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crimination; il a reproduit jusqu'à ses termes: il ne s'est pas arrêté à la disposition générale du Code de 1791 : «Quiconque, portait ce Code, sera convaincu d'avoir volontairement détruit la preuve de l'état civil d'une personne, sera puni de la peine de douze années de fers. » (Titre 5, section 1re, art. 32).

1705. Ce seul rapprochement indique déjà que le crime prévu par l'art. 345 n'a pas dû avoir abdiqué le caractère qu'il avait sous l'ancien droit; qu'il a dû également considérer l'enfant dans ses rapports avec son état civil; qu'il n'a pu avoir en vue que de protéger ses droits de famille et de cité. L'exposé des motifs du Code révèle complétement cette intention du législateur: « Le Code pénal de 1791, a dit M. Faure, ne contient qu'une seule disposition sur cette matière: il prononce deux ans de fers contre celui qui a détruit la preuve de l'état civil d'une personne. L'expérience a fait reconnaître que cette disposition était trop vague, et qu'il convenait de spécifier ces différents cas, tels que le recélé ou la suppression d'un enfant, la substitution d'un enfant à un autre, et la supposition d'un enfant à une femme qui n'est point accouchée. Nous ne parlerons point des édits et déclarations qui furent rendus sous la dernière dynastie, relativement aux recélés de grossesse. L'humanité eut longtemps à gémir de lois si atroces. L'Assemblée constituante fit disparaître cette législation, si contraire aux mœurs d'un peuple civilisé, et particulièrement de la nation française. Mais, pour éviter les détails auxquels s'étaient livrées les anciennes lois, elle tomba dans l'excès opposé, et ne détermina point du tout ce qui, en matière pénale, ne peut être déterminé avec de trop soin. Les expressions du nouveau Code ne laisseront point de doute que ceux-là seront condamnés à la peine de la reclusion qui, par de fausses déclarations, donneront à un enfant une famille à laquelle il n'appartient point et le priveront de celle à laquelle il appartient, ou qui, par un moyen quelconque, lui feront perdre l'état que la loi lui garantissait. >>

Ces lignes témoignent que les préoccupations du législateur, en traçant l'art. 345, n'avaient qu'un seul objet, la conservation de l'état civil de l'enfant. La loi veillait pro puero parvulo

ut liber et ingenuus appareat1. Elle prenait des précautions pour maintenir les familles intactes et pures: Publici enim interest partus non subjici, ut ordinum dignitas familiarumque salva sit2. Sa prévoyance ne s'étendait, ainsi que l'indique la rubrique du Code, qu'aux seuls crimes et délits tendant à empêcher ou détruire la preuve de l'état civil de l'enfant.

1706. Il suit de là que le mot enfant, dont s'est servi le législateur, ne peut évidemment s'entendre que d'un être organisé et vivant; car l'enfant né mort et non viable ne peut avoir d'état, ne peut acquérir aucun droit, ni par conséquent en transmettre à personne. Comment expliquer, d'ailleurs, la disposition rigoureuse de l'art. 345, étendue au recélé de la naissance d'un fœtus ou à l'inhumation clandestine d'un enfant mort-né? Ces faits sont sans doute répréhensibles, mais ils ne portent aucun préjudice; et s'ils doivent être punis, ce n'est pas par une peine afflictive et infamante. La suppression ou le recélé ne suppose qu'un seul fait, c'est qu'un être qui avait reçu la vie, et qui pouvait vivre, a disparu sans laisser de traces, par l'effet d'une volonté criminelle. C'est le fait de cette disparition clandestine que la loi punit, abstraction faite de tout autre crime 3.

Il n'est pas inutile d'insister sur cette interprétation, car elle avait été contestée par la Cour de cassation. Un arrêt du 5 septembre 1834 a, pour la première fois, posé une interprétation contraire; cet arrêt déclaré que les dispositions de l'article 345 sont générales et absolues; qu'elles s'appliquent également à la suppression d'un enfant mort comme à celle d'un enfant vivant; que l'enfant dont il s'agit au procès devait être présenté à l'officier de l'état civil, pour que son état fût constaté et qu'il fût procédé à son inhumation après les vérifications légales pour établir qu'il était ou qu'il n'était pas né viable, ou faire connaître les causes d'une mort aussi prompte; que, s'il en était autrement, l'impunité des coupables d'infanticide serait

1 L. 3, au Cod. de infantibus expositis.

2 L. 1, § 13, Dig. de inspiciendo ventre.

5 V. dans ce sens Merlin, Rép., vo Suppression de part; Carnot, Comment, du Code pénal, t. 2, p. 126; Rauter, p. 76.

assurée, puisqu'il suffirait de compléter le premier crime et de le couvrir par celui subséquent de la suppression du cadavre, dont le coupable, d'après l'arrêt attaqué, ne serait passible d'aucune peine1.» Deux autres arrêts avaient confirmé cette doctrine; le dernier ajoutait : « que le principe qui a dicté cette disposition pénale a pour objet de garantir les familles contre toute atteinte portée à l'ordre légal des transmissions des héritages; d'où il suit qu'elle est applicable à toute suppression d'enfant vivant ou mort, par suite de laquelle les droits qui se rattachent au fait de son existence peuvent être compromis'. »

1707. Reprenons les motifs de ces arrêts: le premier est puisé dans la généralité des termes de l'art. 345, qui permettent de l'appliquer à toute suppression d'enfant vivant ou mort. Mais quel est l'unique objet de cet article? C'est, suivant l'arrêt du 27 août 1835, de garantir les familles contre toute atteinte portée à l'ordre légal des transmissions d'héritages. L'enfant mort-né n'a point d'état; il n'acquiert et ne transmet aucune succession. L'application de la loi est donc nécessairement limitée au cas où l'enfant a vécu de la vie extra-utérine. Objecte-t-on que la suppression de l'enfant doit faire naître la présomption que cet enfant était né vivant? Mais comment admettre, en matière criminelle, une sorte de présomption légale au lieu d'une preuve acquise? Cette présomption pourraitelle suffire pour faire considérer l'existence du crime comme certaine, pour établir une peine ? L'arrêt du 5 septembre 1834 ajoute : « que l'enfant devait être présenté, pour que son état fût constaté, et qu'il fût procédé à son inhumation après les vérifications légales. » Tel est, en effet, le vœu de la loi; mais cette omission, qui peut constituer un délit, a-t-elle le caractère d'un crime? Ne pas représenter un enfant mort, est-ce commettre le crime de suppression d'enfant ? Cette omission peut être un indice de crime, mais elle ne peut seule le constituer ; car il faudrait soutenir que la présentation de l'enfant au maire

1 Bull. n. 294, S.34.1.833.

↑ Cass., 21 fév. et 27 août 1835, Bull. n. 64 et 332, S.35.1.367 et 920; 15 juill. 1836, Bull. n. 231,

et la déclaration de la naissance peuvent être prescrites sous peine de crime de suppression d'enfant.

On se fonde surtout sur l'impunité de la mère. Ainsi, pour établir le crime de suppression, l'argumentation se préoccupe toujours du crime possible d'infanticide. C'est à l'action publique à diriger ses recherches, à multiplier ses investigations, à recueillir tous les indices; si ses efforts n'aboutissent qu'au doute, ce doute doit se résoudre en faveur de l'accusé. On insiste : « L'impunité des coupables serait assurée, puisqu'il suffirait de compléter le premier crime et de le couvrir par celui de la suppression du cadavre, pour que le coupable ne fût passible d'aucune peine. » Mais peut-on admettre que les investigations de la justice soient toujours infructueuses ? Ensuite, n'y a-t-il pas ici une étrange confusion? Est-ce donc pour arriver à punir le meurtre que la Cour de cassation incrimine la suppression du cadavre d'un enfant mort-né? Faudra-t-il supposer qu'un enfant qui a disparu est mort, et qu'il est mort par l'effet de la volonté criminelle qui a opéré la suppression, pour établir sur cette double présomption la peine du meurtre? La seule pénalité de l'art. 345 démontre l'erreur de cette doctrine; car si le coupable a donné la mort, la peine est trop faible; s'il n'a fait que dérober les traces d'un cadavre, elle est évidemment trop forte. Il faut écarter cette double hypothèse. L'art. 345 ne s'applique point aux attentats contre la vie, il n'a pas pour but de réprimer les actes de débauche, et le recélé de grossesse a cessé d'être un crime : c'est l'état, c'est la famille, e'est le nom qu'il protége; il ne faut pas chercher dans ses termes une autre prévision, une autre pénalité.

Le crime de l'assassin n'est pas de cacher la victime homicidée, mais de lui donner la mort. De même, le crime de la mère n'est pas de cacher sa honte, mais de compromettre l'existence, les intérêts ou l'état de son enfant, sous prétexte de cacher cette honte. Cette crainte du déshonneur ne sera pas écoutée, si elle a eu pour conséquence un attentat contre cette existence ou cet état. Mais quand la mère, surprise par les douleurs de l'enfantement, se trouve en face d'un cadavre, seul témoin de sa faute; quand toute espérance de conserver la vie de son enfant est éteinte, que l'abandon ou le délaisse

ment du cadavre ne peuvent s'expliquer que par le sentiment de la pudeur ou de la honte, enfin qu'aucun intérêt de personne, d'état, de famille, ne sera compromis, la loi doit suspendre ses rigueurs, car elles ne seraient plus nécessaires.

Et suivons les conséquences de cette jurisprudence. Supposons qu'un homme enlève avec fraude ou violence un enfant à sa mère; l'art. 354 le punit de la reclusion et maintenant, qu'une femme, sans fraude ni violence, porte au loin le corps inanimé dont la présence révèle sa honte, la même peine l'atteindrait ! Cette femme, si elle était accouchée d'un enfant vivant, et si, par son imprudence, sans détruire la vie, elle l'a laissée s'éteindre, ne sera punie, aux termes de l'art. 319, que d'un emprisonnement de deux ans; mais elle est accouchée d'un enfant mort, elle n'a aucune imprudence à se reprocher, et elle encourra cinq ans de reclusion pour avoir enseveli sa honte avec le cadavre! Il est impossible d'expliquer une anomalie si choquante, une telle disproportion dans les peines.

En résumé, la suppression du cadavre, c'est l'indice du crime: mais, à défaut d'autres circonstances, ce ne peut être un crime. C'est peut-être une lacune de la loi ; il serait peutêtre utile d'ajouter une peine contre la mère qui ne représente pas l'enfant nouveau-né; mais la jurisprudence ne peut suppléer au silence de la loi. Et comment y suppléerait-elle ? en créant une peine exorbitante, sans proportion avec les autres faits analogues, enpunissant une faute comme un crime, un égarement de la honte comme un acte infâme, une omission comme un attentat! (Voy. au surplus n. 1712.)

1708. Cette opinion a été solennellement consacrée par un arrêt des chambres réunies du 1er août 1836, qui reconnaît « que l'art. 345, qui prononce la peine de la reclusion contre la suppression d'un enfant, a essentiellement pour objet d'assurer son état civil, ainsi que l'indiquent les titres de la section et du paragraphe sous lesquels cet article est placé; que si le législateur a eu en vue d'assurer l'état civil d'un enfant, ce n'a pu être que dans la supposition où celui-ci serait vivant, l'enfant né mort ne pouvant avoir d'état ; qu'appliquer cet article au cas d'inhumation clandestine d'un enfant mort-né,

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