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si le mot coups pouvait s'appliquer soit à des mauvais traitements, soit au fait de pousser une personne au point de la faire tomber; mais la jurisprudence les avait complétement aplanies; et d'ailleurs ces difficultés ne sont jamais nées dans des espèces où les violences avaient causé une incapacité de plus de vingt jours. Cette addition, qui est peut-être surabondante, ne paraît d'ailleurs devoir entraîner aucun péril, puisque les violences et voies de fait dont il s'agit sont celles qui auront occasionné l'incapacité de travail. Il n'est rien innové, du reste, en ce qui concerne les règles relatives à l'appréciation de cette incapacité.

La troisième modification est plus importante, et nous l'avions provoquée. Nous croyons qu'en faisant de la mutilation ou de l'infirmité permanente la base d'une aggravation pénale, le législateur a fait une saine appréciation de l'un des éléments de la criminalité. Mais à nos yeux cette infirmité ou cette mutilation, que la loi n'avait pas prévue, est une circonstance à peu près équivalente à une maladie qui peut être très-grave et qui peut se prolonger au delà de vingt jours, jusqu'à un terme qui n'a point été fixé; il semble contradictoire de qualifier crime les violences qui sont suivies d'une mutilation ou d'une infirmité et de ne qualifier que délit les mêmes violences lorsqu'elles ont causé une longue et douloureuse maladie, qui a pu mettre la vie en danger, qui affectera peut-être toujours la santé de la victime, mais qui n'a laissé aucune infirmité corporelle qui puisse être précisée..

1334. Arrivons maintenant à l'examen de l'article. La loi n'a défini ni les blessures ni les coups. Les blessures n'exigeaient peut-être aucune définition; elles laissent une trace matérielle qui témoigne de leur existence. La loi eût pu seulement limiter son incrimination aux blessures d'une certaine gravité; elle ne l'a pas fait. Il résulte de la généralité de ses termes que toutes les lésions du corps humain produites par le rapprochement ou le choc d'un corps dur y sont comprises. Les contusions, les plaies, les ecchymoses, les excoriations, les fractures, sont des blessures, les brûlures mêmes, quoique la médecine leur assigne un autre caractère, une autre classification, viennent se placer sous la même dénomination. Il serait

dès lors sans objet de parcourir et d'examiner les nombreuses divisions et subdivisions des blessures, qui ont été proposées par les auteurs qui ont écrit sur la médecine légale : la loi n'a adopté aucune de ces divisions; elle saisit la blessure et lui imprime le caractère de délit au moment où elle cesse d'être comptée parmi les voies de fait ou les violences légères; elle ne s'occupe de sa gravité que pour graduer la qualification ou la peine.

1335. Il est plus difficile de déterminer avec précision quelles sont les voies de fait qui constituent des coups dans le sens de la loi. Tout rapprochement violent du corps humain et d'un corps quelconque peut avoir ce caractère; car il n'est pas nécessaire que le corps humain en éprouve une lésion quelconque; la loi ne l'exige que pour la qualification du crime: il n'est même pas nécessaire que le choc ait laissé des traces. Ainsi la jurisprudence a pu déclarer qu'un soufflet n'était pas une simple voie de fait, mais bien un coup dans le sens de la loi pénale1; à plus forte raison, les violences exercées avec des bâtons, des cannes, des lanières, des pierres, rentreraient dans ses

termes.

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Nous avons dit précédemment que le fait de pousser une personne ne peut constituer qu'une simple voie de fait, lorsque cet acte n'est accompagné ni de coups ni de blessures. L'addition faite dans l'art. 309 a enlevé à cette distinction une partie de son intérêt, cependant il peut être utile encore de s'y arrêter. La loi romaine ne voyait dans cette violence qu'une injure réelle in corpus injuria fit cùm quis pulsetur 2; et elle admettait entre cette injure et les coups une différence qu'elle tirait de leurs résultats : Inter pulsationem et verberationem hoc interest: verberare est cum dolore cædere; pulsare, sine dolore 3. Mais ces différences s'effacent, et les deux actes prennent le même caractère lorsque la voie de fait a causé la chute de la personne qui en a été l'objet; car heurter quelqu'un de manière à le faire tomber, c'est, sinon porter un coup, du

1 Cass., 9 déc. 1819, Bull. n. 418; 5 mars 1831, Bull. n. 42.

2 Lib. 1, Dig. de injur. et fam. libellis.

3 L. 5, Dig. eâd. lege.

moins être la cause qu'il en reçoit un ; et il importe peu, a dit un arrêt, qu'un corps dur soit poussé contre une personne, ou que la personne soit poussée contre le corps dur 1. Le caractère et les résultats de la violence sont les mêmes, et il serait puéril de chercher une distinction dans le sens restrictif que le langage ordinaire attache au mot coup. Cette interprétation a été adoptée par la Cour de cassation. L'expression générale de coups, qui se trouve dans les art. 309 et 311, ne limite pas le crime ou délit au cas seulement où plusieurs coups auraient été portés, car rien n'indique que la loi ait voulu faire une telle distinction, et il est évident qu'elle ne serait pas fondée, puisqu'un seul coup porté avec violence peut avoir un caractère plus grave et causer un plus grand dommage que plusieurs coups moins violents *.

Mais, bien que cette expression ne soit pas sacramentelle, il faut prendre garde, si on la remplace par des termes équivalents, que ces termes aient la même valeur et le même sens. Ainsi, dire que le prévenu a frappé, c'est déclarer évidemment qu'il a porté des coups. Ainsi, si l'accusé a été déclaré coupable de mauvais traitements sur une personne, ce fait pourrait rentrer dans les termes des art. 309 et 311. Mais il importe de remarquer que ces articles ne s'appliquent pas à toute espèce de mauvais traitements envers les personnes, mais seulement à ceux qui se sont manifestés par des coups ou des blessures. Car le fait cesserait de pouvoir être compris dans leurs termes, ainsi que la Cour de cassation l'a déclaré, si l'accusé avait été déclaré coupable de mauvais traitements, non pas sur, mais envers une personne 5; cette expression, en effet, ne fait plus supposer nécessairement que ces mauvais traitements ont été des violences physiques et des coups. De même, et dans une autre hypothèse, les gestes les plus menaçants ne sauraient constituer des violences dans le sens de la loi pénale, tant qu'ils n'atteignent pas la personne elle-même ; il ne fau

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drait donc pas suivre à cet égard la décision de la loi romaine, qui rangeait ces gestes dans la classe des injures réelles : Si quis pulsatus quidem non est virum manus adversus eum levatæ, et sæpè territus quasi vapulaturus (verberandus), non tamen percussit, utili injuriarum actioni tenetur1. Enfin l'expression de violences n'emporte pas virtuellement avec elle la certitude que des coups aient été portés, car il y a des violences de plusieurs sortes et qui n'ont pas la même gravité. Aussi, dans une espèce où il avait été demandé au jury, sous une forme alternative, si l'accusé était coupable d'avoir porté des coups ou commis d'autres violences sur la personne de son père, il a paru que la réponse affirmative faite à cette question n'était pas une base suffisante de l'application pénale, parce que cette réponse, pouvant ne se référer qu'aux violences, laissait un doute sur le caractère de ce fait 2. Cette restriction serait aujourd'hui effacée par la loi.

1336. Le deuxième élément du crime ou du délit est la volonté. En général, la volonté est une condition essentielle de tous les délits; mais ici le juge est particulièrement obligé de la reconnaître et de la déclarer, parce qu'il s'agit de distinguer les coups et blessures volontaires des mêmes faits qu'auraient occasionnés l'imprudence ou la maladresse. La loi modificative du Code pénal, pour rendre cette obligation plus sensible, à cru devoir introduire dans l'art. 309 le mot volontairement; mais cette addition surabondante n'a nullement changé le sens de la loi déjà fixé par la rubrique de cette section qui porte blessures et coups volontaires. La jurisprudence n'avait, du reste, éprouvé aucune hésitation à cet égard; la règle était, avant cette modification comme aujourd'hui, que les art. 310 et 311 ne sont applicables qu'autant que la circonstance de la volonté a été formellement reconnue, et que le mot coupable ne suffit pas pour déclarer cette circonstance, lorsque la question à laquelle ce mot se réfère est muette sur ce point 3.

1 L. 15, § 1, Dig. de injur. et famosis libellis.

2 Cass., 19 mars 1841, Bull. n. 73.

5 Cass., 27 fév. 1824, Bull. n. 36; 10 mars 1826, Bull. n. 47; 22 août 1828, Bull. 243; 18 juill. 1840, Bull. n. 206; 26 déc. 1844, Bull. n. 413; 22 juin 1850, Bull, n. 202.

Cette volonté, il faut le remarquer, ne consiste pas dans le dessein de tuer, car les blessures ou les coups constitueraient une tentative de meurtre; elle consiste uniquement dans le dessein de porter des coups ou de faire des blessures, soit pour outrager, soit pour maltraiter une personne, mais sans intention de lui donner la mort. Ce dessein de nuire peut s'induire de toutes les circonstances de l'action, des motifs qui dominaient l'agent, de la gravité des blessures, de la nature des armes employées. Toutefois ces circonstances ne sont que des présomptions: nous verrons tout à l'heure qu'il ne suffit pas que les blessures soient de nature à donner la mort pour changer le caractère du fait. La même règle s'applique aux armes dont s'est servi l'agent aucune disposition de la loi n'a attaché le caractère d'une tentative de meurtre à des blessures, par cela seul qu'elles ont été faites avec une arme meurtrière; le seul fait de l'emploi de cette arme ne suffirait donc pas pour constituer une telle tentative, et les blessures rentreraient, dans ce cas, dans les termes des art. 309 et 311, à moins qu'il ne fût formellement reconnu que l'arme meurtrière a été employée avec l'intention de tuer 1.

1337. La volonté cependant, de même que le fait matériel lui-même, peut résulter, à défaut d'une déclaration explicite, des circonstances de l'action. Ainsi la Cour de cassation a jugé, dans une espèce particulière, que la volonté non explicitement déclarée par le jury résultait implicitement des faits matériels qu'il avait reconnus. L'accusé avait été déclaré coupable d'avoir porté des coups à différentes fois, et la Cour d'assises l'avait néanmoins absous, attendu que ni la question ni la réponse n'énonçait qu'il eût agi volontairement. Cet arrêt d'absolution a été cassé, attendu que les mots avoir porté des coups à différentes reprises contiennent la fréquence et la réitération d'actions d'une même nature, nécessairement déterminées par la volonté et l'intention de leur auteur 2. La même espèce s'est présentée une seconde fois, et on lit encore dans l'arrêt de la Cour de cassation : « que le jury ne s'était pas expliqué sur

1 Cass., 14 déc. 1820, Bull, n. 154,

2 Cass., 28 déc. 1827, Bull. n. 321; 19 sept. 1828, n. 267.

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