1475. Il est facile de citer quelques exemples de l'homicide légal tel est celui qui est commis, soit en cas de guerre régulièrement déclarée entre deux nations', soit lorsque, dans un attroupement et après les sommations prescrites, la force des armes est déployée contre les séditieux, soit lorsqu'une condamnation capitale passée en force de chose jugée est mise à exécution, soit enfin quand les agents de la force publique, dans l'exercice de leurs fonctions, repoussent une attaque par la force, ou combattent la résistance qui est opposée à l'accomplissement de leurs devoirs 3.

Dans ces diverses hypothèses, ce qui justifie soit le fonctionnaire qui a donné l'ordre, soit l'agent qui a dû se servir de ses armes sans l'attendre, c'est la légitimité du motif de leur action; or, ce motif légitime est l'accomplissement de la mission. qu'ils ont reçue de la loi il faut donc, en premier lieu, que l'acte ait été commis dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice des fonctions, puisque ce n'est que la nécessité de cet exercice qui a pu motiver les violences; il faut ensuite que, même dans l'exercice de ses fonctions et justifiant d'un motif légitime, l'agent n'ait pas excédé les limites de ses devoirs et les exigences de la nécessité; car s'il était établi que les violences n'étaient

1 Grotius, liv. 3, ch. 4, § 8.

2 Art. 7, loi du 21 oct. 1789; art. 27, loi du 3 août 1791; art. 1o, loi du 10 avril 1831. L. 7 juin 1848, 23 fév. 1852.

3 V. les termes précis de l'ordonnance de François Ier, de mai 1539, art. 4

pas nécessaires, qu'il pouvait exécuter ses fonctions sans y recourir, qu'il a outre-passé d'une façon quelconque les limites dans lesquelles il devait se renfermer, il est responsable à raison de cet excès: la légitimité du motif ne couvre pas cette portion de l'acte, il est passible d'une peine à raison du délit qu'elle peut former 1.

1476. Ainsi reprenons les actes que nous venons d'énumérer: celui qui tue un ennemi dans une guerre et sur l'ordre de ses chefs est exempt de toute peine, car la guerre est autorisée par le droit des gens, ex hoc jure gentium introductá bella; et c'est le caractère propre de la guerre de repousser les armes par les armes, jure gentium ità comparatum est ut arma armis propulsentur. La guerre couvre même des actes inutiles à son succès: tel est le meurtre d'un ennemi désarmé, des femmes et des enfants, dans le sac d'une ville ou dans la chaleur du combat *; mais cette cause de justification ne s'appliquerait pas à l'homicide qui serait le résultat d'une vengeance particulière.

La même distinction s'étend à tous les cas d'homicide légal : la mise à mort d'un condamné deviendrait un assassinat, s'il avait formé un recours suspensif pár sa nature, et sur lequel il n'eût pas encore été statué; l'usage des armes dans un attroupement ferait peser sur les agents de la force publique une rigoureuse responsabilité, si, d'une part, ils ne se trouvaient pas en état de légitime défense, ou si, d'un autre côté, les formalités prescrites par la loi n'avaient pas été remplies; enfin, les gendarmes, les huissiers, les préposés des douanes, quand ils déploient la force des armes pour assurer l'exécution de leur mission légale ne trouveraient plus une excuse suffisante dans leurs fonctions, s'il était établi qu'ils ont employé la force sans nécessité, et qu'ils auraient pu, sans recourir à ce moyen extrême, accomplir les ordres dont ils étaient chargés.

1477. Nous avons précédemment examiné, en recherchant

i V. nos précédentes observations sur ce sujet, t. 3, p. 26 et suiv.

2 L. 5, Dig. de justitiâ et jure.

3 Tive-Live, 1. 42, chap. 31, num. 11.

4 Grotius, 1. 3, ch. 4, § 6 et 9.

les effets de la contrainte morale sur la criminalité, dans quel cas l'ordre donné par un commandant aux militaires qui sont sous ses ordres, ou par un fonctionnaire à ses subordonnés, peut justifier ces derniers. (Voyez no 378.) Nous ne pouvons que renvoyer à nos observations sur cette matière. Il est seulement nécessaire d'ajouter que si l'obéissance hiérarchique couvre, dans certains cas, l'agent qui n'a fait qu'exécuter l'ordre d'un supérieur, la responsabilité remonte aussitôt à celui-ci ; que l'homicide devient imputable à son égard toutes les fois que l'ordre a été donné hors des cas prévus par la loi, ou qu'il n'a point été précédé des formalités qu'elle a prescrites, ou enfin que la nécessité de l'exercice des fonctions ne le rendait pas indispensable. (Voyez no 379.)

§ II. De l'homicide légitime.

1478. La deuxième cause de justification de l'homicide et des blessures est la nécessité de la défense.

Le droit de défendre notre vie lorsqu'elle est menacée est, suivant l'expression de Cicéron, une loi de notre nature même, car la nature a déposé au fond de notre âme l'instinct conservateur de l'existence: Est hæc non scripta, sed nata lex; quam non didicimus, accipimus, legimus, verùm ex naturâ ipsâ adripimus, hausimus, expressimus ; ad quam non docti, sed facti; non instituti, sed imbuti sumus: ut si vita nostra in aliquas insidias, si in vim, in tela aut latronum aut inimicorum incidisset, omnis honesta ratio esset expediendæ salutis1. La loi romaine avait fait un axiome de ce principe du droit naturel, et le Digeste l'avait inscrit à la première page de ses lois : Quod quisque ob tutelam corporis sui fecerit, jure fecisse existimetur. Il domine tous les cas de responsabilité, même de responsabilité civile. C'est ainsi que Gaïus décide, en l'invoquant, que celui qui a tué un esclave en défendant sa vie n'est pas responsable du dommage causé par sa mort: Itaque si servum tuum latronem insidiantem mihi occidero, securus

1 Oratio pro Milone, cap. 4.

2 L. 3, Dig. de justitiâ et jure.

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ero; nam adversùs periculum naturalis ratio permittit se defendere1.

Cette maxime, « à laquelle, dit Jousse, il n'est permis de déroger par aucune loi civile et humaine,» a traversé notre ancien droit avec toute sa puissance, et toutes les législations l'ont reproduite. La loi sociale, en effet, ne peut exiger que l'homme fasse le sacrifice de sa sûreté personnelle : elle est chargée de la défendre, mais si sa vigilance se trouve en défaut, elle ne peut incriminer celui qui s'est défendu lui-même, lorsqu'il n'avait aucun autre moyen d'échapper au péril qui le menaçait. La civilisation, en multipliant les moyens de police et de secours, a dû tendre à restreindre de plus en plus l'exercice de ce droit de défense; mais elle ne l'a pas effacé, parce qu'il constitue un droit naturel de l'homme, et que sa sanction est dans notre conscience.

1479. Le législateur ne créait donc pas ce droit, il ne faisait que le reconnaître, lorsqu'il déclarait dans l'exposé des motifs du Code : « L'homicide est légitime lorsqu'il est commandé par la défense de soi-même, soit qu'on ait été frappé ou qu'on se trouve dans un pressant danger de l'être, et que, ne pouvant attendre des secours de la loi, entraîné par l'instinct conservateur de son existence, on repousse la force par la force. » L'article 328 du Code a formulé cette exception en ces termes : << Il n'y a ni crime ni délit lorsque l'homicide, les blessures et les coups étaient commandés par la nécessité actuelle de la légime défense de soi-même ou d'autrui. »

Le principe est donc clairement posé : la justification de l'agent est complète toutes les fois qu'il a commis l'homicide en état de légitime défense; mais les difficultés commencent dès qu'il s'agit d'apprécier les actes qui constituent l'état de légitime défense. Nous essayerons d'établir quelques règles à cet égard.

La première condition exigée pour que l'exception soit admise est que l'homicide ait été commis par la défense de soi-même ou d'autrui. Ce sont les termes mêmes de la loi.

1 L. 4, Dig. ad legem Aquiliam.

2 Traité de la just. crim., t. 3, p. 503.

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