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CHAPITRE LVI.

DE L'ATTENTAT A LA PUDEUR SANS VIOLENCE.

(Commentaire de l'art. 331 du Code pénal.)

1557. Lacune dans le Code pénal de 1810 relativement aux attentats à la pudeur commis sans violence sur les enfants.

1558. Cette lacune n'existait ni dans les législations anciennes ni dans quelques législations modernes.

1559. La loi du 28 avril 1832 a réparé cette omission origine et motifs de l'art. 331.

1560. Nouvelle modification apportée par la loi du 13 mai 1863 l'âge des victimes de l'attentat fixé à treize ans au lieu de onze.

1561. Deuxième paragraphe ajouté à l'art. 331 par la loi du 13 mai 1863 : perpétration de l'attentat par les ascendants.

1562. Le premier élément du crime est qu'il y ait attentat à la pudeur sur la personne des enfants. Ce qu'il faut entendre par attentat sur la per

sonne.

1563. Il n'est pas indispensable de constater que l'attentat a été commis sans violence.

1564. Le deuxième élément du crime est l'âge de la victime.

1565. Il n'appartient qu'au jury de déclarer cet âge.

1566. Il en est ainsi lors même que l'acte de naissance est produit. 1567. Circonstances aggravantes de cet attentat. Renvoi au chapitre suivant. 1568. Éléments du crime prévu par le deuxième paragraphe de l'art. 331. 1569. Comment doit être posée au jury la question relative à ce crime?

1557. Le Code pénal de 1810 ne punissait l'attentat à la pudeur que dans les cas où il était accompagné de violence ou de publicité. Ainsi, toutes les fois qu'un enfant n'avait opposé aucune résistance aux manœuvres secrètes employées pour le séduire, ou même lorsqu'un consentement avait été frauduleusement obtenu de son ignorance, le crime restait sans répression 1.

1 Cass., 9 nov. 1820, Bull. n. 142; 28 janv. 1830, Bull. n. 25; 28 oct.

A la vérité, quelques Cours d'assises, révoltées de l'impunité d'une action si criminelle, avaient essayé de la faire rentrer dans les termes de la loi, sous prétexte qu'il y avait violence morale exercée sur l'enfant. Mais le texte du Code résistait à cette interprétation, et il était difficile de la faire adopter par le jury: la Cour de cassation avait d'ailleurs décidé que l'art. 331 du Code pénal ne s'appliquait qu'à la violence physique, et nullement à la violence morale 1.

Une véritable lacune existait donc dans la loi pénale. Il est certain, en effet, que la plupart des attentats commis sur de jeunes enfants ne sont point accompagnés d'une violence physique ils n'en sont que plus odieux, puisqu'on corrompt leur volonté pour les accomplir. Mais cette corruption, qui exerce bien une sorte de violence morale sur leur esprit, sur leur chaste pensée, sur la pureté de leur enfance, diffère essentiellement de la violence matérielle : c'est une action distincte, une autre criminalité.

1558. On trouve dans la législation ancienne des traces de cette incrimination particulière. La loi romaine était fort explicite: Qui nondum viripotentes virgines corrumpunt, humiliores in metallum damnantur, honestiores in insulam relegantur, aut in exilium mittuntur 2. Si les jeunes filles étaient nubiles, viripotentes, la peine était la confiscation de la moitié des biens, ou la relégation avec une peine corporelle, suivant la condition du coupable: Eâdem lege Julià stupri flagitium punitur cùm quis sine vi virginem stupraverit 3.

Les jurisconsultes, féconds en distinctions, avaient établi plusieurs degrés dans l'âge de l'enfant jusqu'à sept ans, quandò puella non est doli capax, l'attentat était réputé commis avec violence, per vim; après sept ans et jusqu'à douze, la présomption pouvait être combattue par la preuve contraire, stuprum præsumitur commissum per vim nisi clarè probetur

1830, Devill. et Car., 1830.1.66; Journ. du dr. crim., 1830, p. 353; 25 août 1821, Bull. n. 192.

1 Cass., 28 oct. 1830, Journ. du dr. crim., 1830, p. 353.

2 L. 38, § 3, Dig. de pœnis ; l. 1, § 2, Dig. de extraordinariis criminibus. 3 Instit., 1. 4, tit. 18, de publicis judiciis, § 4.

contrarium. Mais ils étaient très-divisés sur les peines applicables; les uns voulaient que le coupable fût puni de la peine de mort toutes les fois que les violences étaient présumées 2; les autres, s'appuyant sur les textes du Digeste que nous venons de citer, combattaient l'application de cette peine 3; les autres, enfin, laissaient le châtiment à l'arbitraire du juge *. Menochius, pour soutenir ce dernier sentiment, fait remarquer que l'attentat commis sur un enfant n'a pas des effets aussi graves que sur une fille nubile, que le résultat physique du crime n'est pas le même, que la flétrissure morale qu'il jette à la victime est moins indélébile. Muyart de Vouglans constate en ces termes l'ancienne jurisprudence : « A l'égard de vicls de filles non nubiles, la peine ordinaire, suivant notre jurisprudence, est celle de mort, soit que le crime ait été consommé ou non; et même, lorsque la fille est d'un âge fort tendre, comme si elle n'a pas encore atteint l'âge de six à sept ans, l'usage est de porter cette peine à celle de la roue. » Jousse pense cependant que le châtiment pouvait être modifié suivant les circonstances et la qualité de l'action'.

Quelques législations modernes avaient déjà recueilli cette incrimination. L'art. 1054 de l'ancien Code prussien est ainsi conçu : « Le stupre de toute personne non pubère est réputé opéré par violence, et doit être puni, lorsqu'il n'est pas prouvé qu'il ait été mis en usage de violence effective, par la peine de détention pour trois années jusqu'à cinq. » Le Code prussien de 1851 a aggravé cette pénalité : « § 144. Sera puni de la maison de force pendant vingt ans au plus : .. 3° celui qui commet des actes d'impudicité avec des personnes âgées de moins de 14 ans, ou qui les détermine par séduction à commettre ou à souffrir de tels actes. » Le Code pénal de la confédération du

1 Farinacius, quæst. 147, num. 45.

2 Bossius, Tract. caus. crim., tit. de coitu damnato, num. 67; Gomez, Tract. var. resol., t. 3, c. 1, num. 60.

3 Julius Clarus, Prax. crim., § Stuprum, in fine.

4 Menochius, de arb. jud. casu 294, num. 3.

5 Ibid., num. 4.

6 Lois crim., p. 342.

7 Traité de just. crim., t. 3, p. 737.

Nord a atténué cette disposition : « § 176. Sera puni de la reclusion jusqu'à dix ans... 3° quiconque aura commis un attentat aux mœurs sur une personne au-dessous de 14 ans ou l'aura amenée à commettre ou à souffrir des actes de cette nature. >> Le Code pénal belge a modifié notre art. 331 dans les termes suivants : « Art. 372. Tout attentat à la pudeur commis sans violence ni menaces sur une personne ou à l'aide de la personne d'un enfant de l'un ou de l'autre sexe âgé de moins de 14 ans accomplis, sera puni d'un emprisonnement d'un an à cinq ans. La peine sera la reclusion si l'enfant était âgé de moins de onze ans accomplis. » L'art. 112 du Code autrichien. porte: «Toute tentative de viol exercée sur une personne âgée de moins de quatorze ans est considérée comme viol. » Enfin l'art. 339 des lois pénales de Naples, publiées en 1819, dispose également : « Le viol et tout autre attentat à la pudeur seront toujours présumés commis à l'aide de violences, s'ils ont éu lieu sur une personne âgée de moins de douze ans accomplis. >>

1559. Il y avait donc une lacune dans le Code pénal: le Code punissait, à la vérité, d'une aggravation de peine le viol et l'attentat à la pudeur commis sur des enfants au-dessous de quinze ans ; mais il supposait toujours la violence comme élément nécessaire du crime. La loi du 28 avril 1832 a réparé cette omission : elle a établi un âge au-dessous duquel la violence est toujours présumée sur la personne des enfants; cet âge était celui de onze ans révolus.

Lors de la discussion de cette loi, un député proposa de faire descendre cette limite à quinze ans : « Notre Code pénal, ditil, ne punit le viol ou l'attentat à la pudeur que quand ils ont eu lieu avec violence. L'article qui vous est soumis a pour objet de punir ces crimes, quoique commis sans violence, quand ils ont eu lieu sur un individu que sa jeunesse expose à une séduction facile : mais il ne s'applique qu'aux personnes âgées de moins de douze ans ; je propose de l'étendre à tous ceux âgés de moins de quinze ans. On a voulu punir l'effet de la séduction, si facile sur un individu qui n'est pas à même d'apprécier toute l'immoralité de l'action à laquelle on lui propose de se soumettre. Eh bien ! cette séduction n'est-elle pas à peu près aussi à craindre sur un enfant au-dessous de quinze ans

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que sur celui au-dessous de onze? D'un autre côté, l'amendement que je propose mettra l'article en discussion plus en harmonie avec l'art. 332 du Code pénal, qui punit l'attentat à la pudeur commis avec violence sur l'enfant au-dessous de quinze ans. » Cette proposition fut rejetée; on ne pouvait, en effet, étendre la présomption de la violence à un âge plus élevé où l'enfant a l'intelligence de l'action qu'il commet et peut se défendre. Un autre député avait proposé d'ajouter révolus après onze ans; il fut répondu que c'était un pléonasme, puisqu'on n'aurait pas onze ans s'ils n'étaient révolus.

1560. La pensée morale qui avait dicté ces amendements s'est manifestée de nouveau dans la discussion de la loi du 13 mai 1863. Le projet du gouvernement avait proposé de reculer la limite fixée par l'art. 331 jusqu'à 12 ans.

Le nombre de ces crimes, dit l'exposé des motifs, va croissant, malgré la répression à laquelle le juge ne fait pas défaut. Néanmoins on ne vous propose pas d'élever la peine, mais de reculer la limite d'âge. C'est le moyen d'atteindre ceux qui, par un odieux calcul, pour s'assurer l'impunité, ajournent leur attentat jusqu'au lendemain de la onzième année révolue. Les exemples n'en sont pas rares; la limite proposée de douze ans est celle qui existe dans beaucoup de pays d'Europe, et notamment en Toscane et dans les Deux-Siciles, où le développement de l'enfance est plus précoce que chez nous. La limite est de quatorze ans en Suisse, en Prusse et en Autriche.

Ces paroles semblaient contenir une sorte de provocation à reculer plus loin encore la limite proposée, et, en effet, le rapport de la commission a subi cette impulsion :

Votre commission a accueilli cette idée avec une telle faveur qu'elle a voulu reculer encore cette limite. Les attentats de ce genre se multiplient, et leur nombre toujours croissant prouve que la dépravation des mœurs l'emporte sur la réserve que l'enfance doit inspirer, et sur le respect qu'elle mérite. Il est juste de protéger les familles contre ce désordre moral. Puisqu'il atteint un si grand nombre d'enfants, qui n'ont pas même accompli l'âge de onze ans, combien n'en doitil pas atteindre qui sortent à peine de cet âge! Et cependant qui oserait affirmer que, dès qu'il l'a dépassé, l'enfant est capable de donner un consentement réfléchi ? Le plus souvent, même à douze ans, son développement physique ou intellectuel ne lui permet pas d'avoir une conscience entière de ses actes, et si quelques exceptions se rencontraient, quel inconvénient y aurait-il à le prémunir contre ses propres entraînements, et à le préserver d'une dégradation précoce ? L'influence des climats est ordinairement prise en considération dans ces matières :

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