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mérées dans le 47 livre du Digeste, n'entrèrent jamais dans cette catégorie1.

Il suit de là que si les délits privés ne pouvaient être poursuivis que sur la plainte des parties lésées, ce n'était point en vertu d'une règle exceptionnelle puisée dans la nature même de ces délits; c'était uniquement parce que, déférés à la juridiction civile, ils étaient naturellement soumis aux règles générales de cette juridiction. Ce n'est donc point dans la procédure relative à ces faits qu'il faut rechercher l'application de notre règle; elle n'a pu se manifester évidemment que dans la procédure relative aux crimes poursuivis par jugements publics.

La règle générale, en ce qui concerne ces crimes, était que le droit de les poursuivre appartenait d'abord aux parties lésées, ensuite à tous les citoyens que la loi n'avait pas voulu exclure de son exercice 2. Mais ce droit général d'accusation n'admettait-il aucune exception?

Nous en trouvons une dans le crime de supposition de part: De partu supposito soli accusant parentes, aut hi ad quos ea res pertineat: non quilibet ex populo, ut publicam accusationem attendat 3. Ainsi, le droit d'accusation publique est suspendu; c'est aux parents, c'est à certaines personnes spécialement désignées, qu'il appartient de poursuivre; ce droit ne peut être étendu. Et quel est le motif de

1 Voy. notre tome II, p. 47.

* L. 30, § 1, Dig., Ad leg. Corn. de falsis.

3 Abegg, Neues Archiv, des crim. Rechts, XI, p. GOS,

cette exception? C'est qu'il importe à l'État, comme le dit Ulpien dans une question analogue, que la dignité des familles ne soit pas profanée, publicè interesse partus non subjici, ut ordinum dignitas familiarumve salva sit 1. Or, l'honneur et le repos des familles n'auraient-ils pas été sans cesse compromis s'il eût été permis à chacun d'attaquer, par une accusation, la légitimité de quelques-uns de leurs membres? De là la nécessité de restreindre le droit d'accusation et de le retirer des mains des étrangers, afin que, suivant l'expression de Voet, les droits de la famille ne fussent pas légèrement blessés par des imputations mensongères, ne falsis extraneorum contumeliis jura familiæ deformentur 2.

Il s'agit donc ici, non plus d'un de ces délits privés que la loi romaine assimilait aux fraudes civiles, mais d'un délit public, d'un crime que l'État avait intérêt de punir; il s'agit d'une poursuite qui était exercée, non plus au nom des seules parties intéressées et par une voie qui n'était ouverte qu'à ces parties, mais au nom de la société et par la voie des jugements publics ouverte à tous les citoyens. La restriction apportée au droit d'accusation était donc une exception à la règle généralement appliquée dans les jugements publics; cette exception était fondée sur la nature même du crime, sur le péril d'une poursuite livrée à tous les citoyens, sur

1 L. 1, § 13, Dig., De inspect. ventr.

Ad. Pand. lit. de transact., n. 18.

de adult., in fine.

Et 1. 30 Cod., ad leg. Jul.

l'intérêt social de l'ordre et de la paix des familles. C'était une évidente application de notre règle.

La loi n'appelait à exercer le droit d'accusation que les parents et les personnes qui avaient un intérêt, parentes et hi ad quos ea res pertinet. Quel est le sens de ces expressions? On a fait observer avec raison que le mot parentes ne s'applique pas ici à tous les membres de la famille, mais à ceux contre lesquels la fraude a été dirigée, qui devaient être victimes de la supposition frauduleuse 1; les autres personnes que l'affaire peut concerner sont celles qui auraient été appelées à l'hérédité à défaut de l'enfant supposé, ou qui, trompées par le crime, auraient elles-mêmes institué cet enfant comme héritier. Il suit de là qu'en définitive les parties réellement lésées avaient seules le droit d'accusation.

Nous trouvons encore une deuxième application de la même règle dans la poursuite du délit d'adul

tère.

Dans l'ancien droit romain, le mari était le seul juge de l'adultère de sa femme : il pouvait donc seul la traduire devant son tribunal. Mais lorsque ces jugements domestiques commencèrent à tomber en désuétude, la loi Pappia Poppea d'abord, et bientôt après la loi Julia de adulteriis, essayèrent de restituer au mariage toute sa dignité, en élevant la violation de la foi conjugale au rang des crimes publics : le droit d'ac

1 Abegg, neues Archiv. des criminal Rechts, XI, p. 606.

cusation fut donné à tous les citoyens contre le délit d'adultère. Montesquieu a recherché le motif de cette disposition : « Il y avait un crime qui, outre l'animadversion du tribunal domestique, était encore soumis à une accusation publique, c'était l'adultère; soit que, dans une république, une si grande violation de mœurs intéressât le gouvernement, soit que le déréglement de la femme pût faire soupçonner celui du mari, soit enfin que l'on craignît que les honnêtes gens mêmes n'aimassent mieux cacher ce crime que le punir, l'ignorer que le venger 1. »

Cependant, au moment même où cette accusation était rendue publique, elle s'écartait déjà sous plusieurs rapports des règles du droit commun. On distinguait, en effet, deux sortes d'accusation : l'accusation ex jure mariti vel patris, et l'accusation ex jure extranei.

La première avait plusieurs priviléges. Le mari, personnellement outragé par l'adultère, et le père, sur lequel rejaillissait l'infamie de sa fille, étaient d'abord préférés à tous les accusateurs étrangers 2. Cette préférence emportait même, pendant un certain délai, l'exclusion complète de ceux-ci. En effet, le temps de la prescription, qui était de cinq ans contre le délit en général, et par conséquent contre le complice, à compter du jour du délit, ex die admissi

Esprit des lois, liv. VII, chap. 10.

2 L. 4, § 1, Dig., Ad leg. Jul. de adult. Extraneis autem qui accusare possunt, accusandi facultas post maritum et patrem conceditur.

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criminis, était limité à six mois contre la femme, mais ces six mois ne couraient que du jour de la répudiation, ex die divortii; car aucune accusation ne pouvait être intentée contre la femme tant que le mariage subsistait encore 2. Or, de ces six mois utiles pour la poursuite, les deux premiers étaient exclusivement réservés au mari et au père : ils pouvaient seuls, pendant les soixante jours qui suivaient le divorce, porter l'accusation 3. En cas de concours entre eux, le mari était préféré : la loi supposait qu'animé par une colère plus vive, par une plus juste douleur, il soutiendrait cette accusation avec plus de fermeté. Le père n'intervenait même en général qu'à défaut du mari, et lorsque celui-ci était convaincu de négligence ou de connivence 5.

Un autre privilége de l'accusation ex jure mariti consistait en ce que l'accusateur, s'il succombait dans son accusation, n'était pas tenu, comme les autres citoyens, des peines de la calomnie 6. Ce privilége, toutefois, est contesté, ou du moins les

1 L. 31 Dig., Ad leg. Jul. de adult.; 1. 5 et 28 Cod., eod. tit. 2 L. 11, 26 et 39, § 1, Dig., eod. tit.; l. 11 Cod., eod. tit.

3 L. 1, § ult., 3, 4, § 1, 30, §'1, Dig., eod. tit.

♦ L. 2, § 8, Dig., eod. tit. : Magis est ut maritus præferatur, nam et propensiore irâ et majore dolore exsecuturum eum accusationem credendum est.

L. 3 Dig., eod. tit. : Nisi igitur pater maritum infamem aut arguat aut doceat, colludere magis cum uxore, quàm ex animo accusare, postponetur marito.

L. 6 et 30 au Cod., eod. tit.; 1. 37, § 1, Dig., De mino

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