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saire que sa composition soit régulière pour qu'il ressente l'offense; il n'est pas nécessaire que l'acte auquel il a procédé soit valide pour que cet acte puisse donner lieu à une attaque diffamatoire; l'appréciation de cette attaque est indépendante de la régularité de la composition et de la valeur des délibérations. Mais il n'en est plus ainsi quand il s'agit d'apprécier, non plus un délit dirigé contre le corps, mais un acte des fonctions de ce corps; il est évident que cet acte ne peut avoir de force qu'autant qu'il a été pris régulièrement, et qu'il ne peut être réputé régulier qu'autant qu'il émane du corps légalement composé. On ne peut objecter dans ce cas que les tribunaux ne peuvent s'immiscer dans l'examen d'un acte administratif, car la délibération qui provoque une plainte n'est pas, ainsi que l'a reconnu la Cour de cassation, un acte administratif; elle aurait plutôt le caractère d'un acte judiciaire, puisqu'elle est le fondement de la poursuite et constitue le premier acte de la procédure.

La loi n'a point établi de formule précise pour la plainte. Il suffit : 1° qu'elle constate la qualité et les pouvoirs des plaignants; 2° qu'elle exprime une provocation formelle à poursuivre ; 3° qu'elle contienne l'articulation et la qualification des provocations, attaques, offenses, outrages, faits diffamatoires ou injures, à raison desquels la poursuite est intentée1, c'est-à-dire l'énonciation des faits qui en font l'ob

'L. 26 mai 1819, art. 6.

jet, avec l'indication des articles de la loi pénale dont elle provoque l'application 1.

Nous avons vu précédemment quels sont les effets de la plainte sur l'action publique 2. Ces effets sontils modifiés quand cette plainte est portée, soit par l'une des Chambres, soit par un corps constitué? La loi qui dans ces deux cas a substitué à la plainte une autorisation ou une délibération requérant les poursuites a-t-elle attaché à ces formules nouvelles un autre sens, une signification différente? Le ministère public, libre en général de donner ou de ne pas donner suite à la plainte, est-il tenu de déférer, soit à l'autorisation, soit à la réquisition? Nous croyons que les règles générales qui ont été précédemment posées ne doivent recevoir ici aucune modification. Il ne suffit pas d'une plainte pour mettre l'action publique en mouvement, et les dénonciations diverses dont les convenances ont revêtu cette plainte ne sauraient changer cette règle. Il eût fallu, pour la modifier, que la loi en eût exprimé la volonté expresse; or, elle a gardé le silence: il est donc certain que le ministère public, quelles que soient les formes de la plainte, a le droit de l'apprécier et de lui donner la suite qu'il juge convenable, sauf aux plaignants à prendre les voies de droit que la loi leur laisse ouvertes. Mais hâtons-nous d'ajouter que ce droit rigoureux ne pourra que très rarement

1 Arr. Cass. 21 août 1835 (Bull., no 320). 2 Voy. suprà, p. 64, et tome II, p. 236. Voy. t. II, p. 254 et suiv.

s'exercer. Il ne s'exercera jamais à l'égard de l'autorisation de poursuivre donnée par les Chambres. En effet, la délibération de la Chambre offensée autorisant la poursuite est adressée par son président au ministre de la justice, et ce ministre la transmet lui-même au procureur général en donnant l'ordre de poursuivre. Le ministère public ne peut donc dans aucun cas être appelé à délibérer sur ce point. Il en est autrement lorsqu'il est requis de poursuivre par un corps constitué; car cette réquisition n'est qu'une demande à laquelle il peut donner la suite qu'il juge convenable. Mais des raisons de justice et de convenance viennent alors contraindre, pour ainsi dire, son intervention. Nous ayons dit, en effet, que le ministère public doit en général s'associer aux plaintes qui ont pour objet les délits dont la poursuite est abandonnée à l'initiative des parties lésées1; or, combien cette règle de conduite n'a-t-elle pas plus de force encore quand la plainte émane d'un corps judiciaire ou administratif, quand elle a été précédée d'une délibération de ce corps, quand elle défère à la justice une offense qui paraît aux plaignants une atteinte à leur considération? L'inertie de l'action publique, en présence d'une plainte qui est entourée de ces garanties, ne serait-elle pas un véritable déni de justice?

Voy. suprà, p. 64.

$147.

Application aux délits des fournisseurs de la règle qui subordonne la poursuite à la plainte.

Les art. 430, 431, 432 et 433 du C. pén. érigent en crimes ou en délits les actes des fournisseurs des armées de terre et de mer qui font manquer le service dont ils sont chargés ou qui s'acquittent de ce service avec négligence ou avec fraude. Et l'article 434 ajoute: «Dans les divers cas prévus par les articles composant le présent paragraphe, la poursuite ne pourra être faite que sur la dénonciation du gouvernement. »

Les fournisseurs des armées de terre et de mer ne soint point des agents du gouvernement dans le sens de l'art. 75 de la loi du 22 frimaire an vIII, et dès lors aucune autorisation n'est nécessaire pour les poursuites à raison des délits qu'ils commettent dans leur service. Ce point, hors de toute controverse, a été formellement reconnu par la Cour de cassation qui a déclaré : « que les entrepreneurs de fournitures, pour le compte des armées, ne sont dépositaires. d'aucune partie de l'autorité publique; que, ne pouvant être assimilés aux agents du gouvernement, il n'y a pas lieu dès lors de subordonner les poursuites à diriger contre eux, dans les cas prévus par les art. 430, 431 et 432 du C. pén., à une autorisation spéciale et nominative émanée du conseil d'État,

après appréciation des faits par le comité du contentieux 1.

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Ce n'est donc point aux agents eux-mêmes que s'applique la dénonciation du gouvernement, c'est au délit seulement. Cette dénonciation a pour seul but de réserver au gouvernement l'appréciation de la gravité des infractions et de l'utilité d'une poursuite judiciaire. Ainsi, la Cour de cassation a jugé encore: << que les dispositions précitées du Code pénal ayant pour objet la répression des fraudes commises par les entrepreneurs dans l'exécution de leurs marchés, le législateur a dû prévoir le cas où, par des poursuites intempestives, le service du fournisseur se trouverait interrompu; que c'est évidemment par ce motif que la poursuite contre les entrepreneurs a été subordonnée, non à une autorisation, mais seulement à une dénonciation, en ayant égard aux circonstances d'après lesquelles la mise en mouvement de l'action publique pourrait être opportune ou nuisible dans l'intérêt de l'État 2.

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Cette dénonciation, dont nous avons d'ailleurs démontré précédemment l'inutilité 3, est indispensable pour que l'action publique puisse être mise en mouvement; jusqu'à ce qu'elle soit intervenue, les fraudes, quelles qu'elles soient, ne constituent aucun délit ; l'action publique est enchaînée. L'appré

Arr. Cass 29 août 1846 (Bull., no 226).

2 Mème arrêt.

3 Voy. suprà, p. 52.

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