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de l'appréciation de la durée de la maladie, si le malade, un événement accidentel, est décédé avant l'expiration des vingt jours? Il faudrait, dans ce cas, statuer d'après la nature constatée des blessures et les chances probables de leur guérison, en résolvant toutefois les doutes en faveur du prévenu 1. Cette hypothèse s'est présentée, et la Cour de cassation a pensé qu'il n'y avait lieu de n'appliquer que l'art. 311. Son arrêt dispose: << que quand l'intention de donner la mort ne peut être imputée au coupable, la pénalité se base principalement sur les conséquences matérielles que les coups et blessures volontaires ont eues pour la victime; que, pour qu'il y ait lieu à l'application de l'art. 309, il faut que les coups ou blessures aient entraîné la mort de la victime ou une incapacité de travail de plus de vingt jours; que ce sont là des résultats effectifs auxquels, dans l'esprit comme dans les termes de la loi, on ne saurait substituer, sans arbitraire, des avis des hommes de l'art, ou des calculs scientifiques plus ou moins certains; que du moment où, par un fait étranger à l'action, la condition nécessaire pour qualifier le crime ne s'est pas accomplie, on ne saurait, se basant sur la moralité de cette action, argumenter des suites normales qu'elle devait avoir dans l'état de la science, pour en faire ressortir à la charge du coupable une condition qui ne s'est pas réalisée; que, dans l'espèce, il résultait des constatations que le sieur Beau, bien qu'atteint d'une fracture qui, d'après l'opinion des hommes de l'art, devait nécessairement entraîner une incapacité de travail personnel de plus de vingt jours, est décédé le dix-septième jour par suite d'un accès de choléra déterminé par un écart de régime; qu'au moment du décès, la révolution de vingt jours ne s'était pas accomplie, et que le fait imputé au prévenu ne rentrait ni dans les crimes prévus par les art. 295, 302 et 2, ni dans les cas prévus par le deuxième paragraphe de l'art. 309; que dès lors l'arrêt attaqué, en ordonnant le renvoi devant la juridiction correctionnelle, a fait une juste application de l'art. 311 2. »

1 C. sup. Brux., 17 mars 1825, Dall.12.968.

2 Cass., 18 mars 1854, Bull. n. 79.

1347. La quatrième classe des violences se compose des coups et blessures qui ont occasionné la mort.

La Cour de cassation avait jugé par de nombreux arrêts « que le véritable esprit de la loi est que celui qui a volontairement fait des blessures ou porté des coups se rend coupable des suites qu'ils peuvent avoir, de sorte que si ces blessures ou ces coups donnent la mort, ils constituent le crime de meurtre1.» Cette jurisprudence, même avant la rectification du Code, allait, suivant nous, au delà de ses termes, puisque l'intention de nuire en portant des coups ou en faisant des blessures n'emporte pas nécessairement la volonté de donner la mort, et que cette volonté est la condition constitutive du meurtre. C'est pour mettre un terme à cette jurisprudence trop rigoureuse, et en même temps pour remplir une lacune que les termes trop restreints de l'art. 309 présentaient, que le législateur a ajouté à cet article un deuxième paragraphe ainsi conçu: «< Si les coups portés ou les blessures faites volontairement, mais sans intention de donner la mort, l'ont pourtant occasionnée, le coupable sera puni de la peine des travaux forcés à temps.»>

L'exposé des motifs de la loi du 28 avril 1832 justifiait en ces termes cette addition : « Des blessures faites sans l'intention de donner la mort, mais qui cependant l'ont occasionnée, sont punies comme le meurtre volontaire ou l'assassinat : cette sévérité, qui résulte moins d'un texte précis de loi que de la jurisprudence, a jeté plusieurs fois le jury dans une cruelle alternative. Celui qui n'a pas voulu donner la mort, quoique coupable des blessures qui l'ont occasionnée, ne peut être assimilé à celui qui a frappé, avec ou sans préméditation, mais avec la volonté du meurtre. Le projet ne rend pas néanmoins le sort de celui qui s'est livré à des violences étranger aux suites qu'elles peuvent avoir. Si la victime de ces violences vient à succomber, quoiqu'elles ne fussent pas dirigées contre sa vie, le coupable sera condamné aux travaux forcés à temps. >>

1 Cass., 14 fév. 1812, Bull. n. 31; 2 juill. 1817, Bull. n. 75; 6 mars, 9 oct. 1823, Bull. n. 31 et 141; 28 avril 1826, Bull. n. 42; 26 janv. 1827, Bull. n. 18; 13 mars, 29 déc. 1828, Bull. n. 74 et 329; 16 juill. 1829, Bull. n. 159; 12 mars 1831, Bull. n. 50.

L'application de cette peine est donc subordonnée à cette condition, que la mort a été occasionnée par les violences; c'est cette relation qui témoigne de leur gravité par leurs résultats. Mais l'appréciation de l'influence des violences sur le décès survenu donne lieu à de graves difficultés. Nous croyons devoir rappeler ici quelques règles établies par nos anciens criminalistes. Ils posaient trois cas distincts.

1348. Lorsqu'il était constant que la blessure était mortelle, l'agent était responsable de la mort, lors même qu'elle n'était survenue que quelque temps après la blessure, et que les secours de l'art n'auraient point été appelés pour la guérir. Quandò constat vulnus fuisse mortale, morte sequutâ, vulnerans de occiso tenetur, quia ex vulnere præsumitur decèsisse, etiam ex intervallo, etiam non adhibito medico 1.

Lorsqu'il était constaté, au contraire, que la blessure n'était pas mortelle, la mort qui avait suivi n'était pas présumée avoir été occasionnée par cette blessure. La présomption était alors que la mort avait pour cause quelque faute ou quelque négligence dans le traitement de la blessure. Quandò constat vulnus non fuisse mortale, et etiam constat de aliquâ culpâ aut negligentia adhibitâ in curando vulneratum, et sic vulnerans non de occiso, sed de vulnere tenetur 2.

Enfin, lorsque la nature et les effets probables de la blessure n'étaient pas connus, lorsqu'il existait des doutes à cet égard, on examinait le traitement et les soins auxquels le malade avait été soumis: s'il n'apparaissait aucune trace de négligence soit de la part du médecin, soit de la part du malade, la mort était imputée à l'auteur des violences; s'il existait au contraire des signes d'imprudence ou de mauvais régime, il n'était responsable que de la blessure, et non de la mort.

Ces sages distinctions peuvent encore être invoquées; elles

1 Farinacius, quæst. 127, n. 10, 11 et 12; Julius Clarus, Homicidium, n. 42.

2 Farinacius, ibid., num. 13-18; Julius Clarus, Homicidium, num. 4; arr. parl. Paris, 18 janv. 1631.

5 Julius Clarus, Homicidium, num. 42; Farinacius, quæst. 127, num, 20.

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viennent même à l'appui de la règle que la loi a tracée en déclarant la nécessité d'un lien entre les blessures et le décès: or cette relation n'existe plus lorsque la blessure n'était pas de nature à causer la mort, lorsqu'une maladie accidentelle, qui n'avait point son germe dans cette blessure, s'est développée tout à coup, lorsqu'enfin on peut imputer au malade une grave infraction de son régime, au médecin une faute dans ses prescriptions. L'auteur des violences peut rappeler alors cette régle de la loi romaine : Si vulneratus fuerit servus, non mortiferè, negligentiâ autem perierit, de vulnerato actio erit, non de occiso. Comment, en effet, le rendre responsable d'un fait qui n'est pas la suite de son action? On ne peut lui impuque les blessures et leurs conséquences; les accidents survenus à la suite, et par l'action d'une cause étrangère, ne lui appartiennent pas. Mais la solution devrait être différente, si les violences n'avaient fait que hâter le décès d'une personne même déjà malade, ou si la maladie accidentellement survenue a puisé son germe dans les blessures; car, bien que dans l'un et l'autre cas les violences ne soient pas la seule cause de la mort, et que la constitution physique du malade l'ait en partie déterminée, cependant elles en ont été l'occasion; leur conséquence doit peser sur leur auteur.

ter

1349. Cette distinction a été appliquée dans une espèce où la personne frappée, déjà atteinte d'une maladie grave, était morte par l'effet du contre-coup que cette violence lui avait fait éprouver. Les juges du fait avaient appliqué l'art. 311, parce qu'il leur semblait injuste de rendre l'auteur d'une violence légère responsable de la mort d'un homme déjà gravement malade. A l'appui du pourvoi formé contre cet arrêt, le procureur général disait : « L'auteur des blessures est responsable de leurs conséquences, et quel qu'ait été l'état de santé de la victime, il suffit qu'elle ait succombé par suite de la violence qui lui a été faite, pour que la mort devienne un élément nécessaire de la culpabilité; car bien que, dans ce cas, les violences ne soient pas la seule cause de la mort, et que la

1 L. 30, § 4, Dig. ad legem Aquiliam. Damhouderius, in Praxi criminali, ch. 77, n. 19.

constitution physique du malade l'ait en partie déterminée, cependant elles en ont été l'occasion, elles l'ont hâtée, et leur conséquence doit peser sur leur auteur. S'il en était autrement, l'application de l'art. 309 donnerait lieu, dans la plupart des cas, à des difficultés presque insolubles, puisqu'il faudrait tenir compte de tous les accidents apparents ou cachés qui, de près ou de loin, auraient pu concourir avec la violence pour déterminer la mort. » La cassation a été prononcée, «< attendu qu'il résulte des faits de la cause que Meysson a porté des coups à Roques, et que ces coups, quoique portés sans intention de donner la mort, l'ont pourtant occasionnée; que ces faits rentrent littéralement dans les prévisions de l'art. 309; que, dès qu'il est reconnu que les coups portés volontairement ont occasionné la mort, il y a lieu à l'application des peines édictées par cet article, sans que cette application puisse, en aucun cas, être éludée ou modifiée par la considération de l'état dans lequel pouvait se trouver la victime de ces violences; qu'en se fondant sur l'état maladif où se trouvait Roques quand il a reçu les coups portés par Meysson, pour appliquer à celui-ci les peines portées en l'art. 311, l'arrêt attaqué a faussement appliqué cet article. »

1350. Au reste, toutes les présomptions que nous venons de rappeler, toutes les distinctions qui séparent les diverses classes de blessures, sont fondées sur l'étude des faits, et cette étude appartient à la science médicale. Suit-il cependant de là, comme le prétend Farinacius, que l'opinion des médecins doive nécessairement entraîner celle des juges aur la cause de la mort, attendu que cette question appartient à l'art médical? Judex debet amplecti testimonium medicorum, quia sciunt et possunt verè testificari, et præsumuntur verum dicere. Nous ne pensons pas que cette maxime doive être rigoureusement suivie. Les experts (et en ce cas les médecins sont des experts) remplissent à la vérité une mission de la justice, ils font l'office du juge lui-même, auquel ils apportent les notions, les connaissances spéciales qui lui manquent; mais leur appré

1 Cass., 12 juill. 1824, Bull. n. 264; Dev.44.1.838. 2 Farinacius, quæst. 127, num. 50, 101 et seq.

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