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cun objet, soit parce qu'elle peut nuire à la surveillance qui appartient au ministère public, soit enfin parce qu'il s'agit de faits dont les intérêts privés ne doivent pas arrêter la répression.

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Des formes et des effets de la plainte.

Après avoir posé et défini la règle qui, à l'égard de certains délits, subordonne toute poursuite à la plainte, on doit examiner suivant quel mode cette plainte doit se produire et quels sont ses effets.

Nous n'avons point à nous occuper encore des formes générales des dénonciations et des plaintes, et de l'influence que l'omission de ces formes peut exercer sur la procédure. Nous devons nous borner à rechercher ici si ces règles s'appliquent aux plaintes qui forment la base essentielle de l'action.

Cette application nous paraît nécessaire. Il y a, en effet, pour qu'elle ait lieu, une raison qui n'existe même pas à l'égard des délits qui peuvent être poursuivis d'office. Dans ce dernier cas l'action publique pouvant librement se mouvoir, sans être provoquée par une plainte, il s'ensuit que la validité de la procédure est indépendante des irrégularités de cette plainte; l'action publique couvre ces irrégularités; elle donne à la poursuite une base légitime, quels que soient les vices de l'acte qui l'a provoquée. Lorsque la poursuite, au contraire, puise toute sa validité dans la plainte, il est nécessaire

que cet acte, base unique de l'action, soit régulier; il est nécessaire qu'il constate la volonté formelle du plaignant, et il ne peut en fournir la preuve que par l'accomplissement des formalités exigées par la loi.

Ainsi, aux termes des art. 30, 48, 50 et 63 du C. d'instr. crim., les plaintes ne peuvent être remises qu'au procureur du roi ou à ses auxiliaires et au juge d'instruction. Ainsi, aux termes des art. 31 et 65 du même Code, elles doivent être rédigées par les plaignants, ou par leurs fondés de procuration spéciale, ou par le magistrat qui les reçoit, s'il en est requis. Elles sont signées par ce magistrat et par les plaignants ou leurs fondés de pouvoir à chaque feuillet; et si ceux-ci ne savent pas signer, il en est fait mention.

L'omission de ces formalités entraîne-t-elle la nullité de la procédure? Il nous semble difficile de ne pas admettre l'affirmative. La plainte est le principe de toute la procédure; il faut donc qu'elle soit régulière, il faut que sa régularité soit démontrée. Supposons, en effet, qu'elle laisse planer des doutes sur la volonté du plaignant, qu'elle ne la constate pas d'une manière certaine, comment la procédure pourrait-elle subsister? L'action n'a pas d'autre base, elle émane tout entière de la plainte, elle n'existe que par la volonté du plaignant; elle s'écroule nécessairement si cette volonté n'est pas constatée, s'il n'est pas certain que la poursuite a été provoquée, si la plainte, en un mot, n'existe pas. Or, comment prouver l'existence de la plainte, comment consta

ter la provocation et la ferme volonté du plaignant, si ce n'est par l'accomplissement des formes prescrites par la loi? Est-ce donc que la loi, en traçant ces formes, n'a voulu établir que des règles vaines? Peut-il être permis de les éluder quand leur application est nécessaire? C'est la rédaction de la plainte qui témoigne de la volonté de la partie, c'est son envoi à l'officier compétent qui constitue la provocation à la poursuite criminelle. Ces deux formalités sont donc les deux conditions de la régularité de l'action. L'omission de l'une ou de l'autre doit l'entacher de nullité. Et comment hésiterait-on à entourer cet acte de précautions multipliées quand il s'agit d'une poursuite pour adultère ou pour enlèvement de mineure? Est-ce qu'il n'est pas utile, nécessaire même, que le mari ou les parents de la fille enlevée soient appelés, par les solennités mêmes de la plainte, à envisager la gravité de leur démarche ? Une lettre peut être écrite, un rapport peut être transmis avec une sorte de légèreté; la rédaction d'une plainte et sa transmission à l'officier compétent supposent, au contraire, une détermination arrêtée de provoquer une poursuite. La prudence exige donc, aussi bien que la loi, que les règles qu'elle a tracées soient strictement appliquées.

La jurisprudence a fait une exception en matière de diffamation. Une plainte avait été reçue par un brigadier de gendarmerie pour diffamation, et le procès-verbal dressé à ce sujet avait été transmis au procureur du roi qui fit citer l'inculpé. Le tribunal

correctionnel déclara la poursuite nulle parce que le brigadier n'avait pas qualité pour recevoir la plainte, et que par conséquent il se trouvait irrégulièrement saisi. Le tribunal ne déniait, du reste, ni le fait de la plainte ni l'intention du plaignant. La Cour de cassation a prononcé l'annulation de ce jugement: « Attendu qu'en ne permettant la poursuite des délits de diffamation ou d'injure contre tout dépositaire ou agent de la force publique, ou contre tout particulier, que sur la plainte de la partie qui se prétendra lésée, l'art. 5 de la loi du 26 mai 1819 n'a soumis cette plainte à aucune forme particulière; qu'il ne s'est pas référé non plus sur ce point aux art. 31 et 65 du C. d'instr. crim. ; qu'il appartient done aux magistrats saisis de la poursuite de juger si l'action du ministère public a été suffisamment provoquée par la personne diffamée ou injuriée; d'où il suit qu'en ne considérant pas le procès-verbal en question et l'envoi qui en a été fait au procureur du roi comme une plainte, en déclarant la poursuite faite à la requête de ce magistrat nulle et irrégulière, le jugement attaqué a faussement interprété l'art. 5 de la loi du 26 mai 1819, faussement appliqué les art. 65 et 31 du C. d'instr. crim., et commis un excès de pouvoir en supposant dans la législation de la matière une disposition qui n'y existe pas1. »

Cette décision est-elle fondée? Dès que la loi spéciale se tait sur la forme des plaintes, ne doit-on pas se référer au droit commun? dès qu'aucune déroga

'Arr. Cass., 23 fév. 1832 (Bull., no 75); 29 mai 1845 (Bull., no 180).

tion n'existe, la règle générale ne doit-elle pas être appliquée? L'art. 5 de la loi du 26 mai 1819 se borne à déclarer que la poursuite n'aura lieu que sur la plainte de la partie qui se prétendra lésée, et l'art. 31 ajoute: «Les dispositions du Code d'instruction criminelle auxquelles il n'est pas dérogé par la présente loi continueront d'être exécutées. » Ainsi, d'une part, la loi spéciale, en prescrivant la plainte, n'en règle pas la forme, et, d'une autre part, elle renvoie au Code pour tout ce qu'elle ne règle pas. Ne résultet-il pas évidemment de cette double disposition qu'elle se réfère sur ce point au droit commun? N'est-il pas d'ailleurs nécessaire, aussi bien en matière de diffamation qu'en matière de rapt et d'adultère, que la plainte, d'où peuvent sortir des inconvénients pour le plaignant lui-même, soit mùrement réfléchie? et n'est-ce pas seulement dans l'accomplissement des formes légales qu'on peut trouver la preuve de cette maturité? Il semble enfin que la Cour de cassation n'a pas maintenu sans hésitation l'exception qu'elle avait posée; car, dans une espèce où elle a jugé avec raison qu'il ne suffisait pas que la citation se référât à la plainte en diffamation déposée au parquet, elle s'est appuyée, entre autres motifs, sur ce que « le dépôt préalable de cette plainte au parquet n'avait pas été constaté conformément aux art. 34 et 65 du Code d'instr. criminelle 1. »

Au surplus, cette jurisprudence elle-même ne fait Arr. Cass., 21 août 1835 (Bull., no 320).

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