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mancipia habuerit; sed et qui in liberis hunc quæstum exercet in eâdem causa est'. C'était le prix reçu qui constituait le délit, car c'est dans ce prix que gît l'infamie: Plectitur et qui pretium pro comperto stupro acceperit; nec interest utrùm maritus sit qui acceperit, an alius quilibet. Quicumque enim ob conscientiam stupri accepit aliquid, pœnâ erit plectendus; cæterùm si gratis quis remisit, ad legem non pertinet'. La peine de ce trafic infâme fut d'abord arbitraire; les empereurs Théodose et Valentinien prononcèrent la confiscation des biens, l'exil et les travaux des mines contre les pères et les maîtres qui prostituaient leurs filles ou leurs esclaves : Lenones patres et dominos qui, suis filiabus vel ancillis peccandi necessitatem imponunt, nec jure frui dominii... nec tanti criminis patimur libertate gaudere... ità ut amittant non solùm eam quam habuerint potestatem, sed proscripti pœnæ mancipentur exilii metallis addicendi publicis. Mais ces diverses peines parurent bientôt insuffisantes : la peine de mort fut prononcée toutes les fois qu'il était prouvé que les proxénètes avaient reçu de l'argent, qu'ils étaient dans l'habitude d'en recevoir pour leur honteux commerce, enfin qu'ils avaient tendu des embûches à de jeunes filles pour les faire tomber dans la débauche. Voici le texte de la loi : Ipsos lenones jubemus extrà hanc fieri civitatem tanquam pestiferos et communis castitatis vassatores factos, et liberas ancillasque requirentes et deducentes ad hujusmodi necessitatem et decipientes et habentes educatas ad universam confusionem. Præconisamus itaquè quia si quis de cætero præsumpserit invitam puellam assumere, et habere ad necessitatem puellam et fornicationis tibi deferentem quæstum, hunc necesse est omnia novissima sustinere supplicia*.

Voilà le délit bien défini : c'est le fait de corrompre des esclaves et des femmes libres, et de les livrer à des tiers à prix d'argent. Telle est aussi la définition qu'en donne Farinacius:

1 L. 4, § 2, Dig. eod. tit. La loi 43, § 7, Dig. de ritu nuptiarum, porte également Lenas eas dicimus quæ mulieres quæstuarias prostituunt.

2 L. 29, § 3, Dig. ad leg. Jul. de adulteriis.

3 L. 6, C. De spectaculis et leonibus.

4 Nov. 14, De leonibus.

Leno dicitur is qui quæstuarias fœminas habet, in illisque quæstum exercet. Dambouderius, cap. 81, p. 288, s'exprime en termes trop précis pour que nous ne les reproduisions pas : Generalius adulterio crimen est lenocinium, hoc est nefarium illud scelus, quo quis ex publicis scortationibus, ex adulteriis, ex deflorationibus, aut ex fornicationibus sibi quæstum facit: non quidem proprio corpore, sed virgines, mulieres, matronas, aliorum uxores aut meretrices, hujus quoestis gratiâ, ad actum venereum aut publicè aut occultè pollicens, vel etiam ad hoc privatim domi habens, et ex eo meretricio meritorioque quæstu vivens.

1530. Notre ancienne législation avait recueilli cette incrimination sans la modifier. Elle lui assigna, dans son naïf langage, un nom qui explique la pensée du législateur, et dont les auteurs ont eu le soin de définir le sens avec clarté. « Le maquerellage, dit Jousse, est le crime de ceux qui favorisent la débauche en procurant des femmes ou des filles prostituées, soit pour argent ou autrement, ou qui attirent les jeunes gens dans les lieux de débauche et de prostitution, à la sollicitation des femmes et des filles qui exercent cet infâme métier. » Les peines infligées à ce délit variaient suivant les coutumes et la jurisprudence: c'étaient le fouet, le pilori, la marque, le bannissement. Le parlement de Paris faisait promener le coupable sur un âne, par les carrefours de la ville, le visage tourné vers la queue, avec un chapeau de paille sur la tête et un écriteau indiquant le délit. Le parlement de Toulouse les faisait plonger à trois fois différentes dans la rivière'. Mais, de même que, dans le droit romain, ces peines n'étaient appliquées qu'au trafic, au métier, à la profession de proxénète; ainsi, Jousse et Muyart de Vouglans notent comme une condition du délit, qu'il ait été commis à prix d'argent "; et Farinacius, après avoir rappelé la même condition, causâ quæstûs et lucri habendi", ajoute que plusieurs actes de ce honteux métier

1 Quæst. 144, num. 17,

Traité de just. crim., t. 3, p. 810.

3 Jousse, ibid.; Muyart de Vouglans, p. 216. Jousse et Muyart de Vouglans, loc. cit.

5 Quæst. 144, num. 17.

sont nécessaires pour que la peine puisse être appliquée: Non dicitur leno, nec lenocinii pœnâ punitur, qui semel tantùm lenocinium fecit; requiritur enim consuetudo saltem per trinum actum 1.

Toutefois, la loi romaine et notre ancienne législation, à côté de ces dispositions, portaient des pénalités contre ceux qui, dans certains cas, exerçaient des actes de corruption, non par une pensée de lucre, mais pour eux-mêmes et pour satisfaire leurs passions. Ainsi, la corruption d'une vierge au-dessous de 10 ans était punie de la peine des mines ou de l'exil: Qui nundùm viripotentes virgines corrumpunt, humiliores in metallum damnantur; honestiores in insulam relegantur aut in exilium mittuntur. L'excitation à la débauche d'un enfant, après avoir employé des moyens frauduleux et criminels pour le détourner, était punie de la déportation dans une île et même de la peine capitale : Qui puero stuprum abducto ab eo vel corrupto comite persuaserit,.... perfecto flagitio punitur capite; imperfecto in insulâ deportatur. Enfin, la séduction d'une vierge ou d'une femme honnête était punie de la confiscation de la moitié des biens, et, dans certains cas, de la relégation, quand cette séduction était accompagnée de fraude: Eâdem lege Julia flagitium punitur cùm quis sine vi vel virginem vel viduam honestè viventem stupraveriť“. Mais il faut bien remarquer que, dans les deux premiers cas, la corruption n'était incriminée que parce qu'elle s'exerçait sur des enfants impubères; le délit cessait dès que la jeune fille avait atteint l'âge de puberté; et, dans le troisième, c'étaient les promesses fallacieuses et la fraude que la loi punissait plutôt que la séduction même. Ainsi, la loi incriminait certaines circonstances concomitantes de la corruption exercée dans l'intérêt de la passion personnelle; elle ne punissait pas cette corruption isolée de ces circonstances".

1 Quæst. 144, num. 35.

2 L. 38, § 4, Dig. de pœnis; Damhouderius, cap. 94, num. 7.

3 L. 1, § 2, Dig. de extraord. criminibus.

Instit., lib. 4, tit. 18, de publ. judic., p. 4.

Ce n'était jamais dans l'acte de la corruption, mais dans la circonstance extrinsèque à cet acte, que la peine puisait sa gravité. Ainsi le tuteur qui avait

Il en était de même sous notre ancien droit: le stupre et le rapt de séduction figuraient au nombre des délits; mais le stupre était, ainsi que l'atteste Muyart de Vouglans, le fait d'abuser d'une fille honnête sous l'espérance du mariage; et le rapt de séduction était, suivant le même auteur, la subornation d'une fille mineure par des voies illicites et artificieuses, pour parvenir à un mariage clandestin contre le gré de la famille, raptus in parentes. Ce n'était donc point l'acte de corruption exercé au profit de la passion et dans un intérêt personnel que la législation avait voulu punir; c'étaient deux faits particuliers, entièrement distincts de la corruption ellemême là, la fausse promesse de mariage employée comme moyen de séduction; ici, des mariages où l'honneur des familles se trouvait compromis par l'inégalité de la naissance 3; c'est la fraude pratiquée pour corrompre, c'est la perturbation jetée dans la famille par l'alliance, qui font l'objet des deux incriminations; mais l'acte de corruption personnelle, dégagé de cette fraude et de cet effet, restait en dehors de ces dispositions pénales.

Ainsi, aucune assimilation n'existait, soit dans la loi romaine, soit dans l'ancien droit, entre le métier de proxénète et la séduction personnelle; ainsi, la séduction n'était point punie pour elle-même, mais seulement à raison des circonstances qui l'accompagnaient et qui constituaient elles-mêmes des délits; ainsi, ces délits étaient distincts du proxénétisme, punis de peines différentes, incriminés séparément. Arrivons mainnant à la législation nouvelle.

1531. L'assemblée constituante fit la part des mœurs et proscrivit les incriminations de la loi ancienne contre le stupre et le rapt de séduction: elle ne conserva, parmi les différents

abusé de sa pupille était puni de la déportation; l. un. C. si quis eam cujus tutor fuit corr.; et la peine s'aggravait encore à l'égard de l'esclave qui avait corrompu sa maîtresse; l. un. au C. de mulieribus quæ serv. prop. se junxerunt; à l'égard du juif qui avait séduit une chrétienne, l. 6, au C. de judæis et suprà. 1 Lois crim., p. 211.

2 L. crim., p. 231, et Jousse, t. 3, p. 727.

3 V. Décl. du 26 nov. 1639, art. 3; préambule de la déclaration de mars 1697; décl. du 22 nov. 1730.

modes de séduction qui donnaient auparavant lieu à des poursuites, que le seul délit de proxénétisme. L'art. 8 du titre 2 de la loi du 19-22 juillet 1791 pórte: «Ceux qui seraient prévenus d'avoir favorisé la débauche ou corrompu des jeunes gens de l'un ou de l'autre sexe, pourront être saisis sur-lechamp; » et l'art. 9 reprend dans sa deuxième disposition : « Quant aux personnes qui auraient favorisé la débauche ou corrompu les jeunes gens de l'un ou de l'autre sexe, elles seront, outre l'amende, condamnées à une année de prison. >> Ces dispositions, dans la pensée du législateur, ne s'appliquaient qu'au seul proxénète, et nullement au séducteur: on en trouve la preuve dans un message adressé, le 17 nivôse an iv, par le Directoire exécutif au Conseil des Cinq-Cents, au sujet des filles publiques, et dans lequel il est dit : « La loi du 19 juillet 1791 a classé au nombre des délits soumis à la police correctionnelle la corruption des jeunes gens de l'un ou de l'autre sexe, elle en a déterminé la peine, mais cette disposition s'applique proprement au métier infâme de ces êtres affreux qui débauchent et prostituent la jeunesse 1. »

1532. Ces dispositions n'ont reçu aucune atteinte jusqu'au Code pénal dans lequel elles sont venues se confondre; on lit dans l'exposé des motifs: « Le Code prononce des peines de police correctionnelle contre les personnes convaincues d'avoir débauché ou corrompu la jeunesse : il est en ce point conforme à l'ancienne loi. » Mais M. Monseignat révèle l'esprit du Code dans son rapport au Corps législatif: « En nous occupant des attentats aux mœurs, comment ne pas signaler ces êtres qui ne vivent que pour et par la débauche, qui, rebut des deux sexes, se font un état de leur rapprochement mercenaire, et spéculent sur l'âge, l'inexpérience et la misère pour colporter le vice et alimenter la corruption? Des législateurs ne les ont punis que du mépris public; mais que peut le mépris sur des âmes aussi avilies? Punit-on par l'infamie des personnes qui en font leur élément? C'est par des châtiments, c'est par un emprisonnement et une amende que le projet de loi a

1 V. Rép., t. 2, p. 247. Merlin, en rapportant ce passage, ajoute dans une note : « Il en est de même de l'art. 334 du Code pénal de 1810..

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