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ciation n'est point un jugement, elle n'a que la valeur d'un témoignage; les juges doivent l'apprécier. « La véritable règle qu'on doit établir en cette matière, dit Jousse, est qu'il ne faut pas s'en rapporter absolument au rapport des médecins et chirurgiens... Le plus sûr est de laisser la chose à l'arbitrage du juge qui, suivant la qualité et l'endroit de la blessure comparée au rapport des experts et à la manière dont ce rapport est fait, et aussi au temps que le blessé a vécu depuis sa blessure, à la manière dont il a été gouverné dans sa maladie, au régime de vie qu'il a suivi, doit juger si le blessé est mort de la blessure ou d'une autre cause1. » L'un des vices du système de notre Code en cette matière, nous l'avons déjà dit, est de subordonner la nature du délit aux effets des coups et des blessures, et par conséquent à l'appréciation des hommes de l'art; la pratique doit réagir contre cette conséquence que le législateur n'a pas aperçue, et qui aurait pour effet de remplacer les règles légales, dans la répression des délits de cette nature, par les décisions quelquefois partiales et souvent erronées des hommes de l'art.

1351. Une question fort grave s'élève ici. La loi n'a point déterminé le délai dans lequel le décès de l'individu blessé doit suivre la blessure pour qu'il en soit réputé le résultat. Faut-il induire de son silence que, quelle que soit l'époque du décès, le peine des travaux forcés doit nécessairement être appliquée au coupable? Cette opinion, qui aurait pour conséquence de tenir en suspens le jugement du prévenu pendant un temps indéterminé, ne nous semble pas pouvoir être admise. Les anciens jurisconsultes avaient établi en règle que la mort ne pouvait plus être imputée à l'agent, si plus de quarante jours s'étaient écoulés depuis la blessure. Si obiit vulneratus intra quadraginta dies post illatum vulnus, præsumitur in vulnere decessisse; secus si moriatur post quadraginta dies". Cette distinction aurait été adoptée dans notre ancienne jurispru

1 Traité des mat. crim., t. 3, p. 496.

2 Farinacius, quæst. 127, num. 46, et ita Boerius, decis. 323, num. § 11 et seq.; Julius Clarus, § Homicidium, num. 44; Mornac ad leg. 51, Dig. ad leg. Aquiliam; d'Argentré, sur l'art. 576 de la cout. de Bretagne.

dence, ainsi que Jousse en rend témoignage : « Si le blessé a toujours été en empirant depuis la blessure, et qu'il soit mort peu de temps après, il est présumé être mort de cette blessure, et l'accusé, par conséquent, réputé coupable de la mort. Ce temps est ordinairement de quarante jours, suivant l'opinion la plus commune, parce que, suivant le jugement des médecins, une personne blessée mortellement ne peut vivre plus de quarante jours après sa blessure. Si le blessé ne meurt qu'après les quarante jours, l'accusé ne pourra être puni comme homicide, mais seulement pour raison de sa blessure 1.

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Cette règle générale a été recueillie par le Code pénal, dans son art. 231 relatif aux violences commises envers les fonctionnaires, et qui fixe un délai de quarante jours au delà duquel l'accusé n'est plus responsable de la mort de l'individu qu'il a frappé, alors même qu'il serait constant que sa mort a été la suite et le résultat des violences 2. Or l'art. 231 et l'art. 309 prévoient le même fait, la même espèce; la qualité de la victime ne change point la nature de l'action; ce n'est pas seulement une analogie, c'est une hypothèse identique. Il ne peut exister aucune raison de l'appliquer là, pour la repousser ici. D'ailleurs cette application est réclamée par les plus graves motifs : si ce délai de quarante jours met l'accusé à l'abri de l'aggravation de la peine, c'est qu'il élève des doutes sur la cause de la mort, c'est qu'il ne permet plus de saisir la relation des blessures avec cet événement, c'est qu'il forme une présomption en faveur de l'agent. Supprimez ce délai, la loi n'en a indiqué aucun autre. Il sera possible que les coups portés ne causent la mort qu'après six mois, qu'après un an; faudra-t-il donc que leur auteur reste pendant un temps indéfini avec le poids d'une responsabilité terrible et l'attente d'une peine qui serait subordonnée à un événement incertain? faudra-t-il le détenir pendant toute la maladie, quelque longue qu'elle soit, dans l'incertitude de la peine applicable? ou, s'il est jugé avant la fin de cette maladie, la nature de la peine devra-t-elle donc

1 Traité des mat. crim., t. 3,
p. 177.
2 V. notre t. 3, n. 995.

dépendre du plus ou du moins de célérité de la procédure, et en quelque sorte de l'activité ou de la lenteur de l'instruction? Le seul moyen d'éviter ces conséquences bizarres et contraires à l'esprit de la loi pénale est d'étendre à l'art. 309 la règle sage établie par l'art. 231.

Mais la Cour de cassation a pensé que c'est là une circonstance du fait qui ne doit pas être appréciée en la subordonnant à un délai que la loi n'a pas expressément fixé, et qu'il ne peut dès lors appartenir qu'au jury de décider si la mort, quel que soit le temps dans lequel elle est intervenue, a été ou n'a pas été la conséquence de la blessure. Dans une espèce où le pourvoi était fondé sur le délai prolongé qui s'était écoulé entre les blessures et le décès, le rejet a été prononcé, « attendu que le deuxième paragraphe de l'art. 309 n'a pas subordonné l'application de ses dispositions au cas où la mort aurait lieu dans un délai déterminé; qu'il a abandonné à la conscience du jury la question de savoir si les coups et blessures ont été la cause de la mort 1. >>

1352. Le crime ou le délit qui résulte des coups ou blessures s'aggrave: 1° lorsqu'ils ont été portés avec préméditation et guet-apens; 2° lorsqu'ils ont été portés par l'agent sur ses père et mère ou sur ses ascendants légitimes.

L'art. 311, qui prévoit et punit les coups et blessures qui n'ont pas occasionné une incapacité de travail de plus de vingt jours, ajoute: « S'il y a eu préméditation ou guet-apens, l'emprisonnement sera de deux ans à cinq ans, et l'amende de 50 fr. à 500 fr. » L'art. 310, qui se réfère à l'art. 309, c'est-à-dire aux deux cas où les blessures ont été suivies soit d'une incapacité de travail de plus de vingt jours, soit de la mort, est ainsi conçu : « Lorsqu'il y aura eu préméditation ou guet-apens, la peine sera, si la mort s'en est suivie, celle des travaux forcés à perpétuité; si les violences ont été suivies de mutilation, amputation ou privation de l'usage d'un membre, cécité, perte d'un œil ou autres infirmités permanentes, la peine sera des travaux forcés à temps; dans le cas prévu par le premier paragraphe de l'art. 309, la peine sera celle de la reclusion. » Ainsi

1 Cass., 10 juin 1853, Bull, n. 207.

TOME IV.

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dans chacune de ces trois hypothèses, la présence de la prémé-ditation fait monter la peine d'un degré.

Lors de la discussion du projet du Code pénal, un membre du conseil d'Etat avait proposé d'assimiler à l'assassinat le guet-apens avec armes, duquel seraient résultées seulement des blessures. M. Berlier répondit : « qu'il fallait se rappeler que, d'après des dispositions déjà adoptées, une canne dont on s'est servi pour frapper est réputée arme; or, si quelqu'un attend son ennemi au coin d'une rue ou d'un chemin, avec une canne ou un bâton, dans le dessein de le battre, cette action est criminelle sans doute, mais elle ne l'est pas au même degré que l'embuscade qui aurait pour objet de tuer; et bien qu'il y ait guet-apens dans l'un et l'autre cas, ils ne sauraient sans injustice être punis de la même manière. La distinction entre le meurtre et les blessures peut donc s'appliquer même au guetapens1. » Il suit de là qu'il importe de bien distinguer la préméditation et le dessein de tuer : la préméditation, que nous avons définie dans le chapitre précédent, aggrave la peine applicable au crime ou délit de blessures, mais ne change point la nature de ce délit ou de ce crime; le dessein de tuer, au contraire, le transforme en tentative de meurtre ou d'assassinat. Il a été jugé, conformément à cette distinction, « qu'il n'y a nulle contradiction dans deux réponses au jury, négative quant à l'intention de donner la mort, et affirmative quant à la préméditation de la volonté de porter des coups et blessures, puisque le Code pénal, par ses art. 297 et 310, a formellement admis ces deux espèces de préméditation 2. » Il a encore été jugé « que la préméditation ne constitue pas un fait distinct et indépendant des coups et blessures, qu'elle s'y rattache intimement et devient, lorsqu'elle est établie, un des éléments du délit ; » d'où il a été induit que lors même que la citation cu l'ordonnance de mise en prévention n'en fait pas mention, lors même que le juge de première instance n'a pas relevé cette circonstance, elle peut être relevée devant le juge d'appel sans porter atteinte au principe du double degré de juridiction 3.

1 Procès-verb. du Cons. d'État, séance du 8 nov. 1808.

Cass., 14 janv. 1841, Bull. n. 9.

3 Cass., 29 juin 1855, Bull, n, 235.

1353. L'art. 312, modifié par la loi du 13 mai 1863, est ainsi conçu:

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Art. 312. L'individu qui aura volontairement fait des blessures ou porté des coups ses père et mère légitimes, naturels ou adoptifs, ou autres ascendants légitimes, sera puni ainsi qu'il suit : de la reclusion, si les blessures ou les coups n'ont occasionné aucune maladie ou incapacité de travail personnel de l'espèce mentionnée en l'art. 309; - du maximum de la reclusion, s'il y a eu incapacité de travail pendant plus de vingt jours ou préméditation ou guet-apens ;des travaux forcés à temps, lorsque l'article auquel le cas se référera prononcera la peine de la reclusion; des travaux forcés à perpétuité, si l'article prononcce la peine des travaux forcés à temps. »

On lit dans l'exposé des motifs :

L'art. 312 établit une gradation analogue pour les cas de violence commis sur des ascendants légitimes. Toutes les peines prononcées dans les art. 309, 310, 311, sont élevées alors d'un degré, excepté celle des travaux forcés à perpétuité, qui reste le dernier terme de la progression. Le nouvel art. 312 serait conçu dans le même esprit. Les changements qu'on y remarque proviennent de la même cause que ceux de l'art. 310 seulement, comme la gradation compterait ici un degré de plns, pour l'arrêter à la peine des travaux forcés à perpétuité, il a fallu établir deux degrés dans la reclusion, qui est le point de départ. C'est un moyen autorisé par des précédents dans le Code même.

Une première remarque sur cet article est que ses termes sont limitatifs : il ne s'applique qu'aux violences exercées par les descendants sur les ascendants; ainsi celles qui seraient exercées soit par les père et mère sur leurs enfants, soit par un mari sur sa femme, ne rentrent point dans ses termes.

1354. On avait induit de ce silence que ces sortes de violences ne sont point comprises dans les termes de la loi. On pensait que la nature et la loi civile, en conférant aux maris la puissance, aux pères et mères le droit de correction, formaient obstacle à ce que les violences qu'ils exerçaient sur leurs femmes ou sur leurs enfants pussent constituer un délit. Sous l'ancien droit, la jurisprudence faisait une distinction, elle tolérait les violences légères, elle punissait les violences graves: Verberare possunt, modò non excedant castigationis terminos, alioquin de excessu puniantur 1. En conséquence, le fils ne pouvait porter plainte que pour les coups les plus graves: In patre verbe-,

1 Menochius, casu 364, num. 17.

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