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que confirmer implicitement, en dehors de l'exception qu'elle établit, l'application des règles relatives› à la forme des plaintes. Elle ne fonde, en effet, cette exception que sur le caractère spécial de la loi du 26 mai 1819 et sur son silence sur ce point. Il faut donc conclure que, ce seul cas excepté, les règles prescrites par le Code doivent être appliquées.

C'est d'après cette interprétation qu'il a été reconnu que des présomptions de plainte, quelque graves qu'elles soient, ne peuvent suppléer à une plainte régulière. Dans un procès en injures, l'audition des témoins ayant fait connaître que le plaignant avait lui-même injurié le prévenu, le ministère public se crut autorisé, quoique celui-ci n'eût porté aucune plainte, à prendre des réquisitions contre le plaignant. Ces conclusions furent déclarées mal fondées, et la Cour de cassation a rejeté le pourvoi du ministère public : « Attendu que le tribunal correctionnel n'était saisi que d'une plainte en injures portée par Guichard contre la femme Manget; que s'il est résulté de l'audition des témoins que Guichard avait lui-même injurié la femme Manget, cette circonstance ne pouvait autoriser le ministère public à prendre à l'audience des réquisitions contre lui, et à le constituer ainsi en état de prévention; que le tribunal ne pouvait connaître du délit d'injures dont Guichard se serait rendu coupable à l'égard de la femme Manget qu'autant que celle-ci aurait rendu plainte; que cette femme ne se plaignait pas 1. .

4 Arr. Cass., 11 octobre 1827 (Bull., no 265).

C'est d'après la même interprétation qu'il faut décider que l'action civile formée par la partie lésée devant la juridiction civile n'équivaut pas à une plainte, et que, par conséquent, le ministère public n'est pas recevable, en se fondant sur cette demande, å intenter son action. La demande civile diffère de la plainte en ce que la première n'a pour objet que le paiement du dommage causé, tandis que l'autre a pour objet la provocation formelle de l'action publique. L'une poursuit la réparation civile, l'autre la réparation pénale du délit. Or, de même que la plainte, isolée de toutes conclusions civiles, ne provoque aucune réparation pécuniaire, de même l'action civile, lorsqu'elle se sépare de la plainte, lorsqu'elle est portée devant les juges civils, ne provoque aucune poursuite criminelle. Ne serait-il pas étrange de conclure de ce que la partie lésée s'est adressée aux juges civils qu'elle veut saisir les juges criminels, de ce qu'elle exerce séparément son action privée qu'elle veut mettre en mouvement l'action publique? Comment, lorsque la volonté du plaignant est le fondement de cette action, mettre une induction aussi fragile à la place de cette volonté ? comment, lorsqu'une plainte est la source nécessaire de la poursuite, substituer à cette plainte une présomption tirée d'un procès civil? Il ne faut pas perdre de vue, d'ailleurs, que la partie lésée peut avoir un grave intérêt à séparer les deux actions, à poursuivre la réparation de son dommage en évitant la publicité et l'éclat d'une procédure criminelle. Est-ce que le

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mari qui forme contre sa femme une action en séparation de corps pour cause d'adultère ne s'abstient pas à dessein de la poursuite du délit? Est-ce que la personne diffamée, qui porte sa demande devant la juridiction civile, n'a pas intérêt à fuir le débat de la juridiction criminelle? Comment donc admettre que cette action civile soit équivalente à la plainte, qu'elle la remplace et qu'elle manifeste comme celleci la volonté de poursuivre? Nous insistons sur ce point parce que M. Mangin a professé une doctrine entièrement opposée suivant ce criminaliste, le ministère public devient recevable à intenter son action aussitôt que la partie lésée a saisi le tribunał civil, et il en donne pour motifs que si le ministère public est obligé de garder le silence, ce n'est qu'autant que la partie lésée n'a pas réclamé, et que sa réclamation ne peut être autre chose que l'action civile elle-même puisqu'elle n'exerce pas et qu'elle n'a pas à sa disposition l'action publique. On doit répondre que la partie lésée, pour faire valoir ses droits, a deux voies distinctes, la voie civile et la voie criminelle, et qu'elle peut opter entre ces deux juridictions. Sans doute dans l'un. et l'autre cas elle réclame, mais sa réclamation, qui n'a pas le même but, n'a pas non plus les mêmes effets. Si elle prend la voie civile, il est clair par cela même que la partie ne provoque pas l'action publique, qu'elle ne porte pas plainte, car la plainte n'est qu'une provocation à l'action publique; elle limite sa réclamation 1 Act. publ., t. I, p. 275.

à la réparation civile, elle la circonscrit à ce seul résultat. On objecte qu'elle n'a qu'une seule action à sa disposition et que, dès qu'elle l'exerce, elle épuise son droit d'intervention; que par conséquent l'autorité judiciaire, étant saisie, peut librement apprécier le fait. On confond ici encore deux droits distincts, le droit de réclamer des dommages-intérêts et le droit de porter plainte. La partie lésée n'exerce point l'action publique, mais elle peut la mettre en mouvement par sa plainte; elle peut donc ou n'exercer que son action civile en saisissant le tribunal civil, ou provoquer l'action publique à se joindre à l'action civile en portant sa plainte au juge d'instruction 1.

Il est évident, au surplus, que la plainte peut être remplacée par la citation directe devant le tribunal correctionnel : la partie lésée saisit à la fois le tribunal par cette citation de l'action civile et de l'action publique; c'est cet acte qui constitue alors réellement la plainte. La Cour de cassation a appliqué cette règle à l'action en diffamation en déclarant : << que la loi, en prohibant au ministère public la poursuite d'office de la diffamation envers les particuliers, et en n'autorisant sa poursuite que sur la plainte du particulier qui se croit lésé, n'a pas obligé

1 Voy. dans ce sens Carnot, Cod. pén., t. II, p. 112; Chassan, 2e éd., t. II, p. 51; Lesellyer, t. II, p. 530; De Grattier, t. I, p. 346. -M Mangin a émis, dans son Traité de l'instruction écrite, t. 1, p. 91, une opinion qui semble contraire à celle qu'il a énoncée dans son Traité de l'action publique.

celui-ci à porter plainte et ne lui a pas interdit de citer directement le prévenu devant le tribunal correctionnel; que le droit de citer directement résulte des principes généraux et des dispositions spéciales des art. 12 et 13 de la loi du 26 mai 18191. »

Quand la plainte est formée, quels sont ses effets? L'action publique est-elle nécessairement mise en mouvement? Le ministère public est-il tenu de poursuivre? La plainte le place précisément dans la situation où il se trouve vis-à-vis des autres défits; il lui était interdit de poursuivre, la plainte lève l'interdiction; il était lié par le silence de la partie, ce lien est brisé. Il reprend sa liberté d'action, mais il la reprend tout entière, avec la faculté d'agir ou ne pas agir, suivant l'appréciation qu'il fait du délit qui lui est dénoncé. Ainsi, s'il juge que le fait dénoncé ne constitue ni un adultère, ni un rapt, ni une diffamation, il n'est pas tenu de donner suite à la plainte. Toutefois il importe de remarquer que, dans les délits dont la poursuite est subordonnée à l'intervention des parties lésées, l'intérêt de ces parties doit peser d'un poids plus grand peut-être sur les déterminations du ministère public; la loi, en subordonnant la poursuite à la plainte, a évidemment voulu que, dans les affaires de cette nature, l'intérêt privé fût l'élément principal de la poursuite; dès lors, lorsque cet intérêt réclame, le ministère

Arr. Cass., 25 février 1930 (Journ. du pal., nouv. édit., t. XXIII, p. 263).

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