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septembre 1807. Il est évident que le jugement, soit de condamnation, soit d'acquittement, intervenu sur l'un ou l'autre de ces délits, doit avoir l'autorité de la chose jugée sur tous les faits commis antérieurement, lors même que quelques-uns de ces faits n'auraient pas été connus lors de la première poursuite. En effet, chacun de ces faits n'est qu'un élément du délit qui a été jugé, un moyen, une preuve de la première prévention. Reprendre ces faits, bien que non compris dans le jugement, ce serait intenter une nouvelle poursuite à raison du même délit 1. La Cour de cassation avait jugé, contrairement à cette doctrine, que des faits usuraires antérieurs à une première condamnation pour délit d'habitude d'usure, avaient pu faire la base d'une nouvelle poursuite, parce qu'ils n'étaient pas connus lors de la première et lui étaient étrangers 2. Mais, par un arrêt postérieur, revenant sur cette jurisprudence évidemment erronée, elle a déclaré: qu'une condamnation pour délit d'habitude d'usure réprime nécessairement tous les faits antérieurs qui pouvaient constituer cette ha bitude, et dès lors ceux même qui n'auraient pas été compris distinctement dans le jugement qui l'a punie 3. »

La troisième exception a pour objet les faits qui, quoique distincts en eux-mêmes, sont indivisibles. Les faits sont indivisibles, dans le sens de notre règle, lorsque la criminalité de l'un est nécessairement

1 Conf. Jousse, t. III, p. 20; Mangin, t. II, p. 352.

2 Arr. Cass. 5 août 1826 (Bull., no 152).

3 Arr. Cass. 25 août 1836 (Bull., no 288).

subordonnée à l'existence de l'autre. Prenons quelques exemples. Un huissier était prévenu d'avoir commis, dans un procès-verbal de vente mobilière, un faux à l'aide duquel il se serait rendu coupable de concussion. Mis en jugement pour crime de faux, il fut acquitté. Pouvait-il être poursuivi ultérieurement pour concussion? La Cour de cassation a répondu négativement : « Attendu que l'acquittement sur le faux portait nécessairement sur la concussion dont il aurait pu être le moyen; que cette application était d'autant plus évidente et nécessaire dans l'espèce, que la Cour spéciale avait déclaré que l'accusé, dans le faux dont elle le déclarait convaincu, avait agi sans dessein de crime et plutôt par erreur ou par ignorance que par malice; que l'accusé ainsi acquitté ne pouvait plus être poursuivi sur les mêmes faits; qu'une qualification différente donnée à ces faits ne pouvait justifier les nouvelles poursuites 1. Dans une autre espèce, un individu était prévenu d'escroquerie commise à l'aide d'un faux certificat, Acquitté du délit d'escroquerie, une nouvelle poursuite fut exercée à raison du faux. Mais le tribunal correctionnel se déclara incompétent : « Attendu que le déTit qui fait l'objet de la prévention est matériellement le même que celui pour lequel le prévenu a été traduit en police correctionnelle. » Et la Cour de cassation a rejeté le pourvoi: « Attendu qu'il est de maxime certaine que l'action publique ne peut être poursuivie devant deux tribunaux pour le même fait contre le mêine individu, d'après la règle non bis in ↑ Arr. Cass. 23 frimaire an xIII (Bull., no 43.

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idem 1. » Ainsi, dans la première espèce, la crimina lité de la concussion était subordonnée à celle du faux, puisque le faux avait été l'unique moyen employé pour accomplir cette concussion ; dans la deuxième, la criminalité du faux dépendait également de l'existence de l'escroquerie; puisque, s'il n'y avait pas d'escroquerie, le faux, dépouillé de toute intention coupable, n'était plus punissable. Il est donc vrai que ces faits, réellement distincts, quoi, que les arrêts les aient confondus dans un mème fait, étaient indivisibles, en ce sens que l'appréciation de l'un influait nécessairement sur l'autre, et que, même séparés dans l'instruction, ils ne pouvaient l'être dans le jugement. Nous pourrions multiplier ces exemples. Le remplacement frauduleux en matière de recrutement, commis à l'aide de pièces fausses, délit prévu par l'art. 43 de la loi du 21 mars 1832, cesse d'être un délit si le faux est déclaré ne ́pas exister. Le délit de recclé d'un jeune soldat insoumis, prévu par l'art. 40 de la même loi, est complétement effacé si l'insoumis, traduit devant un conseil de guerre, est acquitté. Les blessures et les coups volontaires dont l'art. 313 du C. p. fait remonter la responsabilité aux chefs et instigateurs de la réunion séditieuse dans laquelle ils ont été portés, ne leur sont plus imputables, s'il a été jugé, au profit de ces chefs et instigateurs, qu'il n'y a pas eu réunion séditieuse avec rébellion ou pillage. Le crime de complot contre la sûreté de l'État, qui ne serait fondé que sur un commencement d'exécution résultant Arr. Cass. 10 juillet 1806 (Dev., 29: 205).

d'un fait d'embauchage, ne pourrait plus être poursuivi si le crime d'embauchage, poursuivi séparément, a été acquitté. On voit, dans toutes ces hypothèses, deux faits qui sont tellement liés l'un à l'autre qu'il est impossible que l'un conserve son caractère de délit s'il est effacé dans l'autre. Dès lors, quand l'un a été couvert par un acquittement, cet acquittement s'étend nécessairement à l'autre; l'exception de la chose jugée s'applique à la fois aux deux faits, où n'existe pas.

Mais, en dehors de ces trois exceptions, la règle qui veut que les faits distincts, lors même qu'ils sont liés les uns aux autres par une relation quelconque, 'puissent être poursuivis, soit ensemble, soit séparément, mais de manière que le jugement de l'un n'apporte aucun préjudice au jugement des autres, cette règle doit être généralement appliquée. On doit remarquer, en effet, que les trois exceptions, que nous n'avons divisées que pour en rendre la démonstration plus claire, se résument, en définitive, en une seule, car elles n'ont qu'un même motif: s'il n'y a pas lieu à une deuxième poursuite, lorsque le deuxième fait n'est qu'une circonstance modificative du premier, lorsqu'il n'en est que la reproduction simultanée, lorsque l'un et l'autre sont indivisibles, c'est que, dans ces trois hypothèses, il n'y a qu'une seule et même action, c'est que les différents faits se confondent dans un seul fait, c'est qu'il est impossible de les séparer pour les apprécier. C'est cette impossibilité d'une séparation matérielle ou morale qui fait toute l'exception. Dès lors, lorsqu'elle n'existe

pas, la règle doit être la faculté de poursuivre, même l'un après l'autre, les faits successifs; car si la chose jugée s'étend à toutes les circonstances d'une même action, elle ne s'étend pas à des faits qui constituent une action distincte.

La Cour de cassation a dévié de cette doctrine dans une espèce où elle a étendu l'influence de la chose jugée à un fait nouveau, identique avec le premier, mais postérieur au jugement. Un étranger, poursuivi pour exercice illégal de la médecine, avait produit une lettre ministérielle qui l'autorisait à exercer en France et avait été acquitté. Poursuivi de nouveau, à raison de faits ultérieurs d'exercice, il opposa l'exception de la chose jugée, qui fut accueillie. Le pour voi formé contre cet arrêt a été rejeté : «Attendu que l'arrêt du 24 décembre 1836, par lequel la Cour de Grenoble a acquitté Gavarini d'exercice illégal de la médecine, est fondé sur ce que la lettre du minis tre de l'instruction publique du 27 juillet 1832 contient autorisation en faveur dudit Gavarini; qu'en cet état la nouvelle poursuite intentée contre lui pour exercice illégal de la médecine pendant les années 1837, 1838 et 1839, a pu être écartée par l'autorité de la chose jugée, et qu'en le décidant ainsi l'arrêt attaqué a fait une juste application de l'art. 3604. »‹ll est évident que cette décision a fait, au contraire, une application erronée de l'art. 360. Il ne s'agissait pas, en effet, du même fait, mais d'un fait nouveau, postés rieur au premier jugement et sur lequel ce jugement n'avait aucune autorité. A la vérité, ce fait était identi↑ Arr. Cass. 18 avril 1839 (Dev., 39, 1, 890)

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