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minel; cette règle n'avait d'exception qu'en matière de discipline ecclésiastique 2. Mais quelle en était la raison? C'est que l'appel était fondé, dans la plupart des cas, sur l'incompétence de la juridiction ecclésiastique. Le jugement de l'abus était nécessairement préjudiciel, puisqu'il renfermait la question de compétence. Aujourd'hui encore, si le recours avait pour objet quelque acte excessif de la juridiction épiscopale, nous ne doutons pas qu'il ne fût suspensif. Mais quand le fait imputé à un ecclésiastique a le caractère d'un délit, quelle serait la raison, quel serait le but de l'appréciation préjudicielle du conseil d'État? Est-ce que le jugement de l'abus peut avoir quelque influence sur le jugement du délit? Est-ce que l'existence du délit est subordonnée à la constatation de l'abus? Il en est de ce cas comme de celui où, dans notre ancien droit, l'official était saisi d'un fait de discipline: l'appel cessait d'être préjudiciel et ne suspendait plus l'instruction, parce que l'abus ne mettait plus en question la compétence. C'est donc encore à cette distinction, faite par l'art. 36 de l'édit d'avril 1695, qu'il faut se référer.

En définitive, il est de principe que l'action publique et l'action civile doivent être librement exercées par les personnes auxquelles la loi les a attribuées, à moins qu'une disposition formelle n'ait

1 Ord. 1670, tit. VII, art. 9; Jousse, Comm. sur l'édit d'avril 1695, p. 283, et Just, crim., t. I, p. 335.

2 Ed. avril 1695, art. 36.

subordonné leur exercice à quelque condition. C'est ainsi que l'art. 75 de la loi du 22 frimaire an vui a soumis la poursuite des agents du gouvernement, à raison des faits relatifs à leurs fonctions, à l'autorisation administrative. Une pareille condition existet-elle, en ce qui concerne les ministres des cultes, dans l'art. 6 de la loi du 18 germinal an x? Évidemment non. On trouve dans cet article un recours contre les abus du ministère ecclésiastique, un moyen de les faire réformer; on y cherche vainement le pouvoir d'accorder ou de refuser la mise en jugement des ministres inculpés de délits. On y trouve un appel de juridiction à juridiction; on y cherche vainement le droit de suspendre l'action judiciaire et de mettre obstacle à la poursuite des délits. La justice conserve donc son action, car l'interprétation, quels que soient ses droits, n'a pas le pouvoir de transformer une attribution nettement définie par la loi, et de changer une voie de répression contre certains faits en un droit d'autorisation de poursuivre applicable à d'autres faits.

Les conséquences où conduit cette jurisprudence viennent attester d'ailleurs à quel point elle s'est écartée de la loi. Nous avons dit tout à l'heure que la Cour de cassation, ne sachant où poser la limite où doit s'arrêter l'intervention du conseil d'État, avait, d'abord, distingué le cas où la poursuite avait lieu à la requête du ministère public et celui où elle était exercée à la requête de la partie, et n'avait attaché l'intervention qu'à cette seconde hypothèse.

Nous avons ajouté que cette distinction, reconnue inexacte et arbitraire, avait été promptement abandonnée. Cependant, ou il faut soutenir que tous les crimes et délits commis par des ministres des cultes dans l'exercice de leurs fonctions, dès qu'ils constituent sous quelque rapport un excès de ces fonctions, ne peuvent être poursuivis sans autorisation; ou il faut distinguer entre ces crimes et délits et soumettre les uns à l'autorisation, les autres à la poursuite d'office. La première proposition est inadmissible, car comment comprendre que la poursuite de crimes tels, par exemple, que des provocations directes à la révolte ou à l'homicide, des faux ou des attentats aux mœurs, fût subordonnée aux formalités d'un recours préalable? Comment élargir assez les cas d'abus pour y faire entrer des crimes de cette nature? La deuxième proposition est insoluble où placer la limite? En vertu de quelle distinction arbitraire pourrait-on confondre avec les cas d'abus telle classe de délits et en distraire telle autre classe?

La conclusion de cette discussion est que les ministres des cultes, toutes les fois que les faits qui leur sont imputés ont le caractère d'un crime, d'un délit ou d'une contravention, soit qu'ils aient été commis en dehors ou dans l'exercice de leurs fonctions, soit qu'ils constituent ou non un abus de leur ministère, peuvent être traduits directement en justice comme tous les autres citoyens. La loi du 18 germinal an x n'est relative qu'aux excès du pouvoir spirituel, aux

abus de la juridiction religieuse : dès que cet abus revêt le caractère d'un délit, le délit absorbe l'abus et soumet son auteur aux règles communes de la procédure criminelle. L'action publique ne doit rencontrer aucun obstacle à son libre exercice.

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CHAPITRE IV.

des cas ou L'ACTION CIVILE EST SUSPENdue.

§ 168. Objet et division de ce chapitre.

§ 169. L'action civile est suspendue lorsque l'action publique est exercée à raison du même fait.

§ 170. L'action civile est suspendue lorsque le fait dommageable est relatif aux fonctions d'un fonctionnaire public.

$ 168.

Objet et division de ce chapitre.

Nous venons de voir que l'action publique est suspendue dans trois cas: 1° lorsqu'elle a pour objet un délit qui ne peut être poursuivi que sur la plainte des parties lésées; 2° lorsque son exercice est subordonné par la loi au jugement d'une question préjudicielle; 3° enfin, lorsqu'elle s'applique à un délit relatif aux fonctions d'un agent du gouver

nement..

Il est évident que la première de ces trois causes de suspension ne s'applique point à l'action civile. Cette action, indépendante de l'action publique1,

1 Voy. notre tom. II, p. 453.

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