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Enfin c'est au principe même de la chose jugée que se rattache notre interprétation. Est-ce que, quand un accusé a subi la solennelle épreuve d'un débat devant la Cour d'assises, il n'est pas étrange qu'il puisse être repris, à raison du même fait, devant une autre juridiction? Cette seconde poursuite ne semble-t-elle pas une sorte de protestation contre la décision du jury? n'est-ce pas indirectement annuler ou restreindre les effets de son verdict? Et puis, est-il convenable, est-il régulier que le ministère public puisse poursuivre l'accusé de juridiction en juridiction et le tenir sous le coup d'une incessante menace en présentant le même fait, tantôt comme un crime, tantôt comme un delit, tantôt comme une contravention? A la vérité, devant la Cour d'assises le même fait peut être soumis aux jurés avec le double caractère d'un crime et d'un délit. Mais cette double appréciation est portée devant les mêmes juges; ils peuvent librement rechercher le caractère propre du fait. Il n'est plus à craindre qu'il y ait quelque contradiction entre la déclaration qui dénie le crime et celle qui affirme le délit; car, en présence l'une de l'autre, ces deux déclarations s'éclairent mutuellement et s'expliquent l'une par l'autre. Les jurés sont ainsi provoqués à dire toute leur pensée, à considérer le fait sous toutes ses faces, et dans cette double appréciation, il n'y a qu'un seul jugement. Telle était la décision de la loi romaine d'un seul fait plusieurs incriminations pouvaient sortir; mais ces accusations diverses devaient être réunies devant le même juge: Judex autem super

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utroque crimine audiens jam accommodabit. Nec enim licebit ei separatione de uno crimine sententiam proferre,» priusquam plenissima examinatio super altero quoque crimine fiat 1. Et la raison de cette réunion était que ces crimes, nés du même fait, étaient par cela même indivisibles; l'action qui les avait produits ne pou»! vait être jugée qu'autant que tous ses effets fussent à la fois sous les yeux du juge; nulli præbeatur au dientia qui causæ continentiam dividit..

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Il ne faut pas croire, au surplus, que, par l'effet de cette interprétation, la justice soit désarmée. Si le fait, objet de l'accusation, peut motiver plusieurs incriminations, et qu'il y ait lieu de penser que l'une de ces incriminations subsidiaires soit fondée, le président a le devoir de la soumettre aux jurés toute la différence serait donc que ces incriminations diverses d'un même acte seraient portées à la fois devant le même juge au lieu d'être successivement portées devant des juges différents. Si la deuxième incrimination a pour objet un autre fait, la poursuite nouvelle, à raison de ce nouveau fait, ne rencontrera, dans tous les cas, aucun obstacle. C'est ce qui a déjà été établi et c'est ce que la Cour de cassation a reconnu en déclarant, que, « d'après la combinaison des art. 337, 338 et 361, s'il résulte des débats quelque circonstance qui aggrave le erime imputé à l'accusé, ou quelque fait qui n'en soit qu'une modification, le président est autorisé à soumettre au jury ce point nouveau dans une question

L. 9 Cod., De accusationibus.

2 L. 10 Cod., De judiciis.

ajoutée à celles qui découlent de l'acte d'accusation; mais que, lorsque le fait qui résulte des débats est, au contraire, un fait principal et séparé, constituant un crime distinct, on ne peut l'ajouter à l'accusation primitive; que ce cas est réglé par l'art. 361, d'après lequel le président doit ordonner de nouvelles poursuites 1. » C'est d'après cette distinction qu'il a été décidé que la révélation dans une accusation d'infanticide d'un fait de suppression d'enfant 2, dans une accusation de meurtre d'un fait de port d'armes de guerre, dans une accusation de fabrication d'un billet faux d'un fait d'escroquerie, devait être considérée comme ayant pour objet un autrè fait que le fait de l'accusation, passible par conséquent d'une poursuite ultérieure.

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On doit donc conclure que l'exception de la chose jugée s'oppose à ce que le même fait donne licu, non pas à deux accusations simultanées, mais à deux actions et deux poursuites distinctes : l'accusation peut multiplier ses chefs, pourvu qu'ils soient contenus dans la même action, compris dans la même poursuite, portés devant le même juge. Séparés, au contraire, l'acquittement prononcé sur le premier absorbe les suivants, car l'accusation restreinte à un chef suppose les autres non existants; car la déclaration de non-culpabilité du jury couvre le fait tout entier. Nous avons démontré que cette interprêta

1 Arr. Cass. 19 avril 1839 (Bull., no 131).

2 Même arrêt.

3 Arr. Cass. 14 mars 1844 (Bull., no 99).

Arr. Cass. 1er février 1844 (Bull., no 27).

tion s'appuie à la fois sur les textes de la loi, sur la jurisprudence qui, sous la législation antérieure, avait fixé le sens des mêmes textes, sur la règle qui déclare inviolables les verdicts du jury, sur la raison même qui a fondé l'exception de la chose jugée, enfin sur la faveur qui est due aux droits de la dé fense lorsque les droits de la justice n'en ressentent aucune atteinte. Nous devons ajouter que déjà plusieurs commentateurs et de nombreux arrêts de cours royales, en général, très fortement motivés 2, ont soutenu la même opinion.

Il faut nous résumer. Nous avons vu qué l'exception de la chose jugée ne peut exister que par le concours de trois éléments. Il faut, 1° qu'il y ait un jugement; 2° que ce jugement soit définitif; 3° que le fait qui donne lieu à une deuxième poursuite soit le même que le fait qui a motivé la première. Quand ces trois conditions sont réunies, l'exception existe et elle a pour effet d'anéantir l'action. 7

Il nous reste à rechercher dans quels cas cette exception peut être opposée, ou, en d'autres termes, quels sont les actes qui peuvent la produire.

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M. Carnot, De l'instr. crim., t. II, sur l'art. 360; M. Achille Morin, Journ. du droit crim., t. X, p. 142.

* Arr. Riom, 2 janv. 1829; Colmar, 5 janv. 1834; Grenoble, 31 juill. 1833; Poitiers, 28 mars 1840 (Dalk, 29, 2, 85; 31, 2, 39, et 41, 2, 50, etc.).

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QUELS ACTES PRÚVent produire L'exception de la chose
JUGÉE.

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§ 481. De l'effet des ordonnances des Chambres du conseil et des arrêts des Chambres d'accusation.

§ 182. De l'effet des arrêts et jugements des cours et tribunaux en matière criminelle, correctionnelle et de police.

§ 183. De l'effet des annulations prononcées en vertu de l'art. 441 du CJ d'instr. criminelle.

§ 184. De l'effet des jugements rendus en pays étranger.

$ 185. De l'effet des jugement rendus par les tribunaux civils.

$181.

De l'effet des ordonnances des Chambres du conseil et des arrêts des Chambres d'accusation sur l'action publique.

5 izsAux termes de l'art. 246 du C. d'instr. crim., le prévenu, à l'égard duquel la Chambre d'accusation a décidé qu'il n'y a pas lieu à renvoi devant la Cour d'assises, ne peut plus y être traduit à raison du même fait, à moins qu'il ne survienne de nouvelles charges.

Il résulte clairement de ce texte que les arrêts qui déclarent n'y avoir lieu de renvoyer le prévenu devant la Cour d'assises, ont l'autorité de la chose jugée, et qu'ils ne la perdent que par la découverte de nouvelles charges.

Faut-il limiter cet article au cas qu'il a spécialement prévu? Sa disposition s'étend-elle aux arrêts rendus en matière correctionnelle ou de simple po

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