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plusieurs questions délicates. Un outrage à la pudeur est commis dans une auberge : il faut distinguer, pour apprécier ce fait, dans quel lieu de l'auberge. Chaque chambre, lorsqu'elle est louée, cesse d'être un lieu public; elle cesse d'être ouverte à tout le monde, de faire partie de l'auberge; elle devient une chambre privée. Il n'y a, à proprement parler, que les salles communes qui soient publiques, et ce n'est que par une fiction démentie par les faits que cette chambre pourrait être réputée publique par cela seul qu'elle est dépendante de l'auberge qui est un lieu public. De là il suit que les actes contraires à la pudeur qui seraient commis dans une chambre louée, lorsqu'elle n'est pas ouverte, ne tombent pas sous les termes de la loi, lors même que quelque circonstance accidentelle, et qui ne pouvait être prévue, a permis de les voir ou de les entendre.

Il en est encore ainsi des mêmes actes qui seraient commis, non dans une voiture publique, mais dans une voiture privée, même louée à la course ou à l'heure, et circulant sur la voie publique. L'outrage qui y a été commis est punissable si la voiture était ouverte c'est ce qui a été jugé par un arrêt qui porte: «qu'il est constaté par le jugement attaqué que le véhicule dont il s'agit était ouvert de manière que les personnes fréquentant la route publique sur laquelle cette voiture circulait, ont pu voir les faits indécents et contraires à l'honnêteté publique dont le prévenu s'est rendu coupable envers la jeune fille; d'où il suit que la publicité de l'outrage fait à la pudeur est suffisamment établie1. » Mais si la voiture est fermée, le délit s'efface. C'est ce qui a été reconnu par un autre arrêt portant: «< que l'omission de déclarer que les actes pratiqués dans des voitures circulant sur la voie publique aient pu être aperçus du public, rend insuffisante la constatation de la publicité 2. »

Cette interprétation a été appliquée aux actes commis dans les wagons des chemins de fer. Le rejet d'un pourvoi fondé sur ce que la publicité n'était pas suffisamment constatée, est motivé

1 Cass., 23 fév. 1856, Bull. n. 83.
2 Cass., 26 mai 1853, Bull. n. 186.

en ces termes : « attendu qu'en matière d'outrage à la pudeur, la publicité existe, non-seulement lorsque l'acte immoral a été commis dans un lieu public, mais aussi lorsqu'il a été offert aux regards du public, ou que, par l'effet des circonstances qui l'ont accompagné, il a pu être aperçu du public, même fortuitement; qu'il résulte des constatations de l'arrêt que le prévenu, employé du chemin de fer, se trouvant seul avec une jeune fille de 13 ans et demi, dans un compartiment dont les glaces étaient baissées, s'est livré à plusieurs reprises sur la personne de celle-ci, à des actes obscènes ; qu'on pouvait voir du dehors ce qui se passait dans l'intérieur du wagon et que les actes incriminés ont pu être aperçus du public, sur un ou plusieurs points du trajet; qu'en tirant de l'ensemble de ces faits la conséquence que l'outrage à la pudeur avait le caractère prévu par l'art. 330, la Cour n'a fait qu'une saine application de la loi 1. »>

1522. Nous avons dit que l'outrage était public, non-seulement lorsqu'il était commis dans un lieu public, mais encore lorsque, commis hors d'un lieu de cette nature, il avait pu frapper les regards du public. En effet, la loi admet tous les genres de publicité : or, une réunion publique peut être convoquée dans un lieu privé; et d'un autre côté, un fait peut être commis même dans un lieu privé, et hors d'une réunion de manière à être aperçu du public; dans l'un et l'autre cas, ce fait, soit qu'il ait été commis dans une réunion publique, soit qu'il ait été commis en vue du public, n'est-il pas public? La publicité se puise dans toutes les circonstances qui peuvent rendre plusieurs personnes faisant partie d'une réunion publique, ou fortuitement placées sur la voie publique, témoins du fait; qu'importe donc que ce fait soit commis à une fenêtre ouvrant sur la rue ou dans cette rue même, dans un champ près duquel passe un chemin ou dans ce chemin; enfin, dans une réunion publique tenue dans une maison privée, ou dans la même réunion rassemblée dans une maison publique? Dans ces diverses hypothèses, la publicité n'est-elle pas la

1 Cass., 19 août 1869., Bull. n. 195.

même ? L'acte, dès lors, n'est-il pas empreint du même caractère?

La Cour de cassation n'a pas cessé de maintenir cette règle, soit en ce qui concerne les provocations verbales, soit en l'appliquant aux outrages à la pudeur. Elle a jugé, dans la première hypothèse : « que la publicité ne résulte pas seulement de ce qu'un fait s'est passé dans un lieu public, mais que cette publicité existe encore lorsque le fait a eu lieu dans une réunion publique ; qu'en effet, une réunion, quoique formée dans un lieu non public, peut devenir publique, soit par le concours d'un grand nombre de personnes que rassemblent ou l'intérêt ou la curiosité, ou même un danger commun, soit par la présence des autorités locales appelées par la voix publique ou par des réclamations particulières, soit enfin pour toute autre circonstance que la loi n'a pas spécifiée et dont elle a laissé aux juges l'appréciation1. » Appliquant le même principe par un autre arrêt, elle a encore jugé que l'exposition d'un signe séditieux faite sur une maison d'habitation, mais dans un lieu apparent et exposé par sa situation aux regards du public, devait être considérée comme publique'.

La même Cour a ensuite étendu cette règle aux outrages à la pudeur, en décidant que l'outrage commis dans un champ, mais à la vue de quelques personnes, était un outrage public; le jugement qui avait refusé de lui reconnaître ce caractère a été annulé : « attendu que, dans l'espèce, en spécifiant les circonstances desquelles il résultait que l'outrage à la pudeur avait été vu par quelques personnes, le jugement attaqué a décidé qu'il n'avait pas le caractère de publicité énoncé par l'article 330, parce qu'il n'avait pas été commis dans un lieu public; qu'ainsi ce jugement a exclusivement restreint la publicité de l'outrage à celle du lieu où il serait commis3. >>

1523. Un lieu privé par sa nature peut même, sous ce rap, port, donner lieu à la publicité de l'action, quand il est acces

1 Cass., 26 janv. 1826, Bull. n. 19.

2 Cass., 20 sept. 1832, Dall.33,1.75.

5 Cass., 22 fév. 1828, Bull. n. 48; 19 juill. 1845, Bull, n. 235.

sible aux regards, et que toutes les précautions n'ont pas été prises pour céler les faits honteux qui s'y passent. Il était reconnu par un arrêt : « que le prévenu aurait été vu par ses voisins, de la maison qu'ils habitent, se livrant, en plein jour, à la fenêtre de sa chambre toute grande ouverte, à l'acte honteux qui a motivé la poursuite; que c'est sans le chercher et par la seule disposition des localités que ces témoins déclarent avoir été spectateurs de ces actes, comme l'auraient pu être également tous ceux qui seraient venus dans leur maison. >> La Cour de cassation a jugé que ces faits ainsi précisés peuvent impliquer la publicité dans le sens de l'art. 330: « attendu qu'en effet, la disposition de cet article sur le caractère de la publicité l'énonce d'une manière générale et absolue; qu'elle se réfère à tous les genres de publicité que l'outrage est susceptible d'avoir; qu'il n'est pas essentiel que le lieu où l'acte immoral s'est accompli et celui d'où il a été aperçu soient publics ou séparés par une rue, place ou autre voie publique'. » Dans une autre espèce, des scènes honteuses qui se passaient à l'intérieur d'une maison avaient été aperçues par des individus qui se trouvaient sur la voie publique, et bien que certaines précautions eussent été prises contre la publicité, ces précautions avaient été insuffisantes; il a été décidé : « que s'il résulte de là que la publicité a été plus restreinte qu'elle n'aurait été autrement, elle n'en reste pas moins constante et imputable aux prévenus, à raison de l'insuffisance des précautions par eux prises et eu égard à la situation des lieux par rapport à la voie publique'. »

1524. Toutefois il est nécessaire, dans ces différentes hypothèses, qu'il y ait une possibilité certaine de publicité. Un arrêt avait décidé « que les actes, objet de la poursuite, s'étaient passés dans l'intérieur d'une maison, sur une partie de l'escalier qui n'était en vue ni de la voie publique, ni des maisons du voisinage, et hors la présence des témoins. » La Cour de cassation a rejeté le pourvoi : «< attendu que les faits ainsi constatés sont exclusifs de toute publicité et que, par suite, en ren

1 Cass., 2 avril 1859, Bull. n. 88.
2 Cass., 18 mars 1858, Bull. n. 95,

voyant le prévenu des fins de la plainte l'arrêt attaqué a sainement interprété l'art. 3301. » Le rejet d'un autre pourvoi est encore motivé sur ce que « les actes de débauche constatés par l'arrêt attaqué ont eu lieu dans la chambre de l'un des prévenus; que cette chambre était close et que personne n'a vu ni pu voir du dehors ce qui s'y passait; que l'unique témoin qui ait assisté à la scène était venu dans cette chambre par un motif particulier, appelé par l'un des prévenus pour faire leurs commissions, et que, si la pudeur de ce jeune apprenti a pu être offensée, il n'en résulte pas que celle du public l'ait été également 2. » Un autre arrêt déclare encore: << que s'il est vrai qu'en matière d'outrage à la pudeur, la publicité peut résulter de la nature des lieux où il s'accomplit; que s'il en est ainsi, par exemple, lorsqu'il a été perpétré dans les rues, sur les places et autres voies publiques, fût-ce même la nuit et loin des regards de tout témoin, il n'en peut-être de même à l'égard de certains lieux qui ne sont publics qu'à des heures déterminées, comme uue salle d'école, une salle de spectacle; qu'il est constaté qu'au moment où la jeune fille, élève de l'inculpé, a pu être outragée, l'heure de la classe était passée; que cette jeune fille avait été sous un faux prétexte retenue, seule avec le maître, dans l'intérieur de la salle d'école, que l'arrêt ajoute qu'on ne saurait douter que ce dernier avait pris soin de fermer les portes; que l'outrage n'avait eu aucun témoin ni frappé les yeux de personne ; que l'outrage manquait donc de la publicité3. »

1525. Les éléments du délit se résument donc à ceux-ci : il faut qu'un outrage à la pudeur ait été commis, et cet outrage ne peut résulter que d'un fait matériel; il faut, en second lieu, que cet outrage ait été public, et cette publicité se puise soit dans la nature publique du lieu de sa perpétration, soit dans les circonstances qui l'ont accompagné. Le jugement doit donc nécessairement, et à peine de nullité, constater ces

1 Cass., 7 nov. 1863, Bull. n. 259.

2 Cass., 23 avril 1869, Bull. n. 95.

3 Cass., 1er mai 1863, Bull, n. 134; 3 mars 1864, n. 55,

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