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« Des termes de l'art. 334, qui ne définit pas assez nettement les faits qu'il a l'intention de punir, sont nées trois questions' principales. L'excitation à la débauche n'est-elle que le délit des proxénètes, c'est-à-dire des personnes qui font métier de cet infâme trafic, et qui n'ont en vue, en servant les passions d'autrui, que le profit qu'elles doivent en retirer, ou bien comprend-elle en outre ceux qui excitent à la corruption, non plus par métier et pour les autres, mais pour eux-mêmes et pour satisfaire leurs propres passions? L'habitude d'excitation à la débauche existe-t-elle par cela seul qu'elle se manifeste par des actes réitérés sur la même personne, ou bien cette habitude exige-t-elle essentiellement la pluralité des victimes? L'excitation à la débauche des mineurs imputables aux pères, mères, tuteurs ou autres personnes chargées de leur surveillance, exige-t-elle le concours de l'habitude pour constituer le délit ? Ces questions sont graves; elles ont été souvent portées devant les tribunaux et elles ont reçu des solutions contradictoires. >>

Le rapport, après avoir résumé en quelques lignes les motifs de la décision que nous avons développée (n° 1543 et suivants), ajoute :

• Par toutes ces raisons, nous n'avons pas hésité à déclarer que l'excitation à la débauche ne serait un délit que lorsqu'elle serait imputable au proxénète et aurait pour but de satisfaire les passions d'autrui. Nous pensons aussi qu'il y a métier honteux et punissable, aussi bien lorsque l'agent a plusieurs fois tiré profit d'un acte de la même nature à l'égard d'une seule et même personne, que lorsqu'il a trafiqué de plusieurs, et nous disons nettement que l'habitude d'excitation à la débauche résulte aussi bien d'une seule que de la pluralité des victimes. Enfin, quoique le texte actuel exige évidemment l'habitude dans tous les cas, même alors que l'instigateur est le père ou la mère de la victime, ou une des personnes chargées de sa surveillance, nous n'hésitons pas à vous proposer sur ce point une modification qui mettra la loi d'accord avec la morale. En conséquence, nous avons proposé de rectifier l'art. 334 ainsi qu'il suit ; Quiconque, dans le but de satisfaire les passions d'autrui, aura attenté aux mœurs, en excitant, favorisant ou facilitant habituellement la débauche ou la corruption d'une ou de plusieurs personnes de l'un ou de l'autre sexe, au-dessous de l'âge de 21 ans, sera puni d'un emprisonnement de six mois à deux ans, et d'une amende de 50 à 500 francs. Si la prostitution ou la corruption a été excitée, favorisée ou facilitée, même sans qu'il y ait habitude, par leurs pères, mères, tuteurs, ou autres personnes chargées de leur surveillance, la peine sera de deux ans à cinq ans d'emprisonnement, et de 300 à 1,000 francs d'amende. »

Lorsque cet article a été mis en délibération dans le Corps législatif, le rapporteur a demandé qu'il fût renvoyé à la commission pour être examiné de nouveau. Un député a demandé son rejet. Ses motifs ont été que l'article du Code se prête

TOME IV.

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mieux à la répression des attentats aux mœurs que le texte de la commission; que la jurisprudence, en interprétant cet article, avait pris d'excellentes solutions que la rédaction nouvelle allait renverser et qu'il était utile de maintenir, avec le texte de la loi, une jurisprudence qui en avait fait une saine application. M. Cordoën, commissaire du Gouvernement, a appuyé cette opinion:

Je crois, a dit M. Cordoën, qu'il est plus utile de revenir à l'art. 334 ancien et de laisser la jurisprudence achever l'œuvre qu'elle a commencée. La Cour de cassation, après avoir décidé que l'art. 334 ne s'appliquerait pas à la séduction personnelle, et qu'il y aurait plus d'inconvénient que d'avantage à toucher à la séduction personnelle quand elle se renferme dans le mystère du foyer domestique, a décidé que toutes les fois qu'on sortait de la séduction exclusivement personnelle, on rentrait dans les termes aussi bien que dans l'esprit de l'art. 334, Je ne parle pas des exceptions faites par la jurisprudence; mais ce qui me paraissait extrêmement regrettable, c'était l'addition de ces mots : Dans le but de satisfaire les passions d'autrui. » J'avais la crainte que l'addition de ces mots n'empêchât le maintien d'une jurisprudence qui était éminemment utile, éminemment morale. Lorsque l'homme débauché, au lieu d'exercer la séduction personnelle sur un seul mineur, l'exerçait sur deux à la fois, en présence l'un de l'autre, la Cour de cassation déclarait qu'il y avait là en quelque sorte un enseignement de débauche et que l'enseignement de débauche, en agissant d'un mineur sur l'autre, constituait l'excitation la plus odieuse et la plus caractérisée. Avec les expressions introduites dans l'art. 334, toute cette jurisprudence, qui s'était formée peu à peu comme par une sorte d'alluvion, devenait impossible; et c'est pour cela que nous louons M. Nogent-Saint-Laurens d'avoir demandé le rejet de l'article de la commission et le retour à l'ancien art. 334 du Code, qui, sérieusement appliqué, suffira à la protection efficace de la morale publique. »`

L'article de la commission a été rejeté, et le rapporteur a dit « Vous en comprenez la conséquence, c'est le retour à l'ancien article du Code pénal. » Il résulte de ces explications que les motifs du rejet ont été, non la pensée d'attaquer la doctrine professée par la commission, mais uniquement la crainte d'affaiblir et d'ébranler la jurisprudence fondée sur le texte du Code. L'art. 334 est donc maintenu purement et simplement, sans qu'on puisse induire de cette disposition aucun élément de nature à modifier l'interprétation qui lui a été donnée par les arrêts de la Cour de cassation que nous avons rapportés.

1555. Il est essentiel enfin de remarquer la différence ca

ractéristique qui sépare l'attentat aux mœurs, soit de l'outrage public, soit de l'attentat à la pudeur. L'outrage public et l'attentat à la pudeur se manifestent par des actes immédiats et licencieux qui sont commis soit publiquement, soit sur la personne d'autrui, et qui sont de nature à blesser soit la décence publique, soit la pudeur de la personne qui les subit. L'attentat aux mœurs suppose, au contraire, une séduction calculée et secrète; les actes qui le constituent, couverts d'un voile épais, consistent dans des paroles provocatrices, dans des propositions infâmes, dans le concours donné à la prostitution : ils ne se révèlent guère que par leurs effets. Ainsi ces délits ne sont pas seulement distincts, ils prennent leur source dans un ordre de faits différents, dans une criminalité particulière les premiers dérivent d'un désordre effréné des sens; l'autre, d'une flétrissante corruption qui se met au service des passions d'autrui pour en profiter. De cette distinction découle une double conséquence.

La première est que le délit d'attentat aux mœurs ne pourrait être posé, dans une accusation d'attentat à la pudeur, comme une modification du fait principal et comme question résultant des débats. Ce serait une accusation nouvelle, fondée sur une appréciation distincte des mêmes faits, et non une modification subsidiaire de cette accusation. La Cour de cassation a paru adopter cette décision lorsqu'elle a déclaré : «que le délit d'attentat aux mœurs ne peut être posé comme alternative et résultant des mêmes faits avec les mêmes crimes prévus par les art. 331, 332 et 333 du Code pénal1. »

La deuxième conséquence est que l'acquittement de l'accusation d'attentat à la pudeur ou de viol n'est point un obstacle à ce que l'accusé sɔit de nouveau poursuivi pour attentat aux mœurs, lorsque le même fait sert, en partie du moins, de base aux nouvelles poursuites. La Cour de cassation l'a ainsi jugé sous l'empire d'une jurisprudence qui considère comme un attentat aux mœurs la séduction opérée dans un intérêt personnel et par conséquent qui établit d'intimes rapports entre ce délit et l'attentat à la pudeur. L'arrêt qui consacre cette décision,

1 Cass., 11 mai 1832, Dev. et Car., 1832.1.831.

après avoir établi que l'acquittement de l'accusé, dans le système du Code d'instruction criminelle, ne purge que l'accusation sur laquelle le jury a prononcé, et non les autres accusations auxquelles le même fait peut donner lieu, ajoute : « que l'attentat aux mœurs, objet de l'art. 334 qui ne le range que dans la classe des délits, est un fait essentiellement différent du fait du viol; que le prévenu poursuivi et jugé pour délit d'attentat aux mœurs, depuis son acquittement du crime de viol n'est donc pas poursuivi et jugé à raison du même fait; qu'il n'y a donc pas dans sa condamnation à raison de ce délit violation de l'art. 360 du Code d'instruction criminelle1. » A plus forte raison faudrait-il le décider ainsi, si l'on restitue au délit d'attentat aux mœurs ses véritables éléments, car la séparation plus profonde qui le distingue alors des crimes contre la pudeur, et le caractère spécial que la loi lui a imprimé, ne permettent pas de le considérer comme compris dans une accusation qui ne portait que sur l'un de ces crimes.

Mais si le délit d'excitation habituelle à la débauche a été l'objet de la première poursuite, et que l'acquittement ait été fondé sur ce que la réunion des faits qui doivent former l'habitude n'était pas établie, on ne pourrait renouveler cette poursuite sous prétexte que de nouveaux faits, postérieurement découverts, peuvent, réunis aux premiers, constituer cette habitude, élément du délit : car les premiers faits faisaient partie de la prévention qui a été jugée; ils sont donc couverts par l'acquittement; ils ne peuvent servir d'élément à une nouvelle prévention, sans violer la maxime non bis in idem. Les derniers faits peuvent motiver une autre poursuite, mais ils ne peuvent faire revivre les faits anéantis par le premier jugement 3. » 1556. Les peines du délit d'attentat aux mœurs sont, aux termes de l'art. 334, un emprisonnement de six mois à deux

1 Cass., 22 nov. 1816, Devill., p. 251; Dall., t. 2, p. 595; 5 juill. 1834, Journ. du dr. crim., 1834, p. 233; 13 avril 1845, Bull. n. 125.

2 Merlin, Rép., v° Non bis in idem, n. 5 bis ; Legraverend, t. 1o, Mangin, Traité de l'act. publ., n. 409.

p. 446;

3 V. toutefois dans un sens contraire, en matière d'injure, Cass., 5 août 1826, Bull. p. 431; cet arrêt a été critiqué par M. Mangin, Traité de l'act. publ., t. 2, p. 352.

ans, et une amende de 50 à 500 francs, à l'égard des simples proxénètes; et ces peines s'élèvent, l'emprisonnement de deux ans à cinq ans, et l'amende de 300 à 1,000 fr., à l'égard des personnes chargées de la surveillance des mineurs. Mais l'article 335 a attaché à ces peines principales plusieurs peines accessoires; cet article est ainsi conçu : « Les coupables du délit mentionné au précédent article seront interdits de toute tutelle et curatelle et de toute participation aux conseils de famille, savoir les individus auxquels s'applique le premier paragraphe de cet article, pendant deux ans au moins et cinq ans au plus, et ceux dont il est parlé au deuxième paragraphe, pendant dix ans au moins et vingt au plus. Si le délit a été commis par le père ou la mère, le coupable sera de plus privé des droits et avantages à lui accordés sur la personne et les biens de l'enfant par le Code civil. Dans tous les cas, les coupables pourront de plus être mis par l'arrêt ou le jugement sous la surveillance de la haute police, en observant pour la durée de la surveillance ce qui vient d'être établi pour la durée de l'interdiction mentionnée au présent article. »

Nous nous bornerons à faire remarquer sur cet article : 1° que l'interdiction des fonctions de tuteur et d'assistance aux conseils de famille est nécessaire et non facultative: la fixation de la durée de cette interdiction est seule laissée aux tribunaux; 2° que les pères et mères déclarés coupables ne sont privés de leurs droits et avantages qu'à l'égard des enfants dont ils ont favorisé la débauche: ils conservent les droits de la puissance paternelle sur la personne et les biens de leurs autres enfants; l'art. 335, en effet, parle restrictivement de l'enfant, et dès lors la peine ne peut être étendue au delà de ses termes; 3° que la surveillance n'est point une conséquence nécessaire de la condamnation; purement facultative, c'est aux juges qu'il convient de l'appliquer suivant les circonstances, dans les limites de deux à cinq ans dans le premier cas, et dix à vingt ans dans le second.

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