Page images
PDF
EPUB

pas, à défaut de l'exception de légitime défense, l'excuse légale de la provocation.

Dans la deuxième hypothèse, l'exception couvre l'agent pour tous les actes qui sont motivés par la nécessité; mais il demeure responsable des faits qu'il a commis après que le péril était passé, quand la nécessité n'existait plus. Or, quelle est la nature de cette responsabilité ? quelles peines peut-elle entraîner? Il semble qu'en droit rigoureux, on devrait décider que l'agent devient passible des peines dont sont punis les actes qu'il a commis en dehors de sa défense et sans nécessité. Ainsi, supposons qu'attaqué par un brigand, il le blesse d'un coup d'épée qui le mette hors d'état de lui nuire, et qu'il lui porte néanmoins encore une seconde blessure: cette dernière blessure n'était pas nécessaire à sa défense; elle est donc imputable, elle rentre donc dans les blessures volontaires que prévoit et punit le Code pénal.

1498. Cette interprétation toutefois serait trop sévère. Il faut tenir compte de la terreur dont l'agent était frappé, du mouvement irrésistible qui l'entraînait, du trouble et de la précipitation de son action. Il a agi inconsidérément, mais non pas avec une intention criminelle; il a commis une imprudence et non un délit ; il est coupable d'une faute plutôt que d'un dol. Telle est aussi la décision des docteurs: Quandò quis licitæ defensionis modum excedit, dicitur in culpa, et non in dolo'.

Cette appréciation est confirmée par la jurisprudence. Un arrêt de la chambre d'accusation de la Cour de Limoges, que nous avons déjà cité, n° 1495, avait déclaré : « que si Braquet a frappé Lacore, c'était parce qu'il avait, pendant la nuit, escaladé la clôture de son jardin et pour l'empêcher d'entrer dans sa maison. » L'arrêt tirait de là la conséquence que Braquet se trouvait en état de légitime défense. Le procureur général, en attaquant cet arrêt, disait dans sa requête : « Ce considérant ne résiste pas à l'examen. La loi permet de repousser l'escalade, et non de la punir, de s'opposer à ce fait menaçant, et non de le réprimer quand on l'a laissé s'accomplir. Elle permet

1 Farin., quæst. 125, num. 397; Menochius, de arbit., quæst, casu 278, num. 1; Julius Clarus, § Homicidium, num. 27.

de repousser l'escalade, et non de frapper parce qu'on a escaladé. En droit, pour que l'article 329 fût applicable, il fallait poser en fait que Braquet avait eu à repousser l'escalade ou l'entrée de la maison. Le mot repousser, employé si constamment par le législateur, comporte toujours une agression. » Mais le pourvoi a été rejeté : « attendu que l'arrêt attaqué déclare que Braquet a frappé Lacore pour l'empêcher d'entrer dans sa maison, après qu'ayant escaladé les murs de clôture, il se dirigeait vers une croisée de cette maison pour s'y introduire; qu'en décidant, par appréciation de ces faits, que ledit Braquet avait agi dans la nécessité actuelle d'une légitime défense, l'arrêt n'a pu violer aucune loi1. » Dans une autre espèce, la chambre d'accusation de la Cour d'Amiens a également décidé: «< que s'il est avoué par le prévenu qu'il a exercé sur Houbigan les violences qui lui sont reprochées (il lui avait tiré un coup de fusil alors que celui-ci s'enfuyait), il résulte de l'instruction que ces violences ont été employées par le prévenu, alors dépouillé de ses vêtements, pour repousser pendant la nuit un malfaiteur qui s'était introduit dans ses bâtiments à l'aide d'escalade; que ce fait, eu égard aux circonstances qui l'ont accompagné, rentre dans les cas prévus par l'article 329 2. »

1499. De là il faut conclure que l'excès même de la défense, dans un moment de trouble et de terreur, n'est point un délit. Mais cet excès constitue-t-il du moins une faute? Si l'agent n'encourt point une peine corporelle, encourt-il une peine pécuniaire? pro excessu moderaminis inculpatæ tutelæ non imponitur pœna corporalis, sed pecuniaria. L'excès de la défense, tant qu'il demeure dans le cercle d'une faute, doit-il se résoudre dans des dommages-intérêts? La Cour de cassation a décidé: « qu'en principe général, pour qu'il y ait lieu à dommages-intérêts, il faut qu'il y ait faute; que la loi ne répute pas en faute celui qui fait ce qu'il a droit de faire, à moins qu'il ne

1 Cass., 11 juill. 1844, S.-V.44.1.778.

[ocr errors]

2 Arr. Amiens, 16 mars 1843, S.-V.43.2.240. V. aussi Cass., 8 déc. 1871, Journ. crim., 1872, p. 49.

3 Farín., quæst. 125, num. 397; Menochius, de arbit., quæst. času 278, num. 1; Julius Clarus, § Homicidium, num. 27.

le fasse pour nuire à autrui et sans intérêt pour lui-même ; que la défense de soi-même est de droit naturel; qu'aux termes de l'article 328 du Code pénal, elle exclut tout crime et délit ; qu'étant autorisée par la loi positive comme par la loi naturelle, elle exclut également toute faute; qu'il ne peut donc en résulter une action en dommages-intérêts en faveur de celui qui l'a rendue nécessaire par son agression 1.» Cette doctrine est évidemment inexacte. De ce que la défense de soi-même est autorisée par la loi, il ne suit nullement qu'elle soit exclusive de toute faute, car il est possible que l'agent, même en exerçant ce droit de défense, ne soit pas exempt d'imprudence ou de précipitation, qu'il n'ait pas proportionné la résistance à l'attaque, qu'il ait continué à porter des coups quand l'agression n'existait plus. Sans doute, dans ce cas même, l'accusé n'est pas coupable dans le sens légal du mot, il doit être acquitté; car, ainsi que nous venons de le dire, cet excès ne constitue point un délit ; mais il n'est pas nécessaire que le fait soit qualifié crime ou délit pour donner ouverture à des dommages-intérêts, il suffit d'une simple faute, et si cette faute est dans l'excès d'une défensé légitime, ces dommages pourront être réclamés pro rátioné excessûs.

1500. Au reste, il est à remarquer que, dans l'espèce de cét arrêt, le jury avait explicitement déclaré que l'accusé se trouvait en état de légitime défense; mais la Cour de cassation a jugé ultérieurement que la question de légitime défense n'est point une question d'excuse qui puisse être posée séparément, et qu'elle se trouve nécessairement comprise dans la question de culpabilité. Or, comme il est de principe que l'acquittement de l'accusé, par suite d'un verdict de non-culpabilité, ne fait aucun obstacle à ce que des dommages-intérêts soient adjugés à la partie civile (Voy. n° 96), il s'ensuit que, d'après cette jurisprudence, la question ne peut plus s'élever et que la Cour d'assises conserve le droit d'apprécier, soit que l'acquittement se fonde sur la légitime défense ou sur tout autre motif, si le fait matériel, bien que dépouillé de sa criminalité, peut, à raison du préjudice qu'il a causé, donner lieu à

1 Cass., 19 déc. 1817, S.18.1.170.

des dommages-intérêts. Comment, en effet, faire encore une distinction pour le cas où l'acquittement est fondé sur la légitime défense? Le verdict du jury n'énonce pas de motif, èt la question de légitime défense s'efface dans la déclaration de nonculpabilité. Dès lors le droit de la Cour d'assises ne saurait plus être contesté1.

1501. Il nous reste à faire remarquer, pour termiuer la matière qui fait l'objet de ce chapitre, que l'exception de légitime défense peut être invoquée soit par l'époux qui a commis un homicide sur l'épouse, ou par celle-ci sur son époux, soit par le fils qui a porté la main sur son père. Les droits les plus saints, qu'ils dérivent de la nature ou de la loi, cèdent devant l'instinct de la conservation de la vie. L'épouse n'est plus forcée de reconnaître son époux, ou le fils son père, dans l'assassin qui menace sérieusement ses jours. C'est le crime lui-même qui brise les devoirs, et arme sa victime du droit de se défendre. Ainsi l'art. 323 du Code pénal, qui dispose que le parricide n'est jamais excusable, ne s'applique qu'à la seule excuse de provocation, et n'a point été étendu à l'exception de légitime défense. Ainsi l'art. 324 ne dénie aux époux, à l'égard du meurtre commis par l'un d'eux sur l'autre, que l'excuse de la provocation; il admet implicitement le fait justificatif de la défense; et nous avons vu d'ailleurs, en expliquant cet article dans le chapitre précédent, qu'en déclarant l'homicide seulement excusable dans le cas où la vie de l'époux qui l'a commis était en péril, il n'a pas exclu l'entière justification de cet époux lorsqu'une attaque était ouvertement dirigée contre ses jours.

1 V. dans ce sens arr. Cours d'assises de l'Hérault et de l'Aveyron, des 30 déc. 1831 et 13 nov. 1835, Journ. du dr. crim., 1832, p. 202, et 1836, p. 175, et notre Traité de l'instr. crim., t. vIII, n. 1833.

CHAPITRE LIV.

DES ATTENTATS AUX MEURS. DE L'OUTRAGE PUBLIC A LA

PUDEUR.

(Commentaire de l'art. 330 du Code pénal.)

1502. Des attentats aux mœurs dans l'ancienne législation.

1503. Caractères de la simple fornication: elle était exempte de toute peine. 1504. Ce qu'on entendait par stupre: peines qui y étaient attachées.

1505. Ce qu'on entendait par rapt de séduction.

1506. Incrimination de l'inceste.

1507. De la sodomie et de la bestialité.

1508. Distinction établie par notre législation moderne entre les actes immoraux, qui ne produisent pas une offense directe sur autrui et ceux qui produisent cette offense.

1509. Énumération des actes attentatoires aux mœurs que la loi pénale a incri

minés.

1510. Le premier de ces actes est l'outrage public à la pudeur : texte de l'article 330 modifié par la loi du 13 mai 1863.

1511. Deux Éléments du délit : l'outrage à la pudeur et la publicité.

1512. Les paroles grossières ne suffisent pas pour constituer ce délit : il faut un acte de nature à blesser la pudeur.

1513. Caractère distinctif de l'outrage.

1514. Nécessité de vérifier et de constater l'élément intentionnel constitutif du

délit.

1515. La deuxième condition du délit est qu'il ait été commis publiquement,

1516. Quel est le caractère de cette publicité ?

1517. L'outrage est public lorsqu'il se commet dans un lieu public.

1518. Quels lieux sont réputés publics?

1519. Une diligence est un lieu public dans le sens de l'art. 330.

1520. Distinction entre la publicité résultant du lieu et celle qui n'a été que le

résultat d'un accident.

1521. Outrages à la pudeur commis dans des auberges ou dans des voitures

circulant sur la voie publique.

1522. L'outrage peut être public quoique commis dans un lieu non public. 1523. L'outrage peut être public lors même qu'il est commis dans une maison

particulière.

1524. Toutefois il est nécessaire de constater alors la possibilité de la publicité.

« PreviousContinue »