Page images
PDF
EPUB

la limite d'âge est fixée à 12 ans en Toscane, en Sardaigne et dans les Deux-Si. ciles, et à 14 ans en Suisse, en Prusse et en Autriche. Nous proposons de la fixer à 13 ans pour la France; elle tiendra ainsi le milieu entre les pays du Nord et ceux du Midi, et elle répondra à un véritable intérêt moral révélé par les observations pratiques dans le nôtre. M. Bucher de Chauvigné avait voulu la reculer jusqu'à 14 ans la majorité de votre commission a pensé que si la loi allait trop loin elle pourrait multiplier les accusations et les scandales sans obtenir une répression plus efficace.

Aucune observation n'a été exprimée dans le Corps législatif sur cette innovation, et l'article a été adopté dans les termes suivants :

Art. 331. Tout attentat à la pudeur, consommé ou tenté sans violence sur la personne d'un enfant de l'un ou de l'autre sexe, âgé de moins de treize ans, sera puni de la reclusion.

Cette modification nous paraît l'une des plus utiles de la loi. On doit applaudir à la pensée morale qui, pour protéger l'enfance contre d'odieux attentats, vient en prolonger la durée. Il est bien de préserver l'enfant le plus longtemps possible, aussi longtemps qu'il demeure enfant, contre la séduction qui à pour but de le flétrir ou de le corrompre. Nous aurions voulu cependant que la commission fit connaître les faits qui l'ont portée à s'écarter de la limite de 12 ans, posée dans le projet du Gouvernement. Ce projet n'avait fait que suivre en cela plusieurs législations étrangères. Aux lois citées dans l'exposé des motifs, on peut joindre celles de Suède, de Saxe, de Bavière et d'Espagne. L'Allemagne et la Belgique ont adopté l'âge de 14 ans. Il faut prendre garde que plus on approche de l'âge nubile et plus il y a lieu de craindre que la volonté ne vienne contredire la présomption de contrainte morale qui est l'élément du délit. Le péril est de confondre l'attentat à la pudeur avec l'immoralité. Les poursuites en cette matière devront, d'ailleurs, être exercées avec une certaine réserve, non pas seulement à raison du scandale plus grave qu'elles causeront, mais parce qu'elles jetteront le trouble dans les familles et que la vérification des attentats sera plus incertaine et plus dange

reuse.

1561. Un 2o paragraphe a été ajouté à l'art. 331:

Art. 331, 2 §. Sera puni de la même peine l'attentat à la pudeur commis par tout ascendant sur la personne d'un mineur, même âgé de plus de 13 ans, mais non émancipé par mariage.

Cette disposition additionnelle n'était point dans le projet. Elle a été proposée par la commission du Corps législatif :

Une autre modification à l'art. 331 nous a semblé nécessaire. S'il est permis de supposer une volonté intelligente et libre chez un enfant âgé de plus de 13 ans, cette volonté libre n'est plus certaine si la sollicitation lui arrive d'un de ses ascendants, c'est-à-dire d'une personne qui exerce sur elle une autorité naturelle. Qu'un père soit assez dégradé pour attenter lui-même à la vertu de sa fille, il commet à la fois une immoralité révoltante et un acte digne d'une punition salutaire, tant qu'il est permis de supposer que l'abus d'autorité et l'état de dépendance sont venus en aide à ses mauvais desseins.

Cette innovation, qui n'a été l'objet d'aucune observation dans la délibération, nous paraît importante. Elle rétablit en d'autres termes une incrimination que notre ancienne législation avait consacrée, mais que notre législation moderne avait effacée de la loi pénale. Il est clair d'abord, quoique le 2o paragraphe ait omis de le répéter, que l'attentat à la pudeur qu'il prévoit est celui qu'a prévu le 1er paragraphe, l'attentat sans violence. On suppose que la contrainte morale, que tous les agents sont présumés exercer sur leurs victimes jusqu'à ce que celles-ci aient atteint l'âge de treize ans, se prolonge au delà de cet âge et doit résulter de la seule autorité paternelle, quand le coupable est le père lui-même ou l'un des ascendants de la victime. Nous aurions admis l'application de cette présomption, fondée sur l'autorité du père, jusqu'à l'âge de quinze ans. Mais n'est-il pas évident que, lorsque la victime a passé cet âge, l'attentat sans violence ne peut plus être qu'un fait de séduction? Ce que la loi punit, c'est donc non plus seulement l'abus d'autorité, car cet abus est difficilement supposable visà-vis d'une fille de 18 ou de 20 ans, mais la séduction personnelle des ascendants, et en d'autres termes, le crime d'inceste. Ce crime, que notre ancienne législation punissait avec sévérité (Voy. no 1519), figure encore dans plusieurs législations modernes, notamment dans le Code pénal de Suède (chap. 18). Nous avons énoncé (Voy. no 1521) les motifs qui ont porté nos

législateurs, en 1791 et 1808, à éliminer des incriminations pénales le stupre, la séduction personnelle, l'inceste et quelques autres infractions dont l'impunité peut faire gémir la morale, mais dont la répression ne serait obtenue qu'à travers des périls plus grands que l'impunité. On ne voit pas, du reste, pourquoi la commission, une fois placée sur ce terrain, n'a pas étendu son incrimination aux tuteurs et curateurs, ainsi que l'avait fait la loi romaine : « Si tutor pupillam quondam suam violatâ castitate stupraverit, deportationi subjicetur

[ocr errors]
[ocr errors]

1562. Les faits élémentaires du délit prévu par le 1er paragraphe, sont: 1° l'attentat à la pudeur; 2o l'âge de la victime.

Les mots d'attentat à la pudeur ne semblent pas, à la première vue, exprimer nettement la pensée de la loi ; car l'attentat suppose, en général, l'emploi de la force, et l'article dépouille de toute violence l'acte incriminé. Mais cette expression indique que tout acte contraire à la pudeur, exercé sur la personne d'un enfant, ne rentre pas dans l'incrimination; il est nécessaire que cet acte attente à la pudeur de l'enfant, c'est-àdire qu'il ait pour effet et pour but de le flétrir ou de le corrompre. Il importe peu, d'ailleurs, que ces actes soient exercés sur la personne de l'enfant lui-même, ou que cet enfant serve d'instrument à des actes obscènes ; l'action n'est pas moins immorale, ses effets ne sont pas moins désastreux.

Cette opinion avait été repoussée par un arrêt qui déclare « que l'attentat à la pudeur prévu par l'art. 331 n'est imputable que quand il a lieu sur la personne des enfants, et non quand il est commis par un individu, à l'aide de ces enfants, sur sa propre personne. » Mais elle a été définitivement consacrée par deux arrêts dont le dernier décide « que les souillures imprimées par la débauche de jeunes garçons âgés de moins de onze ans constituent des attentats à la pudeur commis sur leurs personnes; que les faire servir d'instruments à de coupables passions et les faire intervenir dans l'accomplissement des actes

1 Cod., lib. V, tit. 10, Si quis eam cujus tutor, etc.

2 Cass., 4 août 1843, Bull. n. 193.

de lubricité signalés par l'arrêt, c'est commettre l'attentat à la pudeur prévu par l'art. 331 1. »

Peut-être l'art. 331 aurait-il dû distinguer entre les simples actes d'impudeur et d'obscénité et la défloration de l'enfant. L'art. 331 a confondu dans la même peine le cas où l'attentat n'a été que tenté, et celui où il a été consommé: lors même qu'il n'aurait eu pour résultat la défloration de l'enfant, le crime ne changerait pas de nature; car, pour qu'il fût qualifié viol, ainsi que nous le verrons plus loin, il faudrait l'emploi de la violence; la défloration d'un enfant au-dessous de onze ans, sans violence, n'est qu'un attentat à la pudeur.

1563. Mais, s'il était constaté que l'enfant eût résisté, et que sa résistance n'eût été vaincue que par l'emploi de la violence, l'attentat à la pudeur changerait de caractère, et sortirait des termes de l'art. 331, qui ne punit que les attentats sans violence; il deviendrait alors passible des dispositions de l'article 332, relatives au viol et à l'attentat à la pudeur avec violence sur la personne d'un enfant de moins de quinze ans. L'article 331, en effet, n'est point une exception à l'art. 332; il ne fait que prévoir un cas que ce dernier n'avait pas prévu ; mais celui-ci n'a point cessé d'être applicable, dès que les circonstances élémentaires des crimes qu'il punit se trouvent réunies.

Il suit de là, ainsi que l'a reconnu un arrêt, que le crime n'existerait pas moins lors même que les mots sans violence ne se trouveraient pas dans la qualification du fait. Cet arrêt porte « que lorsqu'il s'agit d'un attentat à la pudeur sur des enfants au-dessous de l'âge de onze ans, la circonstance de la violence n'est point constitutive du crime et n'en pourrait être qu'une circonstance aggravante; que le crime prévu par l'article 331 existe légalement comme moralement, encore qu'il n'y ait pas eu de violence exercée ; que dès lors le retranchement des mots sans violence n'a pas nui à la défense de l'accusé, et qu'il suffit, pour justifier la condamnation, qu'il ait été déclaré par le jury que l'accusé s'était rendu coupable d'attentat à la pudeur sur des enfants au-dessous de onze ans *.

1 Cass., 27 sept. 1860, Bull. n. 219; et conf. 2 avril 1835, Bull. n. 120. 2 Cass., 29 nov. 1850, Bull. n. 404.

1564.Le deuxième élément du crime est l'âge de la victime. Nous avons vu qu'au-dessus de l'âge de treize ans la présomption légale de violence s'évanouit, et que l'exception cesse; l'attentat sans violence, commis sur une personne qui a atteint cet âge, quelle que soit l'immoralité de cet acte, n'est passible d'aucune peine. La circonstance de l'âge au-dessous de treize ans est donc essentiellement constitutive du crime.

1565. De là cette conséquence qu'il n'appartient qu'au jury de la déclarer. Ainsi, dans une espèce où le jury n'avait été interrogé que sur l'attentat à la pudeur, et avait répondu affirmativement, la Cour d'assises crut pouvoir ensuite, l'extrait de l'acte de naissance à la main, appliquer la peine. Cet arrêt a été cassé : « attendu que la circonstance de l'âge de la personne qui a été victime du crime prévu par l'art. 331 du Code pénal est constitutive dudit crime; qu'en conséquence, pour pouvoir servir de base à un arrêt de condamnation, cette circonstance doit être reconnue et déclarée par le jury; que le jury n'ayant point été interrogé sur la question de savoir si la victime du crime avait moins de onze ans, la Cour d'assises n'a pu suppléer à l'absence de question et réponse sur ce point, se fonder, ainsi qu'elle l'a fait, sur un acte de naissance, pour déclarer que cette personne avait moins de onze ans, et ajouter ainsi à la déclaration du jury, pour faire à l'accusé l'application de l'art. 331 du Code pénal; qu'en le faisant, la Cour d'assises a empiété sur les attributions du jury, qui seul avait le droit d'appliquer à la fille dont il s'agissait l'acte de naissance produit au procès, et d'en tirer la conséquence relative à son âge; que la Cour d'assises a été sans caractère pour décider cet âge 2. »

1566. Cette séparation des pouvoirs de la Cour d'assises et du jury est fondée sur les principes les plus élémentaires du droit. Dès que l'âge est un élément du crime même, ou un élément d'aggravation ou d'atténuation de la peine, il est

1 Cass., 23 juill. 1836, Journ. du dr. crim., 1837, p. 70; 28 sept. 1837, Dall.38.1.417; 28 sept. 1838, Journ. du dr. crim, 1839, p. 96.

2 Cass., 1er oct. 1834, Devill. et Car., 1834.1.767; Cass., 4 mars 1842, Bull.

« PreviousContinue »