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tères de ce délit, mais encore les règles spéciales qui en régissent la poursuite, car ces règles de procédure ont été formulées par le Code pénal. Nous diviserons, en conséquence, cette matière en cinq paragraphes dans lesquels seront successivement examinés 1o les caractères du délit; 2° les règles relatives à l'exercice de l'action; 3° les fins de non-recevoir; 4° les preuves; 5° les dispositions pénales.

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1606. Le Code n'a point défini l'adultère; mais ce mot porte en lui-même sa propre signification, et son étymologie seule en explique le sens : adulterium ad alterum thorum vel uterum accessio. L'adultère est la profanation du lit nuptial, la violation de la foi conjugale consommée corporellement : alieni thori violatio1.

Trois circonstances sont nécessaires pour constituer le délit d'adultère l'union consommée des sexes, le mariage de l'un des agents, le dol ou la volonté coupable de la part de la personne mariée.

1607. La consommation du commerce illicite est la condition essentielle du délit. Tant que l'immoralité des désirs ne s'est point manifestée par des actes, tant que la pensée est seule encore adultère, l'impuissance de la loi est une raison suffisante de son inaction. Mais ce n'est point encore assez, pour motiver une action répressive, que cette pensée se révèle par des actes même licencieux, par des familiarités même intimes: comment de tels actes, s'ils ne sont pas la consommation même de l'adultère, pourraient-ils devenir la base d'une poursuite? comment en obtenir la preuve ? comment constater l'intention plus ou moins coupable de leurs auteurs ? Dans quel vaste champ de présomptions et d'enquêtes le juge irait-il s'égarer? Et puis, ces actes, quels qu'ils soient, n'ont point les mêmes conséquences que la consommation de l'adultère; la femme, un moment égarée, peut se relever encore; le lit nuptial n'est point souillé : ne serait-il pas imprudent d'assimiler de légères infi

1 Farinacius, quæst. 141, num. 1.

délités à l'oubli complet de ses devoirs, et le caprice d'un instant à la violation consommée de sa foi? Tels sont les motifs qui ont porté la loi pénale à ne punir que le fait même de l'adultère: la simple tentative de ce délit n'a point été assimilée au délit lui-même.

Ce principe était le même sous l'ancien droit. « Toute habitude ou familiarité, dit Fournel, qui ne tendrait pas à la satisfaction des sens, serait incapable de produire un adultère. Les privautés obscènes ne constituent pas même l'adultère, qui exige essentiellement la consommation de l'œuvre, ita ut demùm unum sit et sese commisceant 1.» A la vérité, des poursuites étaient exercées, des condamnations prononcées dans des circonstances où les coupables n'avaient point été surpris dans cette intime union, où l'on ne constatait que des actes obscènes et licencieux; mais ces actes étaient alors considérés comme des présomptions de la consommation du délit, et les anciens jurisconsultes avaient même pris le soin de définir la force probante qui devait être donnée à chacun d'eux 3. Toutefois l'adultère nous paraîtrait consommé, contrairement à l'opinion de quelques auteurs, lorsque reperiuntur solus et sola, nudus et nuda in eodem lecto; autrement toute preuve de ce fait deviendrait impossible.

Une autre conséquence du même principe est que le délit n'est constitué ni par les actes impudiques qu'une femme se permet sur elle-même, ni par les familiarités criminelles qui peuvent avoir lieu entre personnes du même sexe. L'adultère suppose nécessairement un complice, et la différence du sexe entre l'agent et son complice est également essentielle à son existence.

1608. Le deuxième élément du délit est le mariage des coupables, ou du moins de l'un d'eux. Le commerce illicite ne devient criminel qu'à raison de ce mariage même, parce que la personne mariée, dit Fournel, appartient à un seul, ce qui fait de l'adultère une espèce de larcin. Le droit canonique distin

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guait l'adultère commis entre une femme mariée et un homme libre, et celui qui se commet entre deux personnes mariées, inter uxoratos; ce dernier était appelé adultère double. Le Code pénal, conforme sur ce point à l'ancien droit civil, n'a fait aucune distinction entre ces deux faits.

Il résulte de cette deuxième règle, que le délit n'existe pas lorsque le commerce illicite a été commis soit avant la célébration du mariage, soit après sa dissolution.

Des doutes s'étaient élevés, dans le premier cas, dans notre ancienne jurisprudence; la loi romaine admettait contre la fiancée l'accusation d'adultère, parce que neque matrimonium qualecumque nec speciem matrimonii violare permittitur1 ; l'ancienne loi des Juifs offrait la même décision. Cette jurisprudence fut longtemps observée en France, à l'égard des parties qui avaient été fiancées par paroles ou présents, parce que cette espèce de fiançailles était regardée comme un vrai mariage; mais depuis le concile de Trente et l'ordonnance de Blois, ces fiançailles cessèrent d'avoir lieu, et la jurisprudence n'admit plus l'adultère avant la célébration du mariage. L'action ne pourrait être exercée, lors même que, par suite des désordres antérieurs de la femme, les effets s'en manifesteraient pendant le mariage, par exemple, par des couches qui suivraient de près la célébration, parce que le commerce illicite ayant été commis dans un temps où la femme était libre, elle n'a pu se rendre coupable d'adultère. La même décision doit être étendue au cas où le mariage ne serait pas valable, par exemple, s'il a été contracté par un homme déjà engagé dans les liens d'une première union; dans ce cas, la femme accusée d'adultère par son mari serait fondée à lui opposer la nullité du mariage résultant de son état de bigamie, et il y aurait nécessairement lieu, avant de statuer sur la plainte en adultère, de prononcer sur la validité de l'exception, puisque le délit se trouverait subordonné à son existence.'

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1 L. 7, Cod. de adult.; 1. 13, § 3, Dig. ad leg. Jul. de adult, dans la loi 11,

§ 7, Papinien semble créer plutôt pour ce cas une espèce d'action particulière.

Deuter., 22 et 23.

3 Fournel, p. 8.

Il en est encore ainsi dès que le mariage est légalement dissous. Ainsi la femme ne se rendait plus coupable d'adultère après la condamnation de son mari à une peine entraînant la mort civile, et la grâce dont celui-ci était l'objet ne lui donnait pas le droit de porter plainte, parce que la grâce ne fait point cesser les incapacités encourues, et que le mariage s'était trouvé dissous au moment où la condamnation était devenue définitive.

1609. Le troisième élément du délit est le dol, c'est-à-dire la volonté coupable: sine dolo malo adulterium non committitur1. Ainsi la violence exercée sur la femme, ou l'erreur de la femme, quand elles sont constatées, sont des faits justificatifs qui donnent lieu de repousser la plainte. Nous examinerons plus loin. ces excuses, en énumérant les fins de non-recevoir qui peuvent être opposées à l'action; il suffit de poser ici, comme une règle de la matière, que, pour l'existence du délit, il faut que la volonté de la femme ait été complice du fait de stupre; ce fait, du reste, fait présumer la volonté, et la méprise ou la force n'est qu'une exception qu'elle doit prouver.

Telles sont donc les trois circonstances constitutives de l'adultère le fait de la conjonction charnelle, le mariage des agents ou de l'un d'eux, la volonté coupable. Chacun de ces éléments est également essentiel à l'existence du délit. L'absence d'un seul ne laisserait plus subsister qu'une tentative du délit que la loi n'a pas punie, ou qu'un fait immoral qui ne rentrerait dans ses termes que pour constituer un délit différent. Après avoir ainsi caractérisé le délit d'adultère, nous allons examiner les règles qui dominent sa poursuite.

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1610. L'adultère peut être commis soit par la femme, soit par le mari. La loi a tracé pour l'un et l'autre cas des règles différentes de poursuite.

Sous l'ancien droit romain, la plainte en adultère contre la femme n'appartenait qu'au mari. La loi Julia de adulteriis

1 Gaïus, l. 43, Dig. ad leg. Jul. de adulteriis ; Farinacius, quæst. 141, num.

déclara l'adultère crime public; on distingua dès lors trois sortes d'accusations, suivant qu'elles étaient portées par le mari, par la famille, par les étrangers, jure mariti, parentum et extraneorum'. Le droit des étrangers fut plus tard aboli par Constantin, extraneos autem procul arceri ab accusatione censemus ; les parents et le mari demeurèrent seuls recevables à intenter l'accusation. Notre ancien droit, plus rigoureux encore, resserra ce pouvoir dans les seules mains du mari : l'adultère fut considéré comme un délit privé dont la vengeance lui était exclusivement réservée, et l'on établit la maxime: Maritus genitalis thori solus vindex.

Le Code pénal, sans adopter toutes les conséquences de cette règle, porte également dans son art. 336 : « L'adultère de la femme ne pourra être dénoncé que par le mari. » La raison de cette exception au droit commun est qu'une poursuite d'office aurait pour effet, en livrant à la publicité le fait de l'adultère, d'ébranler et de dissoudre des liens que le vœu de la loi est de maintenir indissolubles. L'intérêt de la famille arrête l'action publique. Si le délit n'est pas prouvé pour le mari, il ne l'est pour personne; s'il consent à pardonner à sa femme, la société n'a plus d'intérêt à la déclarer coupable. Le silence du mari équivaut à la preuve légale que le délit n'a point été commis3.

1611. Mais faut-il induire de cette règle exceptionnelle que le délit d'adultère doive être considéré comme une sorte de délit privé contre le mari, et que les principes du droit commun soient en tous points inapplicables à l'action de celui-ci? Les rédacteurs du Code pénal ont paru admettre cette conséquence, lorsqu'ils ont dit dans l'exposé des motifs : « Sans doute, ce délit porte atteinte à la sainteté du mariage que la loi doit protéger et garantir; mais, sous tout autre rapport, l'adultère est moins un délit contre la société que contre l'époux, qu'il blesse dans son amour-propre, sa propriété, son amour. >> Cette assertion trop absolue pourrait induire en erreur.

1 L. 2, § 8 et 9, Dig. ad leg. Jul. de adulteriis; 1. 30, C. ad leg. Jul. de adulter. 2 Probatam enim à marito uxorem et acquiescens matrimonium non debet quis turbare atque inquietare. L. 26, Dig. ad legem Juliam de adulteriis.

3 V. sur cette règle le plaidoyer de l'avocat Gilbert, 23 janv. 1734; Nouv. Denisart., t. er, p. 268.

TOME IV.

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