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qualité. Ce motif que nous présumons, ne se trouve d'ailleurs exprimé ni dans le rapport ni dans la discussion de la loi.

Le principe de cette aggravation se trouvait déjà dans la législation ancienne. Ainsi la loi romaine portait une peine plus forte contre l'auteur du stupre, lorsqu'il avait été commis par le tuteur ou le curateur de la victime1, ou par un juif sur une fille chrétienne, ou enfin par un esclave sur sa maîtresse 3. La déclaration du 22 novembre 1730 avait recueilli ce principe: « Les personnes majeures ou mineures, porte son art. 3, qui se trouveront seulement coupables d'un commerce illicite, seront condamnées à telles peines qu'il appartiendra, selon l'exigence des cas, sans néanmoins que les juges puissent prononcer contre elles la peine de mort, si ce n'est que, par l'autorité des circonstances, par la qualité et l'indignité des coupables, ce crime parût mériter le dernier supplice: ce que nous laissons à l'honneur et à la conscience des juges. » Muyart de Vouglans, après avoir cité cette ordonnance, ajoute : « Il paraît, d'après les arrêts, que l'on a suivi des distinctions faites tant par cette loi que par le droit romain, en ce que les peines y sont augmentées ou diminuées suivant les circonstances, mais surtout suivant la qualité de ceux qui commettent ce crime ou de ceux envers qui il est commis on veut dire que l'on est dans l'usage de prononcer les peines corporelles et même les capitales dont il est parlé dans cette loi, contre ceux qui abusent de l'indignité de leur état et de l'ascendant que leur donne leur qualité sur de jeunes personnes, pour parvenir à la consommation de ce crime, tels que les esclaves, les juifs, les tuteurs et les curateurs. A quoi il faut joindre le geôlier qui abuse de sa prisonnière, le médecin de sa malade, le maître à chanter ou à danser de son écolière, le curé de sa paroissienne, le confesseur de sa pénitente, et le seigneur de la fille de son vassal*. »

1 Si tutor pupillam quondam suam violatâ castitate stupraverit, deportationi subjugetur, atque universæ ejus facultates fisci juribus vindicentur. L. un. C. si quis eam cujus sit fuer. corrupt.

2 L. 6, C. de judiciis; Julius Clarus, § Fornicatio, num, 26; Farinacius, quæst. 139, num. 3.

3 L. 1, C. de mulieribus quæ sev. prop. se junxerunt.

Lois crim,, p. 213.

Ainsi, sous cette législation, la peine devenait plus grave à raison de la qualité de l'agent, à raison de l'autorité qu'il avait pu exercer sur la victime, des facilités que sa position lui donnait, de la confiance qui avait été placée en lui et dont il avait abusé. Notre Code n'a donc fait qu'hériter d'un principe déjà consacré par une longue pratique.

1590. Examinons maintenant les diverses applications de ce principe par l'art. 333; la première concerne les ascendants de la personne sur laquelle l'attentat a été commis. Cette expression est une addition faite à l'art. 333 par la loi du 28 avril 1832. Cet article s'était borné à énoncer, en général, ceux qui ont autorité sur la personne envers laquelle ils ont commis l'attentat; et la question s'étant élevée de savoir si l'on peut ranger dans cette classe le père qui a commis un attentat à la pudeur sur sa fille majeure, la Cour de cassation décida, par un arrêt rendu, chambres réunies, le 6 décembre 1828, que lelégislateur n'ayant point nominativement désigné les pères dans l'art. 333, et l'autorité des pères et mères sur leurs enfants cessant, d'après l'art. 372 du Code civil, par leur majorité ou par leur émancipation, l'art. 333 ne s'étendait pas à cette hypothèse 1. C'est pour remplir cette lacune de la loi que le législateur l'a rectifiée.

1591. Après les ascendants, l'art. 333 énonce les personnes qui sont de la classe de ceux qui ont autorité sur la victime. On peut distinguer deux espèces d'autorité : l'autorité légale, qui prend sa source dans la loi elle-même, telle est celle qu'exercent les pères et mères, les tuteurs et curateurs; et l'autorité de fait qui dérive non de la loi, mais des circonstances et de la position des personnes, telle est celle du mari sur les enfants nés du premier mariage de sa femme, et des maîtres sur leurs domestiques. Peut-on restreindre la disposition de la loi aux seules personnes qui sont investies d'une autorité légale ? Quelques auteurs l'ont pensé : « Par ceux qui ont autorité sur les personnes, dit M. Carnot, on ne peut entendre que les pères et mères, les tuteurs et curateurs 2. » M. Haus ajoute : « La dis

1 Journ, du dr. crim., 1829, p. 42.
2 Comment. du Code pénal, t. 2,
p. 115.

position de l'art. 333 est exceptionnelle, et doit dès lors être interprétée dans un sens étroit; elle est pénale, et doit dès lors être expliquée, en cas de doute, dans le sens le plus favorable. Ensuite, cet article parle nominativement des instituteurs, fonctionnaires publics et ministres d'un culte, c'est-à-dire des personnes qui ont une autorité de fait. Or, cette désignation spéciale serait inutile si les termes de l'art. 333 comprenaient l'autorité de droit et de fait 1.) >>>

1592. Ces motifs ne nous paraissent pas concluants. L'article 333 s'étend, en général, à toutes les personnes qui ont autorité sur la victime; il ne distingue pas l'autorité de droit et de fait; on ne peut donc circonscrire sa disposition à l'un de ces cas qu'autant que la raison de la loi commande cette restriction. Or, quelle est la raison de l'aggravation? C'est que le coupable, investi d'une puissance quelconque sur la victime, s'en est servi comme d'un instrument pour commettre son crime; c'est qu'il a fait de cette puissance, qui devait être un titre de protection, une source de corruption; c'est qu'ayant trahi une obligation spéciale, le devoir qui dérivait de son autorité même, sa faute est plus grave et pour ainsi dire double. Après cela, qu'importe que l'autorité dérive de la loi ou de la condition sociale? Il suffit qu'elle ait existé pour que le crime devienne plus grave, parce que c'est par l'abus de cette autorité qu'il a été consommé. L'autorité légale, d'ailleurs, ne devient une circonstance aggravante du crime que parce qu'elle suppose nécessairement une autorité de fait; la criminalité s'aggrave à raison de l'influence morale que l'agent a pu exercer, et les effets de cette influence sont évidemment les mêmes, quelle que soit la source d'où elle dérive. L'objection tirée de ce que l'art. 333 a mentionné, en dehors de ceux qui ont autorité sur la victime, les instituteurs, les fonctionnaires et les ministres des cultes, est facile à résoudre. A l'égard de ces personnes, l'aggravation se puise, non plus dans l'autorité qu'elles exercent, car elles peuvent n'en exercer aucune sur la victime, mais dans la violation du devoir que leur imposent leurs fonctions. La désignation des instituteurs et des fonctionnaires n'exclut pas plus des

1 Observations sur le projet du Code pénal de Belgique, t. 3, p. 7.

termes de l'art. 333 ceux qui n'exercent qu'une autorité de fait, que la désignation des ascendants n'exclut les autres personnes qui exercent une autorité légale. Cette interprétation s'appuie sur les paroles de l'orateur du Corps législatif : « Le projet, disait M. Monseignat, s'applique aux individus qui ont quelque autorité sur la personne qui est l'objet de l'attentat qui nous occupe, comme ses maîtres, ses tuteurs, ses curateurs. » Ainsi le législateur lui-même confond, en expliquant cette disposition, l'autorité qui dérive du fait et celle qui dérive de la loi. La Cour de cassation a confirmé cette doctrine. Une Cour d'assises avait refusé de poser la question de savoir si la victime était domestique de l'auteur de l'attentat, parce que la qualité de maître ne pouvait entraîner aucune aggravation. La Cour de cassation a annulé cette décision: «< attendu que si les maîtres coupables envers leurs domestiques de l'un des crimes de l'art. 331 du Code pénal, ne sont pas énoncés nominativement dans l'art. 333 du même Code, ils y sont implicitement mais nécessairement compris; qu'il était résulté des débats que la plaignante était servante de l'accusé lorsque le crime avait été commis; que dès qu'une des circonstances aggravantes du crime d'attentat à la pudeur avec violence était sortie de ces débats, le ministère public avait eu le droit de requérir la position d'une question sur cette circonstance; qu'en refusant de déférer à cette réquisition du ministère public, sous le prétexte que les maîtres ne sont pas nominativemeut compris dans l'art. 333, tandis que la disposition de cet article, comprenant tous les coupables de la classe de ceux qui ont autorité sur la personne envers laquelle ils ont commis le crime, s'applique nécessairement aux maîtres qui l'ont commis envers leurs domestiques, la Cour d'assises a évidemment mal interprété et violé ledit article 1».

1

1593. Cette jurisprudence a été continuée dans quelques hypothèses qu'il est utile de rappeler. La question s'est élevée d'abord de savoir si le mari doit être réputé avoir autorité sur l'enfant naturel de sa femme, après le décès de celle-ci. La solution affirmative résulte d'un arrêt portant: « qu'il est

1 Cass., 26 déc. 1823, S.24.1.185.

constaté par la réponse du jury que la fille Bourgoin, depuis le mariage de sa mère, a toujours habité et vécu dans la maison des époux Vallot; que dès lors l'autorité qui, du vivant de la mère, était la conséquence de la puissance maritale, n'a pas cessé après le décès de celle-ci; que cette circonstance n'a fait au contraire que rendre pour Vallot son devoir de protection plus impérieux et son crime plus grave1». Une autre question était de savoir si le chef d'un atelier a autorité sur les ouvriers qui y travaillent sous ses ordres. La solution a encore été affirmative 2; mais on a prétendu cependant que le caractère discontinu de ce travail enlevait à l'autorité l'un de ses éléments, la permanence. Il a été répondu « que l'art. 333 s'étend à tous les coupables qui ont autorité sur la victime de l'attentat, quel que soit d'ailleurs le caractère de cette autorité, et sans distinguer entre l'autorité permanente et celle qui peut ne pas exister d'une manière continue, l'autorité, dans l'un comme dans l'autre cas, attribuant à celui qui la possède un ascendant dont l'art. 333 a précisément pour objet de prévoir et de punir l'abus 3». Toutefois, quand l'autorité dérive du fait, il est nécessaire que la déclaration du jury énonce le fait dont elle est la conséquence. Il ne suffit pas, par exemple, de constater que le coupable « avait la qualité de père nourricier »; il faut ajouter à cette énonciation d'une qualité qui ne donne pas une autorité, même de fait, durable, les circonstances spéciales qui peuvent constituer l'autorité de fait de celui qui la porte *.

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1594. Le sens de ces termes ainsi fixé, il reste à déterminer quelle est la juridiction qui doit déclarer si l'accusé fait partie de la classe des personnes qui exercent une autorité sur la victime de l'attentat. Nous avons eu déjà l'occasion d'examiner cette question (V. no 689 et 726), qui touche plus d'ailleurs à l'instruction criminelle qu'au Code pénal. En règle générale, le fait et ses circonstances ne peuvent être appréciés

1 Cass., 12 août 1859, Bull. n. 200.

2 et 3 Cass., 27 août 1857, Bull. n. 321.

4 Cass., 11 déc. 1856, Bull. n. 393.

5 V. notre Traité de l'instr, crim., t. VIII, n. 3697 et 3698,

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