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n'avait point d'intérêts qui ne fussent défendus et protégés par des juridictions qui émanaient d'elle. et qui constituaient l'un de ses éléments. On en trouverait la preuve, si cela était nécessaire, dans les doléances qu'excitait de la part des esprits les plus sérieux l'application du privilége aux officiers inculpés: « Il est à désirer, dit l'un des criminalistes les plus sages et les plus éclairés du xvir° siècle, que la concession de certains priviléges soit rare: il semble souvent qu'ils ne soient accordés que pour d on ner plus de liberté à vexer le public et mal faire sans être repris 1.» N'est-il pas évident dès lors que la juridiction privilégiée fournissait le moyen, nonseulement de protéger l'agent du pouvoir contre la justice des juges ordinaires, mais encore d'arrêter et suspendre, suivant la volonté de l'administration, les poursuites dont il était l'objet ?

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Exposé de la législation actuelle sur la mise en jugement des personnes investies d'un pouvoir public.

L'Assemblée constituante avait apporté un profond sentiment de défiance contre le pouvoir judiciaire. Le souvenir du rôle politique des parlements, de leurs prétentions excessives, de leurs continuels empiètements, était présent à tous les esprits. On voulait abattre les institutions juridiques après les

1 Bruneau, Max. sur les mat. crim., p. 296.

pour

institutions féodales; on voulait au moins, après avoir tracé leurs limites, les enfermer dans un cercle assez puissant pour contenir leurs écarts. Deux règles furent en conséquence posées dès le début de ses travaux. L'une et l'autre avaient objet de placer en dehors des atteintes de l'autorité judiciaire, d'une part, le pouvoir législatif, de l'autre le pouvoir exécutif : la première proclamait l'inviolabilité de certaines personnes; la seconde prononçait la séparation de l'ordre judiciaire et de l'ordre administratif.

Il faut suivre dans l'application que la législation leur a donnée ces deux règles, nées d'une même pensée, destinées l'une et l'autre à prévenir les empiètements des tribunaux, mais qui diffèrent et par leur caractère et par la matière différente dans laquelle elles interviennent.

La première est une garantie politique: elle couvre la personne pour assurer l'exercice d'un droit; elle suspend l'action judiciaire pour ne pas entraver l'action du gouvernement; elle constitue, non point un privilége personnel, mais le privilége de la fonction à laquelle elle est attachée et dont elle protége l'accomplissement.

Le décret du 23 juin 1789 en offre un premier exemple: « L'Assemblée nationale déclare que la personne de chacun des députés est inviolable, et que tout tribunal, cour ou commission qui oseraient, pendant ou après la présente session, poursuivre, rechercher, arrêter ou faire arrêter, détenir ou faire

détenir un député, pour raison d'aucune proposition, avis, opinion ou discours par lui fait aux États généraux, sont infâmes et traîtres envers la nation et coupables de crime capital. » La constitution de 1791 reproduit cette disposition: « Les représentants de la nation sont inviolables. Ils ne pourront être recherchés, accusés ni jugés en aucun temps pour ce qu'ils auront dit, écrit ou fait dans l'exercice de leurs fonctions de représentant 1. Elle ajoute Ils pourront, pour faits criminels, être saisis en flagrant délit, ou en vertu d'un mandat d'arrêt; mais il en sera donné avis, sans délai, au Corps législatif, et la poursuite ne pourra être continuée qu'après que le Corps législatif aura décidé qu'il y a lieu à accusation 2. »

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La même garantie est étendue aux ministres : « Aucun ministre en place ou hors de place ne peut être poursuivi en matière criminelle pour fait de son administration, sans un décret du Corps législatif3. Et la constitution, après avoir posé cette condition préalable à la poursuite, établit une juridiction nouvelle pour en connaître : « Une haute cour nationale, formée des membres du tribunal de cassation et de hauts jurés, connaîtra des délits des ministres et agents principaux du pouvoir exécutif. »

Ces dispositions furent reproduites et développées

Tit. III, chap. 1, sect. 5, art. 7. * Tit. III, chap. 1, sect. 5, art. 8. Tit. III, chap. 2, sect. 4, art. 8. Tit. III, chap. 5, art. 23.

par la constitution du 5 fructidor an III. La garantie des membres du Corps législatif était établie de la manière suivante: « Art. 110. Les citoyens qui sont ou qui ont été membres du Corps législatif ne peuvent être recherchés, accusés, ni jugés en aucun temps pour ce qu'ils ont dit ou écrit dans l'exercice de leurs fonctions. Art. 111. Les membres du Corps législatif, depuis le moment de leur nomination jusqu'au trentième jour après l'expiration de leurs fonctions, ne peuvent être mis en jugement que dans les formes prescrites par les articles qui suivent. Art. 112. Ils peuvent, pour faits criminels, être saisis en flagrant délit; mais il en est donné avis, sans délai, au Corps législatif, et la poursuite ne pourra être constituée qu'après que le Conseil des Cinq-Cents aura proposé la mise en jugement, et que le Conseil des Anciens l'aura décretée. Art. 113. Hors le cas de flagrant délit, les membres du Corps législatif ne peuvent être amenés devant les officiers de police, ni mis en état d'arrestation, avant que le Conseil des Cinq-Cents ait proposé la mise en jugement et que le Conseil des Anciens l'ait décreté. Art. 114. Dans les cas des deux articles précédents, un membre du Corps législatif ne peut être traduit devant aucun autre tribunal que la haute cour de justice.

La haute cour de justice, qui avait remplacé la haute cour nationale, et qui, comme celle-ci, n'eut jamais d'existence réelle, était ensuite constituée : « Art. 265. Il y a une haute cour de justice pour juger les accusations admises par le Corps législatif,

soit contre ses propres membres, soit contre ceux du Directoire exécutif. Art. 266. La haute cour de justice est composée de cinq juges et de deux accusateurs nationaux tirés du tribunal de cassation, et de hauts jurés nommés par les assemblées électorales de département. Art. 267. La haute cour de justice ne se forme qu'en vertu d'une proclamation du Corps législatif, rédigée et publiée par le Conseil des Cinq-Cents. »

La constitution du 22 frimaire an VIII apporta bientôt de nouvelles modifications à cette législation. La garantie politique se trouve organisée par les articles 70, 71, 72 et 73 de cette loi. « Art. 70. Les délits personnels emportant peine afflictive ou infamante, commis par un membre, soit du Sénat, soit du Tribunat, soit du Corps législatif, soit du conseil d'État, sont poursuivis devant les tribunaux ordinaires après qu'une délibération du corps auquel le prévenu appartient, a autorisé cette poursuite. Art. 71. Les ministres prévenus de délits privés emportant peine afflictive ou infamante, sont considérés comme membres du conseil d'État. Art. 72. Les ministres sont responsables, 1° de tout acte de gouvernement signé par eux et déclaré inconstitutionnel par le Sénat; 2° de l'inexécution des lois et des réglements de l'administration publique; 3° des ordres particuliers qu'ils ont donnés, si ces ordres sont contraires à la constitution, aux lois et aux réglements. Art. 73. Dans les cas de l'article précédent, le Tribunat dénonce le ministre par un acte sur le

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