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que par le jury; or, l'autorité dont l'accusé était investi et qu'il a pu exercer, est une circonstance du fait. Mais, à côté de cette règle, la Cour de cassation a constamment établi, comme une sorte de limite, que si les faits ne peuvent être déclarés constants que par le jury, il n'appartient qu'à la Cour d'assises de tirer de ces faits leurs conséquences légales. Ainsi c'est au jury qu'est attribué le droit de déclarer l'âge de la personne sur laquelle a été commis l'attentat ; c'est au jury de répondre si l'accusé de cet attentat est tuteur, beau-père, ascendant ou domestique de la victime. Ces circonstances sont des éléments d'aggravation ou d'atténuation de la peine; il est impossible dès lors de les soustraire à l'examen du jury. Vainement on alléguerait qu'elles peuvent être établies par acte authentique. L'acte authentique perd au sein des débats criminels sa force de preuve; il n'a plus qu'une force de présomption que la puissance illimitée du jury peut admettre ou anéantir, parce qu'il est appelé à apprécier la relation du fait établi par la preuve légale avec le fait incriminé et son influence sur la culpabilité de l'agent. Il ne suffit plus que le fait résulte d'un acte, il faut encore que le jury reconnaisse et proclame ce résultat. Mais dès qu'il s'agit, suivant la même jurisprudence, non plus seulement de reconnaître un fait, mais d'en tirer des conséquences légales relativement à l'application de la peine, le pouvoir du jury expire, et la Cour d'assises devient seule compétente. Ainsi cette Cour peut seule décider si l'accusé, en sa qualité de beau-père, déclarée par le jury, jouissait d'une autorité légale sur la fille de sa femme, si l'oncle exerce une autorité sur sa nièce, le maître sur sa domestique, le tuteur sur sa pupille. Cette distinction a été consacrée par un trèsgrand nombre d'arrêts".

1 Cass., 1er oct. 1834, Devill. et Car., 1834.1.767; Journ. du dr. crim., 1834, p. 231.

2 Cass., 3 mai 1832, Journ. du dr. crim., 1832, p. 280.

5 Cass., 25 mars 1830, Journ. du dr. crim., 1830, p. 211; 3 mai ‍1832, Bull. 1832, p. 281; 2 oct. 1835, Devill. et Car., 1836.1.112; 22 sept. 1836, Bull. n. 310; Cass., 25 mars 1843, Bull. n. 70; 2 mai 1844, Bull, n. 157. 4 Cass., 4 avril 1833, Devill. et Car., 1833.1.411.

5 V. Cass., 10 août 1839, Devill. et Car., 1840.1.71; 17 janv. 1850, Bull.

1595. La Cour de cassation a jugé en point de droit, conformément à cette distinction, que le mari a autorité sur les enfants mineurs non émancipés, issus du premier mariage de sa femme, mais que cette autorité cesse par leur majorité ou leur émancipation1. Les motifs de cette décision sont: « que, d'après l'art. 372 du Code civil, l'enfant reste sous l'autorité de ses père et mère jusqu'à sa majorité ou son émancipation, et qu'aux termes de l'art. 374 du même Code, l'enfant ne peut quitter la maison paternelle sans la permission de son père; que cette autorité continue d'exister, avec certaines modifications, dans la personne de la mère, après le décès du père, et même après qu'elle a convolé à de secondes noces; que, dans dans ce dernier cas, le second mari, par l'effet seul de la puissance maritale et de sa qualité de chef et de maître du domicile commun, entre nécessairement en partage de l'autorité de sa femme sur ses enfants mineurs et non émancipés, issus du premier mariage, ainsi que cela résulte des dispositions combinées des art. 213, 214, 395 et 396 du Code civil; que s'il est vrai que la mère qui a convolé a perdu de plein droit la tutelle, faute par elle d'avoir, conformément à l'art. 395 du Code précité, convoqué le conseil de famille pour décider si la tutelle de sa fille mineure devait lui être conservée, le second mari, quoique non revêtu de la qualité de cotuteur, n'en demeure pas moins solidairement responsable des suites de la tutelle indûment conservée par sa femme; que cette disposition de la loi prouve jusquà l'évidence que le législateur a considéré le second mari comme exerçant en réalité une autorité sur les biens et sur la personne de la mineure, puisqu'il en fait peser sur lui la responsabilité; qu'il résulte de ces principes que le beau-père qui se rend coupable du crime de viol sur la personne de sa belle-fille mineure non émancipée, rentre dans la catégorie des personnes ayant autorité sur celles qu'a eues en vue l'art. 333 du Code pénal 2 ».

D'autres arrêts ont également décidé : 1o que le mari qui se

1 Cass., 25 mars 1830, Devill. et Car., 1830.1.277; 3 mars 1832, Journ. crim., 1832, p. 281; 26 fév. 1836, Bull. n. 60; 14 nov. 1846, n. 245. 2 Cass., 16 fév. 1837, Devill. et Car., 1837.1.551.

rend coupable d'attentat à la pudeur sur la personne de la fille naturelle de sa femme est passible de l'art. 333 : « attendu qu'aux termes des art.213, 214, 372, 373 et 374 du Code civil, combinés, la mère a autorité sur l'enfant naturel par elle reconnu; que son mari participe nécessairement de cette autorité par celle que la loi lui confère sur sa femme; que d'ailleurs il a lui-même une autorité directe sur l'enfant mineur habitant le domicile conjugale1»; 2° qu'il en est ainsi du père naturel de la victime, surtout quand quelques-uns des faits ont eu lieu depuis la légitimation par mariage subséquent : «< attendu que le jury ayant déclaré que certains des attentats avaient eu lieu après le mariage des père et mère de la victime et la légitimation de cette dernière, l'art. 333 devait recevoir son application sans qu'il fût nécessaire d'examiner si dans ce cas la paternité naturelle, d'ailleurs non reconnue jusqu'au mariage, aurait dû produire les mêmes effets que la paternité légitime ou devenue telle par le mariage2 »; 3° qu'il en est encore ainsi du mari à l'égard de sa femme : « attendu qu'aux termes du droit commun et des dispositions du Code Napoléon, le mari a autorité sur sa femme, laquelle lui doit obéissance; que cette qualité, qui impose au mari l'obligation de protéger sa femme, ne peut donc qu'aggraver un crime qui n'est qu'un odieux abus de son autorité et l'oubli le plus coupable de la protection qu'il lui doit». Mais toutes ces solutions de droit ne peuvent intervenir que lorsque toutes les circonstances de fait, qui en sont les éléments, telles, par exemple, que la minorité dé l'enfant, ont été explicitement reconnues par le jury".

Nous devons noter encore un arrêt rendu à notre rapport qui décide en termes exprès : 1° que l'aggravation peut résulter d'une autorité de fait; 2° que cette autorité peut résulter même d'un fait illicite; 3° que le jury doit déclarer alors les faits constitutifs de cette autorité et la Cour en reconnaître le

1 Cass., 11 juin 1841, Bull. n. 174; 20 janv. 1853, Bull. n. 23; 7 juin 1860, Bull. n. 130.

2 Cass., 22 déc. 1842, Bull. n. 335.

3 Cass., 18 mai 1854, Bull. n. 161.

4 Cass., 12 août 1859, Bull. n. 200; 21 janv. 1858, Bull. n. 12; 14 nov. 1866, Bull. n. 245.

caractère. L'arrêt décide : « que l'aggravation pénale portée par l'art. 333, dans le cas où l'accusé est de la classe de ceux qui ont autorité sur la victime, peut résulter non-seulement d'une autorité de droit, mais aussi d'une autorité de fait; que les questions affirmativement résolues par le jury constatent que l'accusé vivait en concubinage avec la mère de la victime, qu'il avait une habitation commune avec la mère et la fille, et que celle-ci était âgée de moins de 13 ans ; que dans ces faits l'arrêt attaqué a pu trouver les éléments constitutifs de la circonstance aggravante; qu'en effet, l'accusé vivant maritalement et dans un domicile commun avec la mère de la victime, exerçait nécessairement sur cette enfant âgée de moins de 13 ans une autorité de fait; qu'il importe peu que cette autorité résultât d'un acte illicite et qu'elle fût usurpée; que la criminalité slaggrave, à raison de l'influence morale que l'accusé exerce sur la victime, et que cette influence peut dériver d'un fait illégitime aussi bien que d'un titre légitime1. >>

1596. La troisième classe de personnes dont la qualité est une cause d'aggravation du crime se compose des instituteurs. Ce n'est pas précisément dans l'autorité qu'ils exercent que cette aggravation puise son motif: cette autorité est, dans certains cas, presque nulle; par exemple, quand ils ne font qu'enseigner un art, une science quelconque. Si leur crime est plus grave, c'est parce qu'ils violent un devoir plus sacré, c'est parce qu'ils abusent de la confiance qui leur a été accordée, c'est parce qu'ils mettent à profit les facilités que leurs fonctions leur laissent, et la familiarité qu'elles leur permettent. Tels sont les motifs qui ont porté le législateur à inscrire dans la loi les instituteurs, après avoir mentionné ceux qui ont autorité sur la personne. Nous pensons, du reste, qu'on doit comprendre dans cette expression tous les maîtres attachés soit à la surveillance de la personne, soit à l'enseignement de l'élève; la même raison d'aggravation subsiste à l'égard de tous. Il en était de même dans l'ancien droit, auquel notre Code a emprunté cette règle, et qui l'appliquait aux maîtres de

1 Cass., 31 déc. 1868, Bull. n. 265.

TOME IV.

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danse, de musique, de dessin, convaincus d'avoir abusé de leurs écolières 1.

1597. La quatrième classe des personnes dont la qualité aggrave l'attentat se forme des serviteurs à gages, soit de la victime elle-même, soit de ses ascendants ou des personnes qui ont autorité sur elle. L'ancien art. 333 ne mentionnait que les serviteurs à gages de la personne sur laquelle l'attentat a été commis; une difficulté très-grave était née des termes incomplets de cet article. Il avait paru douteux que le viol commis par un domestique sur la fille de son maître fût passible de l'aggravation, attendu que les domestiques sont les serviteurs à gages du père, du chef de la famille, et non de ses enfants. La loi du 28 avril 1832 a fait cesser ces incertitudes. La qualité de serviteur à gages existe non-seulement en ce qui concerne le chef de la famille, mais encore tous les membres qui la composent.

1598. L'art. 333 prononce l'aggravation, « si les coupables sont les serviteurs à gages (de la personne sur laquelle a été commis l'attentat) ou serviteurs à gages des personnes ci-dessus désignées, » c'est-à-dire des ascendants de la victime ou des personnes qui ont autorité sur elle. De là il suit que si le coupable et la victime sont tous les deux domestiques dans la même maison, l'aggravation est applicable, puisque l'auteur du crime est serviteur à gages de la personne qui avait autorité sur celle-ci. Ce point a été reconnu par un arrêt, rendu à notre rapport, et qui dispose: « qu'il est constaté par la déclaration du jury que le demandeur était serviteur à gages de personnes qui avaient autorité sur la victime; que par conséquent la Cour d'assises a fait une juste application de l'art. 333; que le fait que la fille, sur laquelle l'attentat a été commis, se trouvait employée dans la même qualité de domestique et dans la même maison que l'accusé, n'était point un obstacle à cette application ; qu'il suffit, en effet, d'après les termes précis de l'article 333, que cet accusé ait commis le crime sur une personne soumise à l'autorité des individus dans la maison desquels elle

1 Jousse, t. 3, p. 737, et conf. Cass., 9 août 1867, Bull. n. 186. 2 Cass., 6 sept. 1821, Bull. n, 147; 6 oct. 1864, Bull. n. 239.

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