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1516. Mais quel est le caractère de cette publicité? Est-il nécessaire que l'outrage ait été commis dans un lieu public? Est-il nécessaire du moins qu'il ait été commis à la vue d'une ou de plusieurs personnes?

Il faut poser, en premier lieu, comme une règle générale, que la loi, ne faisant aucune distinction entre les divers modes de publicité, les admet tous également. Telle est aussi la décision de la Cour de cassation, qui a déclaré « que la disposition de l'art. 330, sur le caractère de publicité de l'outrage, s'énonce d'une manière générale et absolue; qu'il se réfère conséquemment à tous les genres de publicité que l'outrage à la pudeur est susceptible d'avoir, soit par le lieu où il est commis, soit par les autres circonstances dont il est accompagné 1. » Mais cette règle a besoin elle-même de quelques explications.

Et d'abord il ne faut pas confondre d'une manière absolue la publicité que l'art. 1er de la loi du 17 mai 1819 exige pour incriminer les provocations verbales, et la publicité nécessaire pour élever l'outrage à la pudeur au rang des délits. L'art. 1or de la loi du 17 mai 1819 limite, en les définissant, les caractères de la publicité qu'il prescrit: il faut que les discours ou les cris aient été proférés dans les lieux publics ou réunions publiques. L'art. 330 se borne à déclarer que l'outrage doit avoir été public. Dans le premier cas, la provocation suppose nécessairement une ou plusieurs personnes auxquelles elle s'adresse: quod non in cœtu nec vociferatione dicitur, convicium non propriè dicitur. Le délit naît précisément des effets probables de la parole sur les auditeurs. Dans le deuxième cas, au contraire, le délit consiste entièrement dans la perpétration publique d'un acte contraire aux mœurs; la présence des témoins aggrave le délit, mais n'est pas essentielle à son existence. Les conditions de la publicité sont donc plus rigoureuses dans la première hypothèse que dans la seconde. Le cercle est plus restreint, la loi plus exigeante : cette différence encore inaperçue était essentielle à remarquer, parce qu'on invoque trop souvent en

1 Cass., 22 fév. 1828, Bull. n. 48.

• L. 15, § 12, Dig. de injuriis et famosis libellis,

cette matière les décisions de la jurisprudence relatives à la publicité des discours et des paroles sans se placer au point de vue de la loi qu'elles appliquent.

1517. L'outrage est public, soit lorsqu'il se commet dans un lieu public, soit lorsque, commis hors de ce lieu, il a pu être vu du public.

Un lieu est public lorsqu'il est accessible aux citoyens ou à une classe de citoyens, soit d'une manière absolue et continuellement, soit en remplissant certaines conditions d'admissibilité et à des époques déterminées.

Sont publics d'une manière absolue les rues, les places, les chemins. Lorsque l'outrage est commis dans l'un de ces lieux, la publicité résulte de la nature du lieu. Ainsi il est indifférent que l'outrage ait été vu par plusieurs personnes ou par une seule1; que cet outrage ait été commis pendant le jour ou pendant la nuit, << puisque le passage et la circulation dans les rues sont de droit et souvent d'usage la nuit comme le jour2. » Le délit consiste dans le fait d'avoir commis un acte impudique dans un lieu où cet acte pouvait être aperçu, dans la dépravation morale et le mépris de soi-même que suppose cet acte matériel.

Les lieux qui ne sont publics qu'à certaines conditions et par intervalles sont ceux qui le deviennent lorsqu'on les applique à l'usage du public; ils acquièrent et conservent ce caractère pendant tout le temps qu'ils sont accessibles. Tels sont les cabarets et les auberges pendant le temps qu'ils sont ouverts3, les salles de spectacle et les lieux où l'on peut entrer en payant pendant le cours du spectacle ou de la réunion, les églises lorsqu'elles sont ouvertes à tous les fidèles, les écoles, les cours publics pendant la durée des classes et des cours, les tribunaux pendant leurs audiences, les greffes pendant qu'ils sont

1 Cass., 2 juill. 1812, Bull. n. 160, Dev.4.143.

2 Cass., 26 mars 1813, Bull. n. 58, Dev.4.311.

3 Cass., 19 fév. 1825, Bull. n. 30; S.8.50; 11 juin 1831, Bull. n. 131. Cass., 2 juill. 1812, Bull. n. 160, S.-V.4.143.

Cass., 2 août 1816, Bull. n. 51, Dev.5.224.

6 Cass., 9 nov. 1832, Bull. n. 440; Dev.32.1.741.

7 Cass., 19 nov. 1829, Dall.1829.414;

- mais non en chambre du conseil,

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ouverts, les administrations publiques pendant les heures d'ouverture des bureaux 2.

1518. Quelques difficultés peuvent s'élever, dans cette catégorie, sur le caractère de certains lieux. La Cour de cassation a décidé, en ce qui concerne les presbytères: «que les lieux publics ne sont que ceux destinés à la réunion du public ou à l'usage de tous les particuliers; que le presbytère, ou la maison occupée par le curé ou par le prêtre desservant de la paroisse, n'est destiné qu'à son logement ou à celui de sa famille, et non pas à l'exercice de son ministère; que cette habitation est pour le desservant un lieu prêté dont il jouit pour ses usages personnels, qu'il peut ouvrir ou fermer à sa volonté, et qui n'a, sous aucun rapport, le caractère d'un lieu public. « La même décision a été étendue aux boutiques des marchands“, à la maison où le juge de paix tient ses audiences, aux jours et heures où il ne les tient pas 5, à l'étude d'un notaire, hors le cas où il s'y fait une adjudication, au cabinet d'un courtier de commerce, à l'intérieur d'une diligence, à l'allée ouverte d'une maison 9.

Quelques-unes de ces solutions peuvent donner lieu à des observations. Les boutiques, surtout quand elles sont fermées, ne peuvent être réputées des lieux publics, dans le sens de la loi du 17 mai 1819, mais elles peuvent prendre ce caractère, dans le sens de l'art. 330, quand elles sont accessibles aux regards du public. Ainsi on lit dans un arrêt « qu'il résulte des constatations que c'est dans la boutique d'un charpentier que le prévenu s'est livré, sur la personne d'une jeune fille, à l'acte

Cass., 15 déc. 1806, Dall., Coll., t. 11, p. 97; ni à huis clos, 2 août 1832; Dall. 1833.347.

1 Cass., 22 août 1828, Bull. n. 244; Dev.28.1.337.

2 Cass., 4 août 1826, Bull. n. 151.

Cass., 2 août 1816, Bull. n. 51; Dev.5.224.

4 Cass., 15 mars 1832, Dev.32.1.669.

5 Metz, 18 oct. 1817, Dev.5.328; Dall.11.106; Riom, 24 déc. 1829, Dall. 1130.2.116.

6 Bourges, 22 juill. 1836, cité par M. Chassan, t. 1er, p. 45.

7 Cass., 29 nov. 1833, Dall.34.1.34.

8 Cass., 27 août 1831, Journ. du dr. crim., 1831, p. 257.

9 Cass., 26 mai 1853, Bull, n. 186.

de lubricité brutale qui sert de base à la poursuite; que cette boutique était accessible au public; que d'ailleurs les fenêtres donnant sur la cour étaient ouvertes, et que de la rue on pouvait sans obstacle pénétrer dans cette cour, dont la porte reste constamment ouverte pour donner accès au public; qu'en matière d'outrage à la pudeur, la publicité existe non-seulement au cas où l'acte immoral a été vu par une ou plusieurs personnes, mais aussi lorsqu'il a été offert aux regards du public, et que, par la nature du lieu où il a été commis, il a pu être aperçu même fortuitement; que dès lors, en déclarant que les faits présentaient le caractère d'outrage public à la pudeur, l'arrêt n'a pas violé l'art. 330 '. »

1519. Une autre décision réclame aussi quelques mots. Il s'agissait de propos diffamatoires tenus dans une voiture publique en présence de trois voyageurs. La Cour d'appel avait jugé, en fait, que ces propos n'avaient pas été proférés dans le sens de l'art. 1er de la loi du 17 mai 1819; la Cour de cassation a donc dû rejeter le pourvoi du ministère public, et elle a pu même décider, en principe, qu'une diligence n'était pas un lieu public dans les termes et l'esprit de cette loi 2. Mais il nous semblerait difficile d'étendre cette décision aux outrages à la pudeur, pour lesquels la loi n'a prescrit aucun mode spécial de publicité. Or, une voiture publique est un lieu ouvert à tous moyennant rétribution, accessible dès lors au public comme les salles de spectacle, les bals publics et les cabarets. A la vérité, le nombre de personnes qui peuvent y contenir est restreint, et cette circonstance peut influer sur la publicité des discours. Mais elle n'est pas indifférente, comme nous l'avons dit, pour la publicité des actes immoraux. Comment admettre que dans une voiture publique, où la réunion des voyageurs est forcée, où cette réunion est uniquement fondée sur le paiement de leurs places, l'un d'eux puisse impunément commettre aux yeux des autres un acte contraire à la pudeur? Est-ce donc là un acte de la vie privée ? L'agent est-il protégé par le sanctuaire de son domicile? N'outrage-t-il pas, autant qu'il

1 Cass., 23 déc. 1858, Bull. n. 317; 11 nov. 1869, n. 227.

* Cass., 27 août 1831, cité suprà, p. 212.

est possible de le faire, les regards et les sentiments honnêtes des personnes qui l'accompagnent ? Et la présence de ces personnes n'est-elle pas uniquement motivée sur ce qu'ils se trouvent les uns et les autres dans un lieu accessible à tous ? Nous n'hésitons donc point à penser que l'intérieur d'une voiture publique, qu'occupent plusieurs voyageurs, est un lieu public dans le sens de l'art. 330.

1520. Dans cette deuxième classe de lieux publics, comme dans la première, la perpétration de l'outrage suffit pour constituer le délit; seulement il faut que cette perpétration ait eu lieu pendant qu'ils étaient ouverts et accessibles, c'est-à-dire pendant qu'ils avaient un caractère public. Ainsi, l'outrage commis dans une église ouverte, dans une salle de spectacle pendant que le public y est assemblé, dans un café, constitue le délit, lors même qu'il n'aurait été vu que d'un petit nombre de personnes et même d'une seule. La loi, nous l'avons déjà remarqué, ne punit pas seulement le scandale, elle punit le fait immoral qui a pu l'occasionner. Mais encore faut-il qu'il ait pu l'occasionner. Dans une espèce ou l'arrêt qui condamnait les prévenus se bornait à constater « qu'ils avaient été vus se livrant à des actes honteux de débauche dans un lieu non public ni accidentellement ouvert aux regards du public, «< la cassation a été prononcée, «< attendu que le caractère essentiel du délit est la publicité; que la loi, qui veut protéger l'honnêteté publique et empêcher le scandale, punit le vice, soit qu'il se montre avec effronterie, soit même qu'il néglige de se cacher; mais qu'il est nécessaire, pour que la peine soit encourue, que l'acte immoral ait été offert aux regards du public; que, soit par la nature du lieu où il se commet, soit par une circonstance accidentelle, il ait pu être aperçu même fortuitement; qu'il n'en peut être ainsi d'un acte, quelque honteux qu'il soit, qui a pu n'être vu que par hasard ou même être épié par indiscrétion, sans qu'aucune circonstance extérieure, constitutive de la publicité, révèle chez l'auteur du fait le mépris de la pudeur publique 1. »

1521. Cette distinction importante doit servir à résoudre

1 Cass., 10 août 1854, Bull. n. 255.

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