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que la garantie n'était pas applicable. On doit induire de là que, dans la théorie de la Cour de Cassation, il faut distinguer entre les députés élus dans les élections générales et ceux qui sont élus dans les élections partielles. Les premiers jouissent de la garantie à compter du jour de l'ouverture de la session, les autres à compter du jour de leur admission seulement. Pourquoi cette différence? Est-ce parce que les uns sont appelés à prendre part à des opérations préliminaires qui ne sont pas imposées aux autres? Mais est-ce que le droit n'est pas indépendant de l'application qui en est faite? Est-ce que l'étendue de la prérogative peut être subordonnée aux circonstances? Si la condition de la vérification n'est pas son point de départ dans tous les cas, pourquoi le serait-elle dans un seul ? Cette restriction a donné licu, dans le sein de la Chambre des députés, de formuler une sorte de réserve des droits de la Chambre. « La Cour de cassation, a dit M. Odilon Barrot, a été saisie dans les limites de l'espèce qui lui était déférée, je le reconnais; mais je ne reconnais à aucun pouvoir quelconque, en dehors de cette Chambre, le droit de résoudre dogmatiquement et par voie de jurisprudence politique, l'étendue ou la restriction de nos priviléges. Je ne reconnais à aucun pouvoir, autre que la Chambre, le droit de décider, par exemple, que le privilége constitutionnnel qui couvre de sa garantie tous les autres droits constitutionnels des citoyens, ne commence qu'au jour où les pouvoirs sont vérifiés; ce n'est là qu'une réserve. Ce

pendant je dois dire que la Cour de cassation n'a pas été aussi loin que le ministère public; elle a restreint l'application de sa jurisprudence, elle en a circonscrit le danger politique, elle a distingué entre l'époque où la Chambre procède à la vérification de ses pouvoirs et le moment où étant constituée après cette vérification, il ne reste plus que des députés isolés, à l'égard desquels l'ajournement a été prononcé. Je n'accepte pas plus cette restriction que l'autre. Cependant je dois reconnaître que le danger politique est moindre, qu'il ne concerne plus que quelques individualités, et que du moins le droit collectif du corps, de la Chambre, de ce grand pouvoir politique, est sauf devant la Chambre 1. >>

La demande en autorisation de poursuivre est adressée, soit par le ministère public, par l'intermédiaire du garde des sceaux, soit par les parties lésées, au président de la Chambre. Si la Chambre, sur le rapport de la Commission chargée d'examiner la demande, accorde l'autorisation, le député inculpé peut être immédiatement poursuivi et arrêté. Si elle la refuse, ce refus ne peut avoir d'autre effet que de suspendre l'action pendant la durée de la session, puisque le privilége est limité à cette durée; la poursuite pourrait donc être reprise et exercée sans obstacle aussitôt qu'elle est close.

A quels faits s'applique la garantie? Elle s'applique à tous les faits qualifiés crimes ou délits par la loi pénale, soit que ces faits soient relatifs ou étrangers

1 Séance du 20 avril 1847 (Moniteur du 21).

aux fonctions. La loi ne fait, en premier lieu, aucune distinction entre les crimes et les délits; l'art. 44 de la Charte, concernant les députés, comme l'art. 29, concernant les pairs, étendent, par une même formule, leur double privilége aux poursuites exercées en matière criminelle. Or il est impossible que dans l'un et l'autre cas cette formule n'ait pas le même sens, et nous avons vu qu'elle avait été appliquée aux délits aussi bien qu'aux crimes imputés à des membres de la Chambre des pairs. Il y a d'ailleurs même raison de décider, soit que le fait imputé ait la qualification de délit ou de crime, puisque la prévention peut dans l'un et l'autre cas porter la même atteinte à la considération de l'inculpé, puisque la peine peut être, dans les deux hypothèses, une privation de la liberté. Les contraventions de police, passibles en général d'une simple amende, sont donc exclues de la garantie. Quant à la distinction des faits commis dans l'exercice ou hors l'exercice des fonctions, elle n'est pas applicable aux députés plus qu'aux pairs. La garantie politique qui protége leurs actes enveloppe toute leur vie, parce que la fonction politique, qu'elle a pour objet de couvrir, est un droit personnel dont la poursuite suspendrait l'exercice.

Mais si le député inculpé a été surpris, pendant la session, en flagrant délit, l'autorisation devient inutile: l'art. 44 stipule expressément cette restriction au privilége. Toutefois, il est nécessaire, pour que l'autorisation soit permise, même dans ce cas, que le fait imputé soit passible d'une peine afflictive ou in

famante; les art. 40 et 106 du Code d'instruction criminelle établissent en termes formels cette condition.

$162.

De la garantie applicable aux membres du conseil d'État.

Les membres du conseil d'État trouvent, dans l'art. 70 de la loi du 22 frimaire an VIII, une garantie contre les poursuites dont ils peuvent être l'objet à raison des délits emportant peine afflictive ou infamante qui leur seraient imputés.

La première question qui se présente à ce sujet est celle-ci l'art. 70 porte que: « les délits personnels emportant peine afflictive ou infamante, commis par un membre, soit du Sénat, soit du Tribunat, soit du Corps législatif, soit du conseil d'Etat, seront poursuiviş devant les tribunaux ordinaires, après qu'une délibération du corps auquel le prévenu appartient a autorisé cette pour suite. » Or cet article, successivement abrogé en ce qui concerne les membres du Sénat, du Tribunat et du Corps législatif, a-t-il conservé sa force en ce qui concerne les membres du conseil d'État? La raison de douter est que cette garantie n'avait été établie par la constitution du 22 frimaire an VIII, en faveur des membres du conseil d'État, que parce que ce conseil était, sous cette constitution, un corps politique investi d'attributions constitutionnelles ; il formait avec le sénat, le corps législatif et le tribunat l'un des éléments organiques du gouvernement; il concourait à la confection des lois. C'est à ce titre que la garantie cou

vrait jusqu'aux délits privés de ses membres. Or le conseil d'État a cessé d'être une institution politique; il ne forme plus, sous notre régime actuel, qu'un corps administratif dont les attributions sont circonscrites au domaine exécutif; il concourt, non plus à la formation des lois, mais seulement à leur exécution. Ses membres n'ont donc plus droit à l'extension de la garantie à leurs actes privés, puis que la raison de cette extension n'existe plus. Et puis, quand l'art. 70 a cessé de subsister à l'égard des membres du sénat et du corps législatif, faut-il admettre qu'il ait continué d'être en vigueur à l'égard des membres du conseil d'Etat. Ne se trouve-t-il pas implicitement remplacé dans son entier par les art. 22 et 44 de la Charte, qui ont édifié de nouvelles garanties pour les pairs et les députés seulement? Ces motifs, quoiqu'ils ne reposent que sur de simples inductions, ne sont pas assurément dénués de force. Cependant on doit considérer, d'un autre côté, qu'aucune abrogation explicite n'a frappé l'art. 70 en ce qui concerne les membres du conseil d'Etat; et que l'art. 121 du Code pénal, maintenu par la loi du 28 avril 1832, déclare coupables de forfaiture les magistrats qui auraient décerné des mandats tendant à la poursuite, soit d'un ministre, soit d'un membre de la Chambre des pairs, de la Chambre des députés ou du conseil d'État, sans les autorisations prescrites par les lois de l'État. Or quelles sont ces autorisations? Il est évident, quant aux membres du conseil d'Etat, que ce sont celles qu'avait prévues

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