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Plusieurs pairs annoncèrent l'intention de voter pour l'incompétence, parce que ce fait ne leur paraissait constituer qu'une simple contravention de police. Il fut répondu que, d'après l'art. 56 du décret du 15 novembre 1811, le fait était passible d'une amende de 100 à 3000 fr., et qu'il rentrait dès lors dans la classe des délits correctionnels, aux termes de l'article 179 du C. d'instr. crim. M. de Bastard ajouta :

Il est vrai que c'est surtout pour les accusations criminelles que la juridiction des pairs est établie; mais elle doit s'étendre aussi aux simples délits correctionnels; car l'emprisonnement est au nombre des peines correctionnelles; or, comment un pair, en présence de l'art. 29 de la Charte, pourrait-il être emprisonné par une autre autorité que celle de la Chambre 1. » D'une autre part, la Cour de cassation a décidé « que l'art. 29 de la Charte a distingué, à l'égard des pairs de France, entre le jugement et Farrestation; que ses termes sont généraux quant à l'arrestation, et qu'il en résulte qu'aucun pair ne peut être arrêté que de l'autorité de la Chambre des pairs; mais que cet article, quant au jugement, est limité aux matières criminelles; que ces mots matière criminelle ne présentent pas un sens absolu; que leur acception doit être déterminée et limitée par l'esprit de la disposition à laquelle ils s'appliquent, et que les infractions de simple police ne pourraient être régies par cet article sans une exten sion évidente de la juridiction exceptionnelle qu'il

1 Cauchy, p. 16.

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a fondée 1. Ainsi, par le premier de ces arrèts, la compétence de la Cour des pairs est étendue aux délits correctionnels; par le second, les contraventions de police en sont exclues. Cette double décision nous paraît avoir déterminé avec justesse le vrai sens de la loi constitutionnelle. Il est difficile, en effet, de supposer qu'elle ait voulu, d'un côté, déférer à la juridiction exceptionnelle les faits qualifiés crimes, et d'un autre côté laisser à la justice. ordinaire les faits qualifiés simples délits. Les délits et les crimes appartiennent à la même classe de faits, à la classe des faits moraux; s'ils n'apportent pas la même infamie légale, ils entraînent une égale atteinte et quelquefois une atteinte plus grave à la dignité et à la considération du coupable. Les uns et les autres sont passibles d'une peine, sinon du même degré, au moins de même nature; elles frappent l'agent dans sa liberté et l'enlèvent à ses fonctions. Il est donc clair que la garantie, pour être efficace, doit comprendre à la fois ces deux catégories de faits; tel a dû être l'esprit de la loi. Le même motif ne s'appliquait point aux infractions de police, infractions purement matérielles, dont la perpétration ne laisse aucune tache sur l'agent et qu'une amende suffit à punir. La barrière qui sépare ces infractions des faits moraux est la limite de la juridiction exceptionnelle. C'est en ce sens que les mots matière criminelle, qui, ainsi que l'a déclaré la

↑ Arr. Cass. 25 mai 1833 (Bull., no 201).

Cour de cassation, ne présentent point un sens absolu, doivent être interprétés.

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De la garantie applicable aux membres de la Chambre des députés.

La loi constitutionnelle n'a point conféré aux membres des deux Chambres les mêmes priviléges. Aucune juridiction exceptionnelle ne protége les membres de la Chambre des députés contre les poursuites criminelles dont ils peuvent être l'objet; ils sont justiciables des tribunaux ordinaires. Seulement, aux termes des art. 43 et 44 de la Charte, ils ne peuvent être poursuivis ni arrêtés qu'après que la Chambre a permis la poursuite.

Le caractère de cette garantie ne peut ici être l'objet d'aucun doute. Il est évident qu'elle n'est point un privilége personnel, mais seulement une garantie politique donnée à la fonction. En effet, elle ne subsiste que pendant la durée de la session; elle ne suit donc pas la personne; elle n'est attachée qu'à la fonction; elle expire dès que celle-ci n'est plus exercée; elle n'a qu'un but, c'est d'assurer la liberté des députés pendant la session, de garantir l'accomplissement de leur mandat. Ils peuvent donc être poursuivis et arrêtés jusqu'au jour de l'ouverture et aussitôt après le jour de la clôture de la session.

Cette garantie est-elle applicable au député dont les pouvoirs n'ont pas encore été vérifiés par la Chambre ? Cette question a été soulevée à l'occasion

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de l'élection de M. Drouillard, dont la Chambre avait ajourné l'admission. Poursuivi et condamné pour achat de suffrages en vertu de l'art. 113 du Code pénal,, il a fondé un moyen de nullité sur ce que la poursuite n'avait pas été autorisée. On a fait valoir à l'appui du pourvoi que l'élection est le seul titre du député; que si ce titre doit être vérifié, la provision lui est due jusqu'à ce que les vices dont l'élection serait entachée soient constatés; que c'est par cette raison, qu'après une dissolution, tous les députés élus, quoique non vérifiés, prennent part aux votes qui tendent à la constitution de la Chambre; que c'est encore par cette raison qu'ils prêtent serment, à la séance d'ouverture, avant toute vérification; que c'est par le même motif que l'art. 43 de la Charte suspend la contrainte par corps contre les membres de la Chambre pendant les six semaines qui précèdent la session. On ajoutait que, pour régler l'application du privilége parlementaire, il est nécessaire de se reporter aux motifs qui l'ont établi; que c'est surtout aux premiers jours de la session, quand l'esprit politique qui dirige la chambre ne s'est pas encore clairement révélé, qu'il est plus utile de protéger l'indépendance de ses membres en maintenant le privilége qui la garantit 1. La Cour de cassation a décidé: « que la garantie constitutionnelle accordée par l'art. 44 de la Charte aux membres de la Chambre des députés, et qui a pour objet d'assurer le libre

1 Voy. une consultation délibérée par MM. Odilon-Barrot, Billault et Marie.

exercice des hautes fonctions dont ils sont chargés, ne peut appartenir qu'à ceux dont l'élection a été reconnue régulière par la Chambre, et qui ont été admis par elle à participer à ses travaux; que si, dans le cas d'une élection générale, tous les députés élus sont nécessairement appelés à procéder en commun à la vérification de leurs pouvoirs; que si, pour les fonctions qu'emportent ces opérations préliminaires, ils doivent jouir du privilége dudit art. 44, cette garantie n'appartient pas à celui dont l'élection est ajournée, et qui, à compter de ce moment ne peut plus remplir aucune des fonctions du député; qu'il n'y a d'ailleurs aucun inconvénient à redouter, puisque la Chambre, soit sur la demande de l'ajourné, soit d'office, peut incessamment lever l'ajournement par elle prononcé, admettre le député, et en l'investissant par là de toutes les prérogatives qui appartiennent aux membres de la Chambre, faire tomber les poursuites dont il aurait pu être l'ojet 1. » Cet arrêt, on doit le remarquer, n'est pas exempt de quelque contradiction. En effet, après avoir posé comme une règle que la garantie ne doit couvrir que les députés dont les pouvoirs ont été vérifiés, il l'étend aussitôt, dans le cas d'une élection générale, à tous les membres élus, dès qu'ils sont appelés à procéder en commun à la vérification des pouvoirs, et par conséquent avant que leurs pouvoirs ne soient vérifiés; et ce n'est qu'à raison de l'ajournement prononcé par la Chambre que l'arrêt déclare, dans l'espèce 4 Arr. Cass. 10 avril 1847 (Bull., n° 76).

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