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lement à un fonds et pour un fonds : ce qui n'est qu'une conséquence immédiate de la définition donnée dans le premier article du projet, et qui caractérise spécialement la servitude réelle ou service foncier;

2°. Que ces services n'aient d'ailleurs rien de contraire à l'ordre public; règle commune à toutes les espèces de con

ventions.

Mais cette liberté peut-elle s'étendre jusqu'à la faculté de modifier les servitudes légales ou établies par la loi?

L'orateur du gouvernement a répondu à cette question dans l'exposé des motifs du projet : « Il ne faut pas conclure, « a-t-il dit, de cette dénomination servitudes légales ou éta« blies par la loi, qu'il ne puisse y être apporté des déroga<<< tions ou modifications par la volonté de l'homme, mais seu«<lement qu'elles agissent, en l'absence de toutes conventions, «< par la nature des choses et l'autorité de la loi. »

Une conséquence naturelle de cette liberté des conventions est que l'usage et l'étendue des servitudes se règlent par le titre qui les constitue.

Mais, s'il n'y a pas de titre? Le projet y pourvoit par les dispositions ultérieures qui me restent à parcourir.

En attendant, et après avoir distingué les servitudes ur- 687 baines, savoir celles qui sont établies pour l'usage des bâtimens, quelque part qu'ils soient situés, des servitudes rurales établies seulement pour l'usage des champs, le projet fait une première division, qui leur est commune, entre les servitudes continues et discontinues; et une seconde division, qui leur 688-689 est également commune, entre les servitudes apparentes et non apparentes: distinctions essentielles pour leur acquisition ou leur extinction, rejetées sans raison par quelques jurisconsultes, d'ailleurs justement célèbres, et qui, fort embrouillées jusqu'ici par des subdivisions et des nuances minutieuses, avaient grand besoin de l'interposition de la loi.

Il appelle continues celles dont l'usage est ou peut être con tinuel, sans avoir besoin du fait actuel de l'homme; telles

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que les conduites d'eau, les égouts, les vues, et autres de cette espèce;

Discontinues celles qui, au contraire, ont besoin du fait actuel de l'homme pour être exercées; tels sont les droits de passage, puisage, pâcage, et autres semblables.

Il qualifie d'apparentes celles qui s'annoncent par des ouvrages extérieurs, tels qu'une porte, une fenêtre, un aqueduc;

Et de non apparentes celles qui n'ont pas de signes exté— rieurs de leur existence; comme, par exemple, la prohibition de bâtir sur un fonds, ou de ne bâtir qu'à une hauteur déterminée.

Ces notions sont également claires et exactes. Il n'est point d'espèce particulière à laquelle on ne puisse les rapporter; et la simplicité de leur précision sera un véritable bienfait de la loi.

Voyons comment le projet les applique à l'établissement des servitudes.

Les continues et apparentes s'acquièrent par titre ou par la possession de trente ans.

Nul doute ne pouvait s'élever sur l'acquisition par titres, qui est commune à toutes les espèces de servitudes.

Il n'en était pas de même de la possession. La jurispru– dence française était divisée à cet égard : la plupart des coutumes, et notamment celle de Paris, la rejetaient, fût-elle de cent ans. Les pays régis par le droit écrit l'admettaient, pourvu qu'elle eût trente ans, sur le fondement de plusieurs textes du droit romain.

On a pensé qu'une possession de trente ans étant suffisante pour acquérir une maison ou un fonds de terre, il n'y a pas de raison de la regarder comme insuffisante pour acquérir, sur cette maison ou sur ce fonds de terre, un droit de servitude, dont l'exercice et le signe extérieur de cet exercice auraient duré pendant trente ans, au vu et su du propriétaire, sans contradiction de sa part : et le droit romain a prévalu.

Mais il a été abandonné quant aux servitudes continues

non apparentes, et aux servitudes discontinues apparentes et non apparentes. Il exigeait, à la vérité, pour ces sortes de servitudes, une possession immémoriale; mais une telle possession ne se manifestant pas nécessairement par des actes assez suivis ou assez fréquens pour faire supposer le consentement, même lorsqu'il n'y aurait pas eu de contradiction formelle, c'est avec raison que le projet déclare que de telles servitudes ne peuvent s'établir que par titres, et que la possession, même immémoriale, ne peut en tenir lieu.

Le projet aurait pu s'arrêter là sans craindre de porter atteinte à des droits déjà acquis, en vertu de cette possession, dans les pays où elle a été admise jusqu'ici, les lois ne pouvant avoir aucun effet rétroactif sur des droits légitimement acquis avant leur émission; mais il n'y a pas moins de sagesse d'en avoir ajouté la déclaration expresse, pour prévenir à cet égard tout sujet ou tout prétexte d'inquiétude.

Les servitudes peuvent encore être établies par la destina- 692 tion du père de famille la jurisprudence avait essuyé dans ce point une variation considérable, et laissait en outre une lacune à remplir.

L'ancienne et la nouvelle coutume de Paris s'accordaient à déclarer qu'elle vaut titre : mais celle-ci exige qu'elle soit constatée par écrit; l'autre ne l'exigeait pas.

Y avait-il d'ailleurs quelque différence à faire à ce sujet entre les différentes espèces de servitudes? c'est ce que ni l'une ni l'autre n'expliquaient. Les lois romaines n'offraient pas plus de lumières; et ce n'était que par une analogie un peu forcée qu'on pouvait y expliquer quelques textes.

Le projet s'explique nettement sur tout cela.

Il déclare que la destination du père de famille vaut titre; mais il borne son effet aux servitudes continues et apparentes.

Il n'exige pas que la destination soit constatée par écrit; 693 mais il statue qu'il n'y a destination que lorsqu'il est prouvé que les deux fonds actuellement divisés ont appartenu au

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mème propriétaire, et que c'est par lui que les choses ont été mises dans l'état duquel résulte la servitude.

Dumoulin ajoute une condition que le projet n'avait pas besoin d'énoncer, parce qu'elle n'est qu'une conséquence nécessaire de tout l'ensemble de sa théorie; savoir, que la destination doit avoir pour objet un avantage perpétuel, et non une commodité ou une convenance passagère (a).

Autre question sur laquelle il était important de fixer la législation.

Le propriétaire de deux héritages, dont l'un, avant leur réunion dans sa main, devait un service à l'autre, vient à disposer de l'un ou de l'autre, sans qu'il soit fait aucune mention de servitude dans l'acte d'aliénation; la servitude active ou passive continue-t-elle d'exister?

On pouvait opposer, et on opposait en effet que, toute servitude étant éteinte lorsque le fonds à qui elle est due, et celui qui la doit, sont réunis dans la mème main (règle certaine et consacrée même en termes formels par l'artiele 698 du projet), il était indispensable, pour la conservation de la servitude, qu'elle eût été réservée expressément dans l'acte d'aliénation.

Mais on ne prévoyait pas le cas où, la chose parlant d'ellemême, la réservation ne devenait plus nécessaire; et c'est ce cas que le projet prévoit très-sagement. Ainsi, dans l'espèce supposée, si la chose parle d'elle-même, c'est-à-dire, comme s'explique le projet, s'il existe entre les deux héritages un signe apparent de servitude, le silence des contractans n'empêchera pas qu'elle ne continue d'exister, activement ou passivement, en faveur du fonds aliéné ou sur le fonds aliéné.

Les deux derniers articles de cette seconde section ne contiennent rien que d'entièrement conforme à la justice et

(a) Destinatio causa commodioris usus, si, non temporalis, sed perpetua; sur l'article 91 de Pancienne coutume de Paris.

aux règles généralement admises, en statuant qu'en ce qui touche les servitudes qui ne peuvent s'acquérir par la prescription, le titre constitutif de la servitude ne peut être remplacé que par un titre récognitif de la servitude, émané du propriétaire du fonds assujéti ; et que, quand on établit une servitude, on est censé accorder tout ce qui est nécessaire pour en user.

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Il en est de même de tous les articles de la section troi- 700 709sième je me borne à y remarquer que l'article 693, rédigé dans le même esprit que les articles 702 et 703 de la section suivante, légalise avec eux un des caractères essentiels des servitudes que le projet n'avait pas eu encore l'occasion d'indiquer, leur individuité, en déclarant, le premier, que, si l'héritage pour lequel la servitude est établie vient à être divisé, la servitude reste due pour chaque portion, sans néanmoins que la condition du fonds assujéti en puisse être empirée ; qu'ainsi, par exemple, s'il s'agit d'un passage, tous les copropriétaires seront obligés de l'exercer par le même endroit; les deux autres, que, si l'héritage en faveur duquel la servitude est établie appartient à plusieurs par indivis, la jouissance de l'un empêche la prescription à l'égard de tous; et que, si parmi eux il s'en trouve un contre qui la prescription n'ait pu courir, comme un mineur, il aura conservé le droit de tous les autres.

Il ne me reste à vous présenter que les dispositions de la sect. 4 quatrième section, relatives à l'extinction des servitudes, laquelle ou résulte de l'état naturel des choses, ou s'opère par la prescription.

La raison seule dicte que les servitudes doivent cesser lors- 703-704 que les choses se trouvent en tel état qu'on ne peut plus en user; et, si cet état vient à changer, si les choses sont rétablies de manière qu'on puisse en user, la raison dicte encore qu'elles doivent revivre.

Mais la liberté naturelle des héritages réclamerait contre l'effet de ce retour au premier état, s'il pouvait avoir lieu après une durée de temps indéfinie, et n'avoir d'autre terme

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