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CHAPITRE III.

DES CAS OU L'ACTION PUBLIQUE EST SUSPENDUE A
RAISON DE LA QUALITÉ DES INCULPÉS.

§ 155. Objet et division de ce chapitre.

Une troisième cause de suspension de l'action publique provient de la qualité des personnes inculpées.

Cette qualité peut donner lieu, dans certains cas, à deux dispositions distinctes:

Elle peut motiver le renvoi de l'inculpé devant d'autres juges que les juges ordinaires;

Elle peut imposer à la poursuite la condition d'une autorisation préalable.

Il ne s'agit dans ce chapitre que de cette dernière mesure. Lorsque la qualité des inculpés n'a d'autre effet que de les transporter devant une autre juridiction, le cours de l'action publique n'est point interrompu; elle change de mains, elle est portée devant d'autres juges, mais elle continue de s'exercer. L'inculpé, s'il est militaire, est renvoyé devant un conseil de guerre; s'il appartient à l'ordre judiciaire, il ne. peut être mis en prévention que par la Cour royale; s'il fait partie de la Chambre des pairs, il est traduit

devant le président de cette Chambre. L'action publique n'éprouve donc, dans ces diverses hypothèses, aucun préjudice : elle conserve tous ses droits, tous ses effets devant la juridiction exceptionnelle qui en est saisie. Toute la question se réduit à un réglement de compétence.

Nous ne devons nous occuper ici que des cas où l'action publique ne peut s'exercer, devant quelque juridiction que ce soit, sans une autorisation préalable; où elle demeure enchaînée jusqu'à ce que cette autorisation soit intervenue; où, à défaut de cette mesure, toute juridiction est fermée à la plainte. C'est une troisième fin de non-procéder qui, bien qu'elle soit puisée, non plus dans la nature des faits incriminés, comme le défaut de plainte des parties lésées et la question préjudicielle de la filiation, mais dans la position personnelle des inculpés, produit les mêmes effets: l'exercice de l'action publique est suspendu jusqu'à ce que la mise en jugement soit autorisée, comme il est suspendu dans les autres cas jusqu'à la plainte des parties lésées ou jusqu'au jugement de la question d'état.

Cette matière se divise en deux parties il est nécessaire, en effet, d'exposer les textes de la législation qui ont établi cette exception avant d'aborder les difficultés que leur application a soulevées; il est nécessaire d'étudier les motifs et le caractère de la mesure de l'autorisation avant de parcourir les cas où cette mesure doit être prononcée. Nous rappellerons donc, en premier lieu, toutes les dispositions

législatives qui se rapportent à cette matière, et nous établirons sa théorie générale. Nous arriverons ensuite à l'application de ces dispositions.

Cette application exige elle-même une division. Nous verrons, en effet, que les personnes dont la poursuite est subordonnée à une autorisation se classent en deux catégories: les unes, revêtues d'une garantie personnelle, ne peuvent être poursuivies dans aucun cas sans cette autorisation, soit que le fait dont elles sont inculpées appartienne à leur vie publique ou à leur vie privée; les autres, au contraire, jouissant d'une garantie, non plus à raison de leur personne, mais à raison de la fonction qu'elles exercent, ne peuvent l'invoquer qu'en ce qui concerne les actes relatifs à cette fonction. Les règles qui s'appliquent à ces deux classes de personnes ne sont pas les mêmes. De là la nécessité de séparer l'examen des dispositions qui se rapportent aux unes

et aux autres.

Ce chapitre sera donc divisé en trois sections. La première aura pour objet l'exposé de la législation et l'examen de ses règles générales. La deuxième renfermera l'application de ces règles aux personnes qui, comme les ministres, les pairs, les députés, jouissent d'une garantie personnelle, à raison des poursuites de toute nature dont elles peuvent être l'objet. La troisième contiendra l'application des mêmes dispositions aux personnes qui ne sont protégées qu'à raison des actes de leurs fonctions: c'est dans cette dernière section que se placeront les rẻ

gles nombreuses et variées qui sont relatives à la poursuite des agents du du gouvernement.

SECTION Ire.

RÈGLES GÉNÉRALES RELATIVES A LA MISE en Jugement des FONCTIONNAIRES PUBLICS.

§ 156. Dispositions relatives à cette matière dans la législation romaine et dans notre ancien droit.

§ 157. Exposé des dispositions de la législation actuelle.

§ 158. Règles générales de la matière.-Examen de ces règles.

$ 156.

Du jugement des dignitaires et des fonctionnaires publics dans la législation romaine et dans notre ancien droit.

Lorsqu'une règle de la législation repose sur un véritable intérêt social, il est rare qu'on n'en trouve pas quelques traces dans les législations antérieures; car si les lois qui règlent les rapports sociaux varient sans cesse, les intérêts qui vivent au fond de ces rapports varient fort peu. Les institutions politiques qui se succèdent peuvent en modifier l'étendue et le mode; mais, sous des formes diverses, la règle respire et se reconnaît.

A Rome, le jugement des fonctionnaires publics, qui, sous la république, avait appartenu aux questions perpétuelles, devint, dès les premiers temps de l'Empire, l'objet d'une juridiction privilégiée : le sénat connut du crime de con

cussion, et en général de tous les crimes commis, non-seulement par les sénateurs, mais par les officiers publics 1. Ainsi, lorsqu'un crime avait été commis dans une province, soit par un sénateur, soit par un magistrat d'un certain ordre, la juridiction. locale était incompétente 2. Constantin détruisit ce privilége; il ne voulut pas que le coupable, quel que fût son rang, pût élever une exception d'incompétence; il ne voulut pas même qu'il lui en fût référé: l'accusation effaçait toutes les prérogatives : quicumque clarissimæ dignitatis virginem rapuerit, vel fines aliquos invaserit, vel in aliquá culpá seu crimine fuerit deprehensus, statim, intra provinciam in quâ facinus perpetravit, publicis legibus subjugetur: neque super ejus nomine ad scientiam nostram referatur, nec fori præscriptione utatur: omnem enim honorem reatus excludit cum criminalis causa etnon civilis res vel pecuniaria moveatur 3. Toutefois le même empereur invitait en même temps les personnes lésées par les juges, les comites et les amici, à raison des prévarications qu'ils avaient pu commettre dans leurs fonctions, à porter plainte devant lui, promettant de les entendre et de punir les délinquants: Ipse audiam omnia, ipse cognoscam; et si fuerit comprobatum, ipse me vindicabo 4

L. 1 C., Ne liceat potent.; Tacit., Ann. XIII, 44.

2 Ulpian., 1. 15, § 4, Dig., Ad. leg. Jul. de adult. : Si quis, in provinciâ in quâ agit, adulterium commiserit, accusari poterit, nisi sit ea persona quæ ad præsidis cognitionem non pertinet.

3 L. 1 C. Theod., De accusationibus.

L. 4 C. Theod., De accusationibus.

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