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règle elle-même; la deuxième de la suivre dans chacune de ses applications.

SECTION Ire.

DE LA RÈGLE QUI SUSPEND DANS CERTAINS CAS L'ACTION PUBLIQUE JUSQU'A LA PLAINTE DES PARTIES LÉSÉES.

§ 140. Examen des textes qui se rapportent à cette règle dans le droit romain.

§ 141. Son application dans notre ancienne jurisprudence.

§ 142. Son application dans la législation actuelle; appréciation de son caractère légal et des limites dans lesquelles elle doit être appliquée.

§ 143. Formes de la plainte; ses effets sur l'action publique; effets du désistement des parties.

$140.

Application de cette règle dans le droit romain.

Lorsque l'on cherche dans les lois romaines quels étaient les délits que les parties lésées pouvaient seules poursuivre, on trouve d'abord toute la catégorie des faits que ces lois qualifiaient de délits privés. Ces faits, qui comprenaient l'injure, le vol et la plupart des atteintes à la propriété, injuria, furtum, rapina, damnum injuriâ datum, ne pouvaient être dénoncés et poursuivis que par certaines personnes, et en général par les parties intéressées.

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Mais était-ce bien là, comme quelques jurisconsultes l'ont soutenu 1 une application de la règle dont nous recherchons la trace? Et cette poursuite des délits privés, ainsi laissée aux personnes qu'ils

1

Von Gonner, Neues Archiv des criminal Rechts, VII, 459.

avaient blessées, pouvait-elle être considérée comme une exception au principe qui plaçait le droit d'accusation entre les mains de tous les citoyens 1?

Les doutes viennent de ce que les faits que le droit romain qualifie, dans quelques textes 2, de délits privés, n'étaient point des délits proprement dits: considérés comme purement civils, ils ne donnaient lieu qu'à une action devant la juridiction civile 3; et cette action, exclusivement privée, avait été instituée, non point pour la répression du délit, mais pour la seule réparation de l'intérêt lésé, car, suivant l'expression d'Ulpien, ibi principaliter de damno agitur quod domino datum est ; elle n'appartenait, comme toutes les actions civiles, qu'aux parties intéressées. De là il suit que si ces délits ne pouvaient, comme les délits déférés aux jugements publics, être poursuivis par tous les citoyens, ce n'était pas précisément à raison de leur caractère propre, c'était à raison de la juridiction civile à laquelle ils étaient déférés, c'était parce que leur poursuite était naturellement soumise aux règles de cette juridiction.

A la vérité, ces délits civils, d'une part, pouvaient donner lieu à l'application d'une peine 5, et, d'un Voy. notre tome II, p. 47.

Dig., De priv. del.; 1. 2 C., 'De injur.; 1. 2, § 8, C., De jure. enucleando, et 1. 3, § 8, eod. tit.; Birnbaum, Neues Arch. des crim. Rechts, VIII, 396 et 643.

3 Mittermaier, Strafverfahren, I, p. 9; Rosshirt, Lehrbuch des criminal Rechts, § 12.

L. 7 Dig., De injuriis; Farinac., De accusatione, quæst. 12, n. 7.

L. 3 Dig., De priv. delict.

autre côté, frappaient leurs auteurs d'infamie 1. Mais, en premier lieu, la peine qui pouvait être encourue sur cette action privée n'avait été instituée que dans un intérêt particulier, et non dans un intérêt public. On trouve un exemple de cette distinction dans un texte de Paul, relatif au délit de concussion: Per vim extortum cum pœná tripli restituitur; ampliùs extra ordinem plectuntur, alterum enim utilitas privatorum, alterum vigor publica disciplinæ postulat 2. Ensuite, l'application de cette peine dépendait de la demande 3; elle faisait donc en quelque sorte partie de la réparation. civile; elle était le complément de la dette contractée par le délinquant; elle n'apportait donc aucune modification, soit à la nature de l'action, soit à la nature du fait lui-même. Quant à la note d'infamie qui suivait la condamnation, on ne peut en tirer aucune conséquence, puisque la même mesure s'appliquait à la simple infraction des contrats de société, de tutelle, de mandat et de dépôt, lorsque cette infraction supposait la mauvaise foi 4.

Une objection peut s'élever encore. La poursuite

1 L. 1 Dig., De his qui notantur infamiâ, et Inst., lib. IV, tit. 16, § 2.

2 L. 9, § 5, Dig., De publicanis et vectigalibus.

3 L. 3 Dig., De priv. delict.

L. 1 Dig., De his qui not. inf. Infamiâ notantur qui furti, vi bonorum raptorum, injuriarum, de dolo malo et fraude suo nomine damnatus pactusve erit; qui pro socio, tutelæ, mandati, depositi suo nomine non contrario judicio damnatus erit.-Instit., lib. IV, tit. 16, § 2: Ex quibusdam judiciis damnati ignominiosè fiunt: veluti furti, vi bonorum raptorum, injuriarum, de dolo; item, tutelæ, mandati,

des délits privés, d'abord purement civile, se changea, vers le m° siècle de l'Empire, en une poursuite extraordinaire qui permit d'appliquer aux délinquants des châtiments plus graves 1. Est-ce que cette poursuite extraordinaire, judicium extraordinarium, n'eut pas pour effet d'imprimer à cette classe d'infractions le caractère de délit public qu'elles n'avaient pas eu jusque-là? On doit remarquer d'abord que les parties lésées conservèrent le droit de choisir, soit la voie civile, soit la voie extraordinaire. Ainsi, Ulpien dit formellement : Si quis actionem, quæ ex maleficiis oritur, velit exsequi : si quidem pecuniariter agere velit, ad jus ordinarium remittenda erit; nec cogendus erit in crimen subscribere; enimverò si extra ordinem ejus rei pœnam exerceri velit, tunc subscribere eum in crimen oportebit 2. Et il ajoute encore ailleurs : Non ideò tamen minùs, si qui velit, poterit civiliter agere 3. L'action restait donc placée entre les mains de la partie, qui lui donnait la direction qui lui convenait. Il est douteux d'ailleurs que la voie extraordinaire n'ait pas été ouverte autant pour contenir les parties lésées elles-mêmes, trop portées à des poursuites téméraires, que pour réprimer avec plus de sévérité des faits de plus en plus fréquents et dangereux. Ulpien, en effet, depositi, directis non contrariis actionibus; pro socio quæ ab utrâque parte directa est.

Liv. 3 Dig., De privat. delict. ; 1. 92 Dig., De furtis; 1. 45 Dig., De injuriis.

2 L. 3 Dig., De priv. delict.

3 L. 92 Dig., De furtis.

s'exprime en ces termes : Meminisse oportebit nunc furti plerumque criminaliter agi, et eum qui agit in crimen subscribere: non quasi judicium rei publicum, sed quia visum est temeritatem agentium etiam extraordinaria animadversione coercendum 1. Et Paul dit également Et in privatis et in extraordinariis criminibus omnes calumniosi extra ordinem pro qualitate admissi plectuntur 2. Mais, quel que fût le mode de la poursuite, le fait, bien que cette voie nouvelle de procédure lui imprimât un caractère criminel, conserva sa nature première; la peine, plus grave, demeura principalement attachée à la protection de l'intérêt privé; le délit ne fut point rangé parmi les délits publics qui blessaient la cité tout entière. Lorsque Théodose voulut punir les Manichéens, il imprima à cette hérésie le caractère de crime public, parce que les actes contraires à la religion lui paraissaient blesser les intérêts de tous: Ac primùm volumus esse publicum crimen : quia quod in religionem divinam committitur in omnium fertur injuriam 3. Telle était la barrière qui séparait les crimes publics de tous les autres actes illicites: ceux-là seuls intéressaient la société, ceux-là seuls pouvaient être poursuivis en son nom. Il n'y avait véritablement de délits dans le droit romain que ceux auxquels s'appliquaient les jugements publics et les formes de l'accusation. Or, les vols, les injures, et la plupart des offenses énu

1 L. 92 Dig., De furtis.

2 L. 3 Dig., Ad senat. Turpill.

3 L. 4, § 1, Cod., De hæreticis et manichæis.

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