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c'est donner à la loi une extension qui n'est ni dans ses termes ni dans son esprit; que c'est d'ailleurs enfreindre le principe général qui ne permet pas d'étendre les lois pénales, et qui veut qu'elles soient toujours restreintes dans leurs véritables termes1. » La chambre criminelle, adoptant cette nouvelle interprétation, a jugé, par un arrêt du 8 novembre 1839 : « que l'art. 345 a eu pour objet, non-seulement la conservation de la personne de l'enfant, mais encore d'assurer son état civil; qu'il en résulte que c'est une condition constitutive et substantielle de ce crime que l'enfant supprimé soit né vivant2; » — par un arrêt du 4 juillet 1840 : « que le législateur a nécessairement supposé que l'enfant serait vivant, puisque l'enfant né mort ne peut avoir d'état 3; » - par un arrêt du 26 juillet 1849 : << que si la loi n'admet par aucune disposition la non-viabilité de l'enfant comme excuse du crime de suppression de cet enfant, et que si l'enfant est mort-né, il en résulte, non que le crime de suppression est excusable, mais que ce crime n'existe pas*. >>

1709. Les éléments du crime de suppression d'enfant peuvent être posés maintenant avec précision; ils sont le résumé de cette discussion : le premier est le fait matériel du recélé, de l'enlèvement, de la suppression de l'enfant ; le deuxième est que l'enfant soit né vivant, qu'il ait eu l'existence extra-utérine, qu'il ait eu pu jouir d'un état civil; le troisième, enfin, est que les traces de son existence aient été effacées avec l'intention de supprimer ou de changer son état. Si la suppression s'applique au cadavre d'un enfant mort-né, il n'y a plus de crime; si elle s'applique au cadavre d'un enfant qui a vécu, avec une autre intention que de supprimer son état, le crime change de nature. Ce dernier élément du crime a été nettement formulé dans un arrêt qui déclare << que le crime n'est légalement caractérisé qu'autant que le fait matériel du recélé ou de la suppression d'enfant a eu lieu avec la pensée coupable d'arriver ainsi à la suppression de l'état civil de cet enfant; qu'il importe dès lors que l'arrêt

1 Bull. n. 254, S.36.1.545.

2 Bull. n. 196.

3 Bull. n. 339.

4 Bull. n. 180.

TOME IV.

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qui renvoie la personne poursuivie devant la Cour d'assises sous l'accusation de ce crime relève à sa charge, non-seulement les éléments matériels, mais encore les éléments intentionnels dont la réunion est nécessaire pour le constituer1. >>>

1710. Ces principes ont été appliqués dans une espèce où ils présentaient quelque difficulté. L'enfant avait eu vie, et la mère avait été déclarée, par le jury, coupable des deux crimes d'infanticide et de suppression d'enfant; un individu, compris dans la même accusation, n'avait été déclaré complice que du crime de suppression d'enfant; la Cour d'assises le déclara absous, par le motif que, ne pouvant y avoir suppression d'un enfant mort, dans l'esprit de l'art. 345, le fait déclaré constant n'était puni ni réprimé par aucune loi. Cet arrêt a été annulé par la Cour de cassation : « Attendu que si les dispositions dudit art. 345, malgré la généralité des termes dans lesquels il est conçu, ne peuvent s'appliquer à la suppression d'un enfant mort-né, elles sont du moins applicables à la suppression d'un enfant qui a eu vie; attendu, en fait, que Marguerite Ræder a été déclarée à la fois coupable par le jury: 1o d'avoir volontairement donné la mort à un enfant nouveau-né dont elle venait d'accoucher; 2° d'avoir à la même époque supprimé cet enfant; qu'Antoine Groffe, à son tour, a été déclaré coupable d'avoir, avec connaissance, aidé et assisté l'auteur de cette suppression d'enfant; qu'il résulte de l'ensemble de la déclaration du jury que l'enfant dont venait d'accoucher Marguerite Ræder, et qu'elle avait volontairement homicidé et supprimé, avait donc eu vie, et que l'accusé, déclaré complice de la suppression d'un enfant ayant eu vie, devait être condamné aux peines portées par les art. 56, 60 et 345 du Code pénal*. »

Une circonstance importante sépare cet arrêt de ceux que nous avons cités précédemment : l'enfant, dans cette dernière espèce, avait eu vie; il s'agissait, au contraire, dans les autres, de la suppression d'un enfant mort-né; la question n'était donc plus la même, et dès lors cette décision n'a dérogé, sous aucun rapport, à l'arrêt solennel du 1er août 1836. Mais

1 Cass., 19 déc. 1863, Bull. n. 301.

Cass., 20 sept. 1838, S.38.1.900; Journ, du dr. crim,, 1838, p. 328.

peut-être pourrait-on trouver que cet arrêt ne constate pas suffisamment à la charge de l'accusé les éléments du crime. de suppression d'état. En effet, il est nécessaire, pour l'existence de ce crime, ainsi que nous venons de l'établir, nonseulement qu'il y ait un fait de recélé et que ce recélé s'applique à un enfant vivant, mais encore qu'il ait été commis avec l'intention de supprimer ou de changer son état civil. Or, puisque l'accusé, dans l'espèce, était acquitté de l'accusation de complicité d'infanticide, et que cependant la mère était à la fois déclarée coupable d'avoir volontairement donné la mort à un enfant dont elle venait d'accoucher, il en résulte que le crime de suppression d'état n'avait pu être commis qu'en recélant le cadavre de l'enfant, et par conséquent à l'égard d'un enfant déjà mort. Or, le seul fait d'une inhumation clandestine, la seule omission d'une déclaration de la naissance de cet enfant, ne saurait emporter de plein droit l'intention de supprimer son état ; il fallait donc constater cette intention, et, à cet égard, la déclaration du jury est restée muette. Les circonstances constitutives du crime ne sont donc pas assez nettement énoncées.

1711. Sous un autre rapport, il ne faut pas admettre, comme semble l'indiquer le même arrêt, que dans une accusation d'infanticide la question relative à la suppression de l'enfant puisse être posée comme résultant des débats. Ces deux crimes sont distincts l'un de l'autre; ils reposent sur des éléments différents; ils n'admettent ni les mêmes investigations de la part de la justice, ni les mêmes moyens de défense de la part de l'accusé; en un mot, la suppression d'état n'est point contenue dans l'infanticide, elle n'en est point un fait dérivatif, une modification. Elle ne peut être posée dans les débats ouverts sur cette accusation comme une circonstance du fait principal; elle peut seulement devenir la matière d'une accusation nouvelle. Telle est, au surplus, la règle posée par deux arrêts de la Cour de cassation, portant : « que s'il résulte des débats quelque circonstance qui aggrave le crime imputé à l'accusé, ou quelque fait qui n'en soit qu'une modification, le président de la Cour d'assises est autorisé à soumettre au jury ce point nouveau, dans une question ajoutée à celles qui résultent de

l'acte d'accusation; mais que, lorsque le fait qui résulte des débats est, au contraire, un fait principal et séparé, constituant un crime distinct, on ne peut l'ajouter à l'accusation primitive et le faire décider par le jury; que le crime de suppression d'enfant ne peut être considéré comme une modification du crime d'infanticide; que celui-ci est un attentat contre la vie de l'enfant, tandis que l'autre, placé dans une section différente du Code pénal, est surtout un attentat contre son état civil; que dès lors, sur l'accusation de l'un de ces faits, il ne peut valablement être posé de questions sur l'autre, quoiqu'il soit résulté des débats, sauf au ministère public à en faire l'objet d'une poursuite principale 1. »

1712. Une addition a été faite à l'art. 345 par la loi du 13 mai 1863. Cet article ne s'appliquait, comme on vient de l'établir, qu'à la suppression de l'enfant né vivant. Le législateur a vu là une lacune qu'il a remplie en ces termes :

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« Art. 345. Les coupables d'enlèvement, de recélé ou de suppression d'un enfant, de substitution d'un enfant à un autre, ou de supposition d'un enfant à une femme qui ne sera pas accouchée, seront punis de la reclusion. S'il n'est pas établi que l'enfant ait vécu, la peine sera d'un mois à cinq ans d'emprisonnenement; s'il est etabli que l'enfant n'a pas vécu, la peine sera de six jours à deux mois d'emprisonnement. Seront punis de la reclusion ceux qui, étant chargés d'un enfant, ne le représenteront point aux personnes qui ont droit de le réclamer. »>

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Exposé des motifs : • Pour donner la raison de cette disposition additionnelle, il convient de rappeler que la Cour de cassation, après avoir jugé que la disposition du § 1er, générale et absolue, devait s'appliquer à toute suppression d'enfant, vivant ou mort, paraît être définitivement revenue de cette jurisprudence. Elle juge maintenant, et depuis longtemps, que l'art. 345 ne dispose que pour la suppression d'un enfant vivant; s'il n'est pas établi que l'enfant supprimé ait vécu, l'article cesse d'être applicable. Le sens de la loi ainsi fixé, la femme récemment accouchée qui ne représente pas son enfant et qui n'en rend aucun, n'encourt aucune peine la garantie sociale manque à l'enfant qui vient de naître. Est-il besoin d'insister sur les conséquences ? Nous ne savons pas de tentation plus forte à commettre l'infanticide. La mère, qu'un sentiment de honte ou tout autre mobile sollicite à ce crime, peut s'assurer l'impunité par une suppression complète, car elle met la justice dans l'impossibilité de vérifier si l'en

1 Cass., 20 août 1825, Bull. n. 159; Sir., t. 8, 1, p. 178; et 19 avril 1839, Journ. du dr. crim., 1839, p. 158.

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fant a vécu. On s'est ému de cette défaillance de la loi. Même les esprits les plus portés à l'adoucissement systématique des peines reconnaissent qu'il y a là quelque chose à faire, une lacune à remplir. Fallait-il ériger en loi par une disposition formelle la première jurisprudence de la Cour de cassation, qui appliquait l'art. 345 à toute suppression d'enfant, fût-il mort-né? Ou si cette disposition semblait trop rigoureuse, ne devait-on pas mettre à la charge de la mère coupable la preuve que l'enfant supprimé n'avait pas vécu? Assurément ce dernier parti n'avait rien d'excessif. La mère d'un enfant mort-né pourra bien cacher le cadavre ou l'enterrer secrètement pour cacher sa honte; mais elle ne le détruira point; elle voudra pouvoir le représenter à la justice si sa faute vient à être découverte. Quand elle le détruit ou qu'elle refuse de le représenter, elle autorise les plus terribles soupçons. Sans doute ces soupçons ne vont pas à légitimer une accusation formelle d'infanticide; il ne peut s'agir encore que de suppression. Mais dans cette limite serait-ce donc une exigence outrée de la loi de présumer, jusqu'à preuve contraire, que l'enfant supprimé a vécu ? Nous ne disons ceci que pour faire ressortir la modération de l'incrimination nouvelle, car elle n'est pas dans ce sens. On a considéré que la non-représentation du cadavre ne supposait pas nécessairement sa destruction volontaire; qu'elle pouvait s'expliquer par d'autres circonstances, peu communes sans doute, mais possibles; que même la destruction volontaire n'excluait pas forcément l'hypothèse de l'enfant mort-né, car il pourrait arriver que le sentiment de la honte, aveugle, irrésistible, et ne laissant place à aucun calcul de prudence, eût poussé à l'anéantissement de tous les témoignages de la faute. On a voulu dès lors laisser à la femme, accusée ou prévenue, le bénéfice de ces doutes et de ces possibilités, et l'on a dit l'enfant doit être représenté vivant ou mort; il faut à ce principe nécessaire une sanction pénale. Si l'enfant n'est pas représenté, il y aura crime ou délit de suppression crime, si la suppression est d'un enfant né vivant; délit, s'il n'est pas établi que l'enfant supprimé ait vécu, ou si la preuve contraire est rapportée. Pour le cas de suppression criminelle, la sanction pénale existait déjà dans le premier paragraphe de l'art. 345; mais elle restait à faire pour les deux cas de suppression délictueuse; c'est l'objet de la disposition additionnelle. On a pensé que malgré l'identité du fait principal, les deux cas du délit étaient de valeur trop inégale pour les confondre sous une seule peine en laissant au juge le soin de leur faire des parts inégales dans l'application.

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D

Rapport de la commission: « Nous acceptons cette incrimination nouvelle en faisant remarquer que le délit qui sera poursuivi par l'application des deux paragraphes additionnels, ne se rattache plus essentiellement au principe des incriminations portées dans l'art. 345. En effet, si l'enfant n'a pas vécu, ou si seulement il n'est pas établi qu'il ait vécu, il n'y a pas de suppression dans le sens légal de ce mot, car il n'y a pas d'atteinte possible à son état civil. C'est la non-représentation de l'enfant qui est la base de la poursuite et qui prend le caractère d'un délit. C'est pour mieux rendre cette pensée que nous avons retranché le mot supprimé de la rédaction proposée par le projet. L'enfant dont il s'agit dans les paragraphes additionnels sera donc bien alors tout enfant qui aura disparu, qui ne sera pas représenté, et dont la disparition ne sera pas expliquée, quel que soit d'ailleurs le motif pour lequel on l'a fait disparaître.

D

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