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entre ceux qui leur infiltrent les premiers sentiments de corruption et ceux qui les entretiennent dans ces sentiments? Ces derniers ne sont pas quelquefois les moins coupables : les uns et les autres doivent être soumis aux mêmes peines. Les proxénètes seraient-ils excusables si les jeunes filles qu'ils livrent à la prostitution ont été inscrites à la police, et semblent avoir reçu de cette inscription une autorisation tacite ? La réponse doit être négative. Les livrets et l'inscription des filles publiques sur les registres de la police ne sont point de sa part une autorisation de se livrer à la prostitution; cette mesure, prise dans un intérêt public, n'a d'autre but que de les soumettre à la surveillance de l'autorité et aux visites médicales qu'elle prescrit. La police doit nécessairement soumettre les filles mineures aux mesures de surveillance communes à toutes les filles publiques; il est donc impossible de voir dans ces mesures une autorisation qui puisse devenir une excuse du délit. C'est aussi dans ce sens que la Cour de cassation a résolu cette question, en déclarant : « que l'art. 334 punit également ceux qui attentent aux mœurs, en excitant, favorisant ou facilitant habituellement, soit la débauche, soit la corruption des jeunes gens de l'un et de l'autre sexe au-dessous de l'âge de 21 ans ; que si, parmi plusieurs filles publiques dont le prévenu était accusé de faciliter la débauche, il en était une âgée de moins de 21 ans, le tribunal a décidé, en droit, que cette fille étant inscrite à la police sur la liste des filles publiques, le prévenu était fondé à croire, par cela seul, que cette fille était âgée de plus de 21 ans, et qu'à raison de ce, la peine portée par l'art. 334 ne lui était pas applicable; que, par une telle décision, le tribunal a créé une exception qui n'est point dans la loi, et que par suite il a violé la disposition de l'art. 334, qui punit tous ceux qui attentent aux mœurs, en excitant, favorisant ou facilitant habituellement la débauche des jeunes gens au-dessous de 21 ans1. »>

1550. Ceci nous conduit à l'application qui peut être faite de l'art. 334 aux filles publiques. Ces femmes sont tolérées dans

1 Cass., 17 nov. 1826, Bull. n. 230, et dans le même sens, Douai, 5 fév. 1830, Journ. du dr. crim., 1830, p. 82. V. aussi Cass, 12 déc. 1863, Bull. n. 293; 5 mars 1863, n. 81.

l'exercice de leur ignoble profession; mais cette tolérance, suivant les termes du réquisitoire qui a précédé l'arrêt dont nous allons parler, « ne va pas au delà du concubinage simple, qu'il n'y a pas moyen d'empêcher, et qui en soi est une faute grave, et non pas un délit. » Dans ce cas, malgré ses actes habituels et répétés de débauche, la fille publique n'est pas poursuivie. Mais la tolérance ne peut aller au delà; elle ne peut couvrir ce qui est excessif, elle ne peut s'étendre à des faits qui prennent le caractère de délit. Ainsi, dans une espèce où il était constaté qu'une fille publique recevait dans sa chambre plusieurs mineurs à la fois et qu'elle se livrait à la prostitution avec chacun d'eux successivement, il a été jugé que ce n'était pas là un acte d'exercice de sa profession, mais un cas d'application de l'article 334, «< puisque, indépendamment de ce que cette femme se rendait l'instrument volontaire de la corruption et de la débauche de ceux à qui elle se prostituait, le fait seul qu'elle donnait volontairement et sciemment à des mineurs le spectacle de pareilles scènes d'impudicité, impliquait virtuellement, et par la nature même des choses, une corruption et une excitation de ces jeunes gens à la débauche1. » Et, en effet, comment justifier la fille publique ? Dira-t-on qu'elle ne faisait qu'exercer son métier et se procurer un lucre? Cela ne serait pas exact, car son métier, qui est de se livrer au concubinage, ne lui donne pas le droit d'exciter impunément les mineurs à la débauche; elle peut faire un acte de débauche, elle ne peut pas leur enseigner la débauche par le spectacle de ses actes. Soutiendra-t-on que du moins elle ne faisait pas acte de proxénétisme? Cela est vrai, mais elle était un intermédiaire de corruption à l'égard des jeunes gens qu'elle rendait témoins de sa prostitution, et les excitait à la débauche, non-seulement en vue du profit qu'elle en attendait, mais en même temps en vue de les corrompre et de les dégrader.

1551. Nous avons vu que le séducteur, qui ne cherche que la satisfaction de ses passions, coupable aux yeux de la morale, demeure à l'abri de l'application pénale. En est-il ainsi s'il emploie des moyens réprouvés par la loi, s'il s'associe à des

1 Cass., 7 juill. 1859, Bull, n. 168.

manœuvres punissables, s'il se rend complice du proxénète qui le sert ? Il semble, à la première vue, qu'il y a une sorte de contradiction à saisir le séducteur, que la loi n'a pas voulu punir, comme complice de l'agent qu'il a employé pour consommer la séduction; car s'il est exempt de la peine à raison, du fait de séduction, comment y serait-il exposé à raison des moyens dont il s'est servi pour accomplir ce fait? Mais on peut opposer à cette objection une double réponse. La première est que la règle qui saisit les complices de tous les délits n'a pas fait d'exception. La Cour de cassation, après avoir posé le principe de la complicité de l'attentat aux mœurs dans deux arrêts', a donc pu l'appliquer explicitement par un arrêt qui déclare : « que si l'art. 334 doit être entendu en ce sens qu'il n'atteint que celui qui s'est employé comme entremetteur à exciter, favoriser ou faciliter habituellement la corruption de la jeunesse dans l'intérêt des passions d'autrui, il ne résulte aucunement de cette interprétation que cet article exclut la complicité du corrupteur qui, par dons ou promesses, a provoqué, pour satisfaire son libertinage, l'intervention du proxénétisme; que l'incrimination résultant de la complicité est une règle générale qui s'applique à tous les délits, lorsqu'elle n'est pas exclue par une disposition formelle qui, au cas particulier, n'existe pas '.» La deuxième réponse est que le séducteur ne peut être réputé complice qu'à deux conditions: il faut qu'il ait employé l'un des modes de complicité prévus par l'art. 60; il faut qu'il ait participé à tous les actes nécessaires pour constituer le délit et par conséquent à l'habitude qui doit caractériser les actes soit du proxénète, soit de l'intermédiaire. Or cette double condition est, ainsi qu'on va le voir, une garantie suffisante que la réserve prudente de la loi ne sera point éludée.

1552. En ce qui touche les modes de complicité, l'arrêt qui vient d'être cité ajoute avec raison: « qu'on objecterait vainement que cette interprétation de la loi annule les conséquences légales de la restriction au proxénète de l'application de l'article 334; qu'en effet, celui qui n'a commis qu'un acte de sé

1 Cass., 5 août 1841, Bull. n. 226; 29 avril 1842, Bull, n. 104.

2 Cass., 10 nov. 1860, Bull. n. 231; 13 fév. 1863, n. 47.

duction personnelle et directe, sans recourir à un agent intermédiaire de corruption, n'en reste pas moins en dehors de l'application de la loi pénale; mais que cette immunité légale n'a plus sa raison d'être, et conséquemment doit cesser d'exister, lorsque, dans des circonstances évidemment plus coupables, le séducteur a fait appel à l'intervention d'un tiers pour parvenir à satisfaire ses passions personnelles; que, dans ce cas, lorsque la provocation se produit dans les conditions de l'art. 60, le séducteur devient le complice du proxénète et se rend passible de la peine édictée en l'art. 334; qu'il doit en être ainsi alors même que les remises d'argent, les dons ou promesses destinés à salarier l'intermédiaire n'auraient pas été habituellement effectués, l'habitude nécessaire pour caractériser le délit d'accusation à la débauche n'étant pas exigée par l'art. 60 pour constituer la provocation par dons ou promesses et la complicité qui en est la conséquence légale. »

1553. Mais, en ce qui touche la participation à tous les actes du proxénétisme, la question devient délicate, car il n'y a pas de complicité si l'agent ne s'est pas associé à tous les actes élémentaires du délit; or, comme l'habitude est l'un de ces éléments, il s'ensuit que le séducteur ne peut être atteint que s'il a habituellement participé aux actes du proxénète. Dans une espèce où un individu avait emmené aveclui une jeune fille mineure et l'avait gardée pendant onze jours, après avoir donné 20 francs à ses père et mère et leur avoir fait des promesses, une poursuite pour complicité d'attentat aux mœurs fut intentée contre lui. Condamné en vertu des art. 60 et 334, il s'est pourvu, et l'arrêt a été cassé : « attendu qu'il ne suffit pas que l'habitude de l'excitation à la débauche soit prouvée contre l'entremetteur ou le proxénète par rapport à d'autres individus, qu'il faut encore que cette habitude existe par rapport au complice et dans les relations qui se sont établies entre ce dernier et l'agent intermédiaire de la corruption; que les faits constatés n'établissent pas que les père et mère aient excité habituellement leur fille à se livrer au prévenu; que si ultérieurement des relations suivies et habituelles se sont établies entre le prévenu et la jeune fille, cette circonstance, postérieure au pacte immoral consenti par les père et mère, ne

saurait constituer à leur égard l'habitude de l'excitation, parce que rien n'établit qu'après s'être séparés de leur fille, ils aient persévéré dans le consentement donné à sa prostitution1. »> Ainsi, il faut reconnaître d'abord, avec cet arrêt, que, dans l'espèce, l'habitude ne pouvait résulter ni de la réitération des dons et promesses, puisque ces dons et promesses n'étaient que le prix d'une seule convention, d'un seul marché; ni de la durée de la cohabitation de la jeune fille avec le séducteur, puisque cette cohabitation était un fait postérieur au délit. Elle pouvait en être la conséquence, elle ne pouvait en aucun cas en être un élément. L'habitude prévue par la loi est l'emploi habituel des moyens propres à amener la corruption, et non l'habitude de cette corruption elle-même ; elle consiste dans la réitération des mêmes moyens, dans les efforts mis en usage pour procurer la débauche, et non dans la durée de cette débauche. Mais est-il vrai qu'elle puisse résulter de la persistance et de la continuation du consentement des père et mère? Il est clair qu'elle doit se manifester par une série d'actes qui établissent, à l'égard de l'intermédiaire, l'intention de continuer son entremise et d'en faire en quelque sorte son métier, et à l'égard du séducteur, la participation aux actes nécessaires pour qu'il y ait, en ce qui le concerne, emploi habituel de ces moyens. Un seul acte de connivence, une seule stipulation, lors même que cette stipulation aurait été exprimée à plusieurs reprises ou que son exécution se serait manifestée par plusieurs actes, ne constituerait pas l'habitude relativement au séducteur; cette circonstance ne peut résulter que d'actes distincts successivement employés par le proxénète, lors même qu'ils n'auraient qu'un même but et que l'entremise n'aurait eu pour objet qu'une seule personne.

1554. En terminant nos observations sur l'art. 334, nous ne devons pas omettre de mentionner la modification que la commission du Corps législatif propcsait, en 1863, d'introduire dans cet article, bien que cette modification n'ait pas été adoptée. Il ne faut pas qu'on puisse donner à cette proposition et à ce rejet un caractère qu'ils n'ont pas eu. La proposition était due à l'initiative de la commission. On lit dans son rapport :

1 Même arrêt.

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