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que la justice peut saisir. Les autres, accomplis dans le secret, couverts la plupart d'un voile épais, ne troublent point ouvertement la société qui les ignore, et ne portent dommage qu'à leurs auteurs qu'ils dégradent. La justice, d'ailleurs, pourraitelle les poursuivre sans péril? Quels scandales ne jailliraient pas de ces poursuites! Où serait le bien de dévoiler tant de turpitudes cachées, tant de honteux mystères ? La morale estelle intéressée à ces infâmes révélations? Le silence de la loi devrait être approuvé, quand il ne serait dicté que par un sentiment de respect pour la pudeur publique; c'est assez que la justice soit forcée de proclamer le délit, en le punissant, quand le scandale a été public, ou quand la liberté des personnes a été atteinte. Et puis, quelles seraient les conséquences de cette intervention de l'action publique? Ne serait-ce pas consacrer l'inquisition du magistrat dans la vie privée des citoyens, soumettre à ses investigations leurs actions intimes, ouvrir, en un mot, le sanctuaire du foyer domestique ? La loi a donc procédé avec sagesse en distinguant, parmi les actes immoraux, ceux qui, tout en révélant des habitudes licencieuses, ne produisent pas une offense directe sur autrui, et ceux qui tendent à produire ou qui produisent en effet sur les auteurs un préjudice appréciable. Les premiers ont dû être laissés à la seule réprobation de la conscience et de l'honnêteté publique, ẹt la loi n'a sévi que contre les actes que la société avait un véritable intérêt à punir. Seulement l'agent sera puni avec plus de rigueur, si l'attentat aux mœurs, que la loi prévoit, est un de ces actes infâmes que les anciens regardaient comme un crime.

1509. Les lois de 1791 n'avaient prévu que l'attentat public aux mœurs, la corruption de la jeunesse et le viol. Notre Code a porté plus loin sa prévoyance : les faits qu'il a prévus sont l'outrage public à la pudeur, l'excitation à la débauche de la jeunesse, l'attentat à la pudeur commis sans violence sur les enfants de moins de onze ans, l'attentat à la pudeur tenté ou consommé avec violence, le viol, enfin l'adultère. Ces différents délits ou crimes seront successivement l'objet de notre

examen.

1510. L'art. 330 du Code pénal est ainsi conçu : « Toute

personne qui aura commis un outrage public à la pudeur sera punie d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de seize à deux cents francs. >>

Le Code pénal n'avait porté le maximum de la peine qu'à un an. La loi du 13 mai 1863 l'a élevé à deux ans. Cette aggravation, qui n'avait point été proposée dans le projet de loi, est motivée dans le rapport de la commission en ces termes : « Cette limite rend impossible l'application de la récidive à la réitération des outrages publics à la pudeur. Rien n'explique une disposition qui, sans intention peut-être, excepte d'une juste sévérité des faits dont il importe de prévenir le renouvellement et qui sont plus dangereux et plus punissables que la plupart de ceux auxquels les peines de la récidive sont applicables. C'est pour obvier à cet inconvénient que tout en maintenant à trois mois le minimum de la peine nous avons proposé de porter le maximum à deux ans. >>

1511. Les deux éléments du délit résultent clairement de ces termes il faut, pour le constituer, qu'un outrage à la pudeur ait été commis, que ce fait ait été commis publiquement.

La loi n'a point défini' l'outrage à la pudeur; cette définition n'était point, en effet, exempte de difficultés; ce délit peut se produire de mille manières et revêtir mille formes diverses. Vainement, peut-être, essayerait-on de le renfermer dans des termes invariables et précis. Mais, à défaut d'une définition, nous devons tâcher d'en déterminer les caractères généraux.

1512. M. Monseignat, dans son rapport au Corps législatif, disait « Il est au moins superflu de signaler ces délits en détail. N'est-il pas d'ailleurs facile de reconnaître les familiarités que la civilisation excuse, les discours que la galanterie tolère, les libertés que la mode autorise, de ne pas les confondre avec les expressions grossières, les attitudes éhontées et l'étalage de la corruption, l'absence ou la licence des vêtements, l'oubli des principes et du but de la nature, et tous les outrages à la pudeur et à l'honnêteté publiques?» Ces paroles, en traçant quelques-uns des faits qui forment le délit d'outrage à la pudeur, ont laissé échapper une grave inexactitude: les expressions grossières ne peuvent, dans aucun cas, constituer ce délit; l'outrage par paroles constitue un délit d'une autre nature,

punissable, comme l'injure, d'après les règles d'une autre législation; ce délit est prévu par l'art. 8 de la loi du 17 mai 1819, qui punit d'un emprisonnement d'un mois à un an et d'une amende de 16 à 500 francs, tout outrage aux bonnes mœurs commis par l'un des moyens énoncés en l'art. 1o de cette loi, c'est-à-dire par des discours ou des écrits. L'outrage prévu par l'art. 330 est donc un outrage par action, il faut un fait matériel pour le constituer 1. La Cour de cassation l'avait déjà jugé ainsi sous l'empire de l'art. 8 du titre 2 de la loi du 19-22 juillet 1791, reproduit par l'art. 330; elle avait déclaré : « que cet article ne peut s'entendre de simples injures, quelque outrageantes, quelque grossières qu'elles soient, mais d'actions ou gestes attentatoires à la pudeur des femmes '. » La même règle n'a pas cessé de dominer la loi.

Toutefois les dernières expressions de cet arrêt nous portent à remarquer que la loi du 19-22 juillet 1791 ne punissait que l'outrage public à la pudeur des femmes. L'art. 330 a supprimé ces derniers mots, et par conséquent il a détruit sa restriction; il n'est plus nécessaire que l'outrage ait eu pour but ou pour effet de blesser la pudeur des femmes en particulier; il suffit qu'il ait été de nature à blesser la pudeur en général.

Il ne résulte aucune dérogation à cette première règle d'un arrêt qui a fait l'application de l'art. 330 au fait de se permettre dans un chemin public, des attouchements indécents, en même temps que des propos lubriques, sur des femmes que l'auteur de ces faits y avait rencontrées. La question était de savoir si ces actes constituaient un attentat ou un outrage public à la pudeur; et l'arrêt décide: « que ces faits n'ont certainement pas assez de gravité pour constituer un crime d'attentat à la pudeur; qu'ils présentent seulement les éléments d'un outrage à la pudeur qui a un caractère suffisant de publicité comme ayant lieu sur un chemin public3. »>

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V. dans le même sens Carnot, Comment. sur cet article, tome 2, p. 101,

Cass., 30 niv. an xi, S.1.711; Journ. du palais, 3e édit., tome 3, p. 116. 3 Cass., 1er déc. 1848, S.-V.49.1.543.

TOME IV.

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1513. Le caractère distinctif de l'outrage est de causer un scandale, faire rougir la pudeur, choquer l'honnêteté de ceux qui en sont les témoins. Il n'est point, comme l'attentat, accompagné de violences: il offense la pudeur publique, il n'attente à celle d'aucune personne en particulier'. C'est une action éhontée, un acte impudique; ce n'est point une attaque contre les personnes. Montesquieu a parfaitement indiqué la nature de cette action : elle est moins fondée sur la méchanceté que sur l'oubli ou le mépris de soi-même. Il n'est donc pas nécessaire qu'elle ait blessé la pudeur ou l'honnêteté d'une personne quelconque; il suffit que l'acte soit de nature à soulever par son cynisme l'indignation de ceux qui, même fortuitement, auraient pu l'apercevoir.

Ce caractère particulier du délit a été clairement reconnu par la Cour de cassation. Un homme et une femme avaient été surpris par une ronde de nuit dans la rue in rebus veneris. Traduits devant le tribunal correctionnel sous la prévention d'outrage public à la pudeur, ils furent renvoyés de la poursuite, par le motif que le fait constaté ne constituait pas ce délit. La Cour de cassation a annulé ce jugement, en déclarant « que les outrages à la pudeur, prévus et punis par l'art. 330, sont ceux qui, n'ayant pas été accompagnés de violence ou de contrainte, n'ont pu blesser la pudeur de la personne sur laquelle des actes déshonnêtes peuvent avoir été exercés, qui n'ont ainsi pu offenser que les bonnes mœurs, mais qui, par leur licence et leur publicité, ont dû être l'occasion d'un scandale public pour l'honnêteté et la pudeur de ceux qui fortuitement ont pu en être les témoins3. » La solution eût été évidemment contraire si la publicité du lieu avait été déniée“. On lit, au reste, dans plusieurs arrêts: « que les outrages à la pudeur, prévus et punis par l'art. 330, sont des délits qui, par leur licence et leur publicité, sont de nature à blesser l'honnêteté de ceux qui, même fortuitement, en ont été les témoins". >>

1 Cass., 5 juill. 1838, Journ. du dr. crim., 1838, p. 382. 'Esprit des lois, liv. IX.

3 Cass., 26 mars 1813, Dev.4.312; J.P.2.241.

Cass., 2 janv. 1846, S.-V.46.1.304.

5 Cass., 2 avril 1859, Bull, n. 88; 18 mars 1848, Bull. n. 95.

1514. I importe cependant que la culpabilité de l'agent soit constatée. Les actes qui constituent un outrage à la pudeur sont de deux sortes : les uns, par leur cynisme et leur immoralité, emportent, par le seul fait de leur existence matérielle, la preuve de l'intention impudique qui a animé l'agent. Les autres ne blessent pas par eux-mêmes l'honnêteté et la décence et ne deviennent répréhensibles que lorsque l'agent, par le mode et les circonstances de leur perpétration, et surtout par l'intention qui le dirige, en fait un sujet de scandale. L'élément intentionnel, condition nécessaire du délit, est ici l'immoralité même de l'action, soit qu'elle réside dans l'action elle-même ou dans les faits extérieurs de sa perpétration. Ce point a été formellement reconnu dans un arrêt de la Cour de cassation qui a rejeté un pourvoi du procureur général près la Cour d'appel d'Angers : « attendu que le fait imputé au prévenu consistait à s'être baigné dans la Loire en état de complète nudité; que l'arrêt attaqué, appréciant les faits et les circonstances résultant de l'instruction et des débats, a déclaré que, si le fait matériel existait, la preuve de l'intention chez le prévenu de braver ou d'offenser la pudeur publique n'était pas rapportée; que, dans cet état des faits souverainement appréciés par elle, la Cour d'Angers, en décidant que l'élément intentionnel écarté, il n'existait, pas de délit punissable, loin de violer l'art. 330, en a fait une saine application'. >>

1515. La deuxième condition du délit est qu'il ait été commis publiquement: cette publicité est la base essentielle de son existence : le même acte, commis hors des regards du public, est innocent aux yeux de la loi, et peut l'être même aux yeux de la conscience; c'est sa publicité qui le rend coupable, car c'est par elle seulement qu'il offense la décence et les mœurs. Il est donc nécessaire que cette circonstance soit formellement déclarée par le jugement; la peine ne serait pas légalement appliquée si le tribunal ou le jury ne l'avait pas

reconnue.

1 Cass., 6 oct. 1870, Bull. n. 174.

2 Cass., 18 flor. an ix, S.1.462; Journ, du pal., t. 2, p. 181; 9 nov. 1820, Bull. n. 142.

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