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tion arrêtée et sérieuse de commettre un attentat contre les personnes. C'est en les considérant sous ce point de vue, qu'elle les a placées, dans l'ordre des crimes, entre l'homicide et les blessures volontaires.

Ainsi la simple menace verbale, proférée dans un moment de colère, ne constitue aucun délit; car ce n'est pas la parole, l'injure que la loi punit, mais la résolution criminelle; et cette sorte de menace, toujours vague et irréfléchie, n'en indique aucune. « A l'égard des menaces verbales qu'aucun ordre ni condition n'auront accompagnées, disait M. Faure dans l'exposé des motifs du Code, nulle peine n'est établie. On a considéré qu'étant dénuées de tout intérêt, elles peuvent être le résultat d'un mouvement subit, produit par la colère, et dissipé bientôt par la réflexion. » M. Monseignat répétait à peu près les mêmes termes dans son rapport au Corps législatif : << La simple menace verbale, qui n'a pas le caractère distinctif de préméditation ou d'intention criminelle, n'est soumise à aucune peine; elle est regardée comme une jactance insignifiante, éphémère et sans conséquence, de la vivacité ou de l'irréflexion. » La jurisprudence s'est toujours conformée à cette règle1.

1311. La menace révèle une résolution criminelle lorsqu'elle est faite par écrit, ou qu'elle est accompagnée d'un ordre ou d'une condition. En effet dans l'un ou l'autre cas, elle n'a point été légèrement proférée, elle a été réfléchie; elle a pris dès lors un caractère sérieux qui peut inspirer une juste alarme, et la justice sociale peut légitimement intervenir pour prévenir l'exécution d'un crime. « La peine frappe le crime, dit M. Rossi, avant tout acte d'exécution, même avant tout acte préparatoire; car certes la menace n'en est pas un, surtout lorsqu'elle n'est accompagnée d'aucun ordre ni condition; elle le frappe parce qu'on estime avoir une preuve matérielle et suffisante, donnée par le coupable lui-même, d'une résolution criminelle et sérieuse 2. » L'exposé des motifs du Code déclare dans ce sens que « de telles menaces, lorsqu'elles sont

1 Cass., 9 janv. 1818, Bull. n. 5.
2 Traité de droit pénal, t. 2, p. 257.

écrites, annoncent un dessein prémédité de faire le mal. Le plus souvent l'écrit où elles se trouvent contient un ordre quelconque par exemple de déposer une somme d'argent dans un lieu indiqué. La personne menacée est dans une situation d'autant plus critique, qu'elle ne peut pas se mettre continuellement en garde, et qu'elle craint toujours que, si elle n'obéit point à l'ordre, tôt ou tard, et au moment où elle y songera le moins, elle ne finisse par être victime du crime dont elle est menacée. La terreur que ces menaces inspirent ne nuit pas seulement à la tranquillité de la personne qui en est l'objet, elle est partagée par beaucoup d'autres qui redoutent pour eux le même sort. Ce que nous venons d'observer trouve également son application si l'écrit, au lieu de contenir l'ordre de déposer une somme, contient celui de remplir une condition quelconque en ce dernier cas, il y a toujours violence, et violence préméditée, avec dessein d'obtenir ce qu'on n'a pas le droit d'exiger. » Cependant la loi ne punit pas toutes les menaces, lors même qu'elles sont faites par écrit, ou accompagnées d'un ordre ou d'une condition; elle n'intervient que lorsque la menace contient l'annonce d'un danger grave pour la personne à qui elle est adressée.

1312. L'art. 305 est ainsi conçu : Quiconque aura menacé, par écrit anonyme ou signé, d'assassinat, d'empoisonnement ou de tout autre attentat contre les personnes qui serait punissable de la peine de mort, des travaux forcés à perpétuité ou la déportation, sera, dans le cas où la menace aurait été faite avec ordre de déposer une somme d'argent dans un lieu indiqué, ou de remplir toute autre condition, puni d'un emprisonnement de deux à cinq ans et d'une amende de 150 à 1000 francs. » L'art. 436 a ajouté à cette disposition: « La menace d'incendier une habitation ou toute autre propriété sera punie de la peine portée contre la menace d'assassinat, et d'après les distinctions établies par les art. 305, 306 et 307. »

La première condition de cette incrimination est que la menace ait été faite par écrit; c'est dans cet écrit surtout qu'est la preuve d'un dessein prémédité, et par conséquent d'une résolution criminelle. La loi, du reste, ne fait aucune différence entre l'écrit anonyme et celui qui porte une signa

ture. L'alarme, dans les deux cas, est la même et le projet criminel en résulte également.

La deuxième condition est qu'il y ait menace d'un attentat contre les personnes, passible soit de la peine de mort, soit de celle des travaux forcés à perpétuité, soit de la déportation. La menace d'incendie ne rentrerait elle-même dans les termes de cet article qu'autant que l'incendie pourrait être puni de l'une des mêmes peines, car l'art. 436 assimile cette menace à celle de l'assassinat, et renvoie, en les adoptant, aux règles établies par l'art. 305. Il y a lieu de remarquer, au surplus, avec la Cour de cassation « que si l'art. 305 ne frappe que les menaces sous condition d'un attentat punissable de mort, des travaux forcés à perpétuité ou de la déportation, la loi n'exige pas qu'elle soit faite dans les termes mêmes par lesquels elle a caractérisé le délit; que pour être déguisée sous des expressions plus ou moins vagues, elle ne perd rien de sa gravité et n'en produit pas moins son effet; et que les juges ont à cet égard un pouvoir d'interprétation qui leur permet de rechercher le véritable sens du propos qui leur a été dénoncé et d'en déterminer la portée1. » Cette décision a été rendue dans une espèce où le prévenu avait proféré cette menace : « Tu sauras ce que c'est de moi»; et la Cour de Douai, après avoir rappelé ces paroles, avait déclaré que, dans le pays où elles avaient été proférées, de pareilles menaces sont significatives et mettent constamment en péril la vie des propriétaires et des fermiers. La Cour de cassation a déclaré « qu'en expliquant ainsi le propos incriminé, les juges du fait ont usé du droit d'appréciation qui leur appartient; qu'il n'est pas établi qu'ils en aient dénaturé le sens et la portée et qu'il est suffisamment exprimé qu'il s'agissait d'une menace de mort. » 1313. Enfin, il faut que la menace ait été faite avec ordre de déposer une somme d'argent dans un lieu indiqué, ou de remplir toute autre condition. On a élevé la question de savoir si la menace avec ordre de ne pas faire, de s'abstenir, rentrait dans les termes de la loi. La négative peut s'appuyer sur ces termes qui semblent indiquer

1 Cass., 19 déc. 1863, Bull, n, 302,

l'ordre de faire, le commandement, et non l'ordre de ne pas faire ou la défense, et sur ce que la menace avec défense de faire est la moins grave de toutes les menaces, puisqu'elle n'entraîne aucun péril prochain ou imminent. Mais la Cour de cassation a déclaré en règle générale : « que la menace faite sous condition comprend, dans la généralité de ses termes, la menace sous condition de ne pas faire, de s'abstenir, comme celle de faire1. » Nous ne voyons aucune raison solide de ne pas adopter cette opinion. Il importe peu, en effet, que l'ordre donné prescrive ou défende de faire une chose; dans l'une et l'autre hypothèse, il y a atteinte portée soit à la propriété, soit à la liberté d'autrui, et par conséquent un droit, égal à la protection de la loi. Toutefois la Cour de Bordeaux a pu juger, dans des circonstances particulièrès, que ces paroles: Si tu avances, je te tue, ne sont pas constitutives d'une menace sous condition. C'est plutôt là, en effet, une menace pure et simple qu'une menace sous condition; ou du moins cette condition, suggérée par la passion du moment, ne révèle point une détermination fermement arrêtée à l'avance.

1314. Les trois conditions dont la réunion peut seule constituer le délit prévu par l'art. 305 sont donc celles-ci : il est nécessaire que la menace ait été faite par écrit, qu'elle annonce un attentat passible au moins de la peine de la déportation, enfin qu'elle soit accompagnée d'un ordre ou d'une condition. Le concours de ces trois circonstances est indispensable pour que la menace rentre dans les termes de cet article. Toutefois le Code pénal paraît formuler une exception à cette règle, lorsqu'il prononce, dans son art. 344, la peine des travaux forcés à perpétuité pour le cas où un individu arrêté, détenu ou séquestré. a été menacé de la mort, tandis que la séquestration, isolée de cette menace, n'est punie que des travaux forcés à temps. Mais les circonstances où une telle menace est faite lui impri

1 Cass., 1er fév. 1834, Journ. du dr. crim., 1834, p. 28; V. aussi arr. Bordeaux, 27 fév. 1834, ibid., p. 155.

2 Arr. Bordeaux, 15 avril 1835, Journ. du dr. crim., 1835, p. 220. 3 V. conf. Cass.. 3 nov. 1848, Bull. n. 260.

ment un caractère distinct, celui d'une violence, d'une torture morale sur une personne sans défense; c'est cette violence, réunie au crime de la séquestration arbitraire, que la loi punit, plutôt que la résolution criminelle que la menace seule et dépourvue de condition ne suffit pas pour indiquer.

Il faut, au reste, discerner, dans les faits prévus par les art. 305 et 436, la menace écrite qui est passible, aux termes de l'art. 306, d'un emprisonnement d'un à trois ans, et le fait d'avoir apposé à cette menace un ordre ou une condition, qui constitue une circonstance aggravante. Cette distinction serait essentielle dans la position des questions au jury, parce que le fait principal et la circonstance aggravante doivent faire l'objet de deux questions distinctes'.

1315. La peine affligée par l'art. 305 était, dans le Code de 1810, celle des travaux forcés à temps : cette peine était extrêmement sévère, car, en punissant les menaces, la loi ne frappe pas encore un acte d'exécution du crime, elle n'en punit que le projet. On lit dans l'exposé des motifs ces mots : « Quel que soit l'ordre, la loi punit le crime de la même peine que le vol avec violence. N'est-ce pas, en effet, un crime semblable ? » Cette analogie ne nous paraît pas exacte. L'audace de l'agent n'est pas la même; il y a loin de la menace, même conditionnelle, à l'exécution: le péril est également beaucoup moindre, car on peut se dérober à des menaces. Lá menace n'est que l'indice d'une résolution criminelle que le législateur a raison de prévenir, mais qu'il ne doit frapper que d'une peine modérée, parce que la résolution qu'elle suppose est encore incertaine, et que la menace elle-même n'en est qu'une preuve souvent équivoque.

Cependant, dans notre ancien droit, la jurisprudence des parlements se montrait fort rigoureuse sur ce point: nous trouvons, en effet, plusieurs arrêts qui condamnent aux galères perpétuelles des individus convaincus d'avoir écrit des lettres anonymes portant menace de tuer, si les personnes n'envoyaient pas telle somme à un endroit désigné 2. Jousse pré

1 Cass., 3 nov. 1848, Bull. n. 260; 20 déc. 1850, Bull. n. 428.

2 Arr. parl. de Bourgogne du 21 mai 1675; Taisant, sur la cout. de Bourg., tit. 1er, art. 5, n. 7; arr. parl. París, 8 janv. 1690.

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