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le fait d'avoir, par violence et à l'effet d'en abuser ou de la prostituer, enlevé une fille au-dessous de 14 ans accomplis (art. 29, 30 et 31, sect. 1, tit. 2).

Notre Code a restitué à ces deux crimes leurs véritables caractères : le rapt n'est que l'enlèvement d'un mineur, abstraction faite de toute violence ultérieure; s'il est suivi de viol, ce viol est un crime distinct, qui ne se confond plus avec le premier. Ainsi le viol, qu'il soit ou non précédé d'enlèvement, demeure empreint de la même gravité, puisant sa criminalité dans l'acte même qui le constitue, et non dans les circonstances qui l'ont précédé ou suivi.

L'art. 332 se borne à établir la peine de ce crime sans le définir : « Quiconque aura commis le crime de viol sera puni des travaux forcés à temps. »

1579. Mais ce crime porte avec lui sa propre définition. On entend par viol, suivant Jousse, toute conjonction illicite commise par force et contre la volonté d'une personne. Les deux éléments du crime sont donc le commerce illicite et la violence.

La copulation est une circonstance essentielle du crime; ce n'est que par ce seul fait qu'il est consommé. Si elle n'est pas constatée, le titre de la poursuite ne peut plus être qu'une tentative de viol, et, si cette tentative ne réunit pas les caractères déterminés par la loi, un attentat à la pudeur.

:

Il faut que cette copulation soit illicite ainsi un mari qui se servirait de la force à l'égard de sa femme ne commettrait point le crime de viol, parce que, suivant la Glose, in eam habet manûs injectionem ; et la même décision devait être prise même au cas de séparation de corps, car la séparation relâche les liens du mariage sans les dissoudre; elle autorise la femme à ne plus demeurer au domicile du mari, mais elle ne brise pas les devoirs qui résultent du mariage. Cette solution toutefois ne pourrait s'appliquer au mari que post perfectum matrimonium; ainsi le fiancé qui, même la veille du mariage,

1 T. 3, p. 743.

2 Glossa in 1. 53, C. de episcopis et clericis. 3 Farinacius, quæst. 143, num. 85.

emploierait la violence sur sa fiancée, serait sans nul doute punissable '.

Mais l'élément caractéristique du crime est la violence : c'est la violence qui constitue sa criminalité tout entière; elle n'est pas seulement une circonstance aggravante, elle en est la base essentielle; elle ne forme donc point une question à part; elle est comprise dans le viol, qui la suppose nécessaire

ment.

1580. Cette violence doit être exercée sur la personne même: Oportet quòd violentia sit facta persona, qui crimen violentiæ dicitur crimen personale. Ainsi celui qui escalade ou brise les portes d'une maison ou d'une chambre pour pénétrer près d'une femme, et auquel cette femme s'abandonne ensuite volontairement, ne s'est point rendu coupable de la violence constitutive du viol: Si quis frangeret ostium domûs vel thalami, et violenter ingrederetur et non violenter cognosceret, non diceretur commisisse in coitu violentiam, sed violenter tantùm ingressum fuisse 3.

La difficulté de constater la violence, dans un acte secret où la résistance a ses degrés et la volonté ses caprices, avait porté les anciens jurisconsultes à établir certaines présomptions d'où ils déduisaient son existence. Ainsi, pour qu'une accusation de viol pût être accueillie, il fallait : 1° qu'une résistance constante et toujours égale eût été opposée par la personne prétendue violée; car il suffit que cette résistance ait fléchi quelques instants pour faire présumer le consentement; 2° qu'une inégalité évidente existât entre ses forces et celles de l'assaillant; car on ne peut supposer la violence lorsqu'elle avait les moyens de résister et qu'elle ne les a pas employés; 3° qu'elle eût poussé des cris et appelé des secours : Vim in raptu tùm fieri intelligitur, dit Damhouderius, quandò mulier magnâ clamore imploravit alicujus opem et auxilium*; 4o enfin, que quelques

1 Farinacius, quæst. 145, num. 92; Julius Clarus, in suppl. Baïardi, § Raptus, num. 5.

2 Baïardus, suppl. ad Jul. Clar., § Stuprum, num, 37.

3 Ibid., n. 36.

Praxis rerum criminalium, cap. 97, num. 9,

traces empreintes sur la personne témoignassent de la force brutale à laquelle elle avait dû céder 1.

Notre législation moderne a cessé de définir les preuves, et de lier les juges par des présomptions légales. Mais ces règles pleines de sagesse peuvent encore servir de guide aux magistrats dans les informations criminelles; ce sont d'utiles précautions recueillies par l'expérience pour conduire à la découverte de la vérité.

1581. Il faut donc que la violence soit entière et complète, qu'aucune hésitation de la victime ne soit venue à son aide, qu'elle n'ait cédé qu'à la force. Quelques questions s'élèvent à ce sujet. Cette violence existe-t-elle, est-elle constitutive du crime, si la personne sur laquelle elle s'est exercée vit habituellement dans la débauche et la prostitution? Justinien n'appliquait ses lois sur le rapt suivi de viol qu'à ceux qui ravissaient des femmes honnêtes, raptores virginum honestarum2, et les anciens jurisconsultes se sont fondés sur ce texte pour décider que la violence employée à l'égard d'une fille publique ne constitue ni le rapt de violence ni le viol; mais, s'ils écartaient ainsi de cette action la peine capitale, ils la punissaient du moins d'une peine extraordinaire. Nous pensons que la débauche même habituelle de la femme n'est point un obstacle à l'existence du crime; car sa vie licencieuse ne saurait légitimer aucun attentat sur sa personne; elle n'a point aliéné la liberté de disposer d'elle-même, et la loi qui punit les violences étend sa protection sur tous. Mais le crime s'atténue néanmoins; les résultats n'en sont pas les mêmes : la fille publique ne reçoit aucune flétrissure de l'acte qui flétrit toute la vie d'une femme honnête; l'agent, d'ailleurs, a pu ne pas croire à une résistance opiniâtre et sérieuse. Il faut donc décider avec les docteurs que le coupable doit être puni, non de la peine du crime, mais d'une autre peine l'attentat est évident, mais les cir

1 Boerius, decis. 247.

2 L. 1, C. de raptu virginum.

3 Farinacius, quæst. 145, num. 153; Boerius, décis. 317; Mornac, ad 1. 41, Dig. de raptu nuptiarum; Menochius, casu 291, num. 2; Julius Clarus, § Raptus, num. 5.

TOME IV.

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constances sont atténuantes; le châtiment doit descendre d'un degré.

1582. Les mêmes observations s'appliquent, mais avec plus de restriction, à l'accusé d'un viol commis sur une femme honnête qui se trouvait dans un lieu de prostitution; car, d'une part l'agent est coupable, puisqu'il ne la connaissait pas, il a pu toutefois être induit en erreur par la nature du lieu. Ulpien le décide ainsi dans une espèce identique : Si quis virgines appellasset (attentassel), si tamen ancellari veste vestitas, minus peccare videtur: multò minus si meretricia veste fœminæ, non matrum-familiarum vestitæ fuissent'.

L'atténuation devrait se restreindre plus sévèrement encore, si l'excuse de l'agent se fondait uniquement sur ce qu'il aurait vécu précédemment avec la femme qu'il a violée; car, suivant la réflexion des jurisconsultes, qui toutefois controversaient cette question, non est rationabile quod quis possit impunè mulierem quam priùs cognoverat invitam rapere, quandò vellet de cætero honestè vivere 2. Il en devrait encore être ainsi lorsque l'accusé prétendrait, pour se justifier, que la victime de son attentat vivait en concubinage avec un autre homme '; telle a été aussi la décision de la Cour de cassation, dans une accusation de viol dans laquelle l'accusé proposait pour excuse que la femme qu'il avait violée avait eu des enfants naturels ; son pourvoi fut rejeté : « attendu que quiconque parvient à abuser d'une femme quelconque par des violences est coupable de viol, soit que cette femme ait déjà eu des enfants, soit qu'elle n'en ait pas eu, et que par conséquent le demandeur avait été justement déclaré coupable de viol *. »

1583. Le défaut de consentement ne remplacerait pas la violence, s'il n'était accompagné d'aucuns signes de résistance. Mais en serait-il ainsi, si l'absence de toute résistance provenait d'une fraude ou d'une machination coupable? Cette fraude ou cette machination ne devrait-elle pas être considérée comme

1 L. 15, § 15, Dig. de injuriis.

2 Faber in § 4, Inst. de publicis judiciis; Carrerius, Tract. de homicidio, num. 23; Farinacius, quæst. 145, num. 162. -'

3 Damhouderius, cap. 95, num. 13.

4 Cass., 14 juin 1811, Journ. du pal, 9, 394.

une violence même ? La négative a été décidée dans l'espèce suivante. Un individu s'était introduit dans la chambre et dans le lit d'une femme endormie dont le mari venait de sortir; il profita de cette surprise pour consommer son attentat; mais, poursuivi pour viol, la chambre d'accusation de la Cour de Besançon annula cette poursuite: «< attendu que le viol est, de sa nature, toujours et nécessairement accompagné de violence employée sur la personne même; que c'est la force, c'est-à-dire la violence, qui constitue le viol; que la violence n'est pas seulement une circonstance aggravante du fait, mais qu'elle en constitue à elle seule la criminalité; qu'en admettant comme sincère et vraie la déclaration de la plaignante, il en résulte qu'il y a eu de sa part un consentement donné par erreur; mais l'erreur ainsi que le défaut de consentement ne peuvent seuls constituer le crime de viol, dès que l'erreur ou le défaut de consentement n'a pas été accompagné de violences morales ou physiques; qu'à la vérité ce fait est profondément immoral, mais que la loi gardant le silence sur un fait de cette nature, on ne doit point y suppléer par analogie 1. »

Il nous serait difficile d'admettre qu'un crime aussi grave dût rester en dehors des prévisions de la loi ; ses résultats sont évidemment les mêmes que si la violence physique eût été employée. Le déshonneur de la victime, la désolation d'une famille, les moyens dont l'agent s'est servi pour l'accomplir, sont-ils moins odieux ? La surprise est-elle moins infâme qué la force, la fraude que la violence? Supposez que l'attentat eût été commis pendant la durée d'un sommeil frauduleusement procuré à l'aide de drogues narcotiques: la violence n'est-elle pas dans cette machination infâme qui livre la victime sans qu'elle puisse se défendre, dans ces moyens criminels qui l'enchaînent pour la consommation de l'attentat, dans ces liens d'un sommeil léthargique qui la tiennent captive? Or, serait-il possible d'établir une différence réelle entre ces deux hypothèses? Dans l'une et dans l'autre, la victime n'a point à s'imputer son abandon et sa crédulité; sa volonté, sa force ont été enchaînées; et qu'importe que ce soit par une machination criminellement

1 Arr. Besançon, 13 oct. 1828, Journ. du dr. crim., 1829, p. 45.

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