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public ne doit pas, en général, hésiter à s'associer à sa réclamation.

Il faut ajouter cependant que dans tous les cas la partie lésée, si le ministère public refuse de donner suite à la plainte, a le droit, non pas d'exercer ellemême l'action publique, mais de la mettre en mouvement. Elle la met, en effet, nécessairement en mouvement, soit en citant directement le prévenu devant le tribunal correctionnel, conformément à l'art. 182 du C. d'instr. crim., soit en se constituant partie civile devant le juge d'instruction, conformément à l'art. 63 du même Code. Nous avons établi précédemment cette double faculté des parties lésées 1.

Mais lorsque le ministère public, régulièrement provoqué par la plainte, a introduit l'action publique, demeure-t-il le maître de cette action, en ce sens qu'il n'ait plus besoin pour l'exercer du concours du plaignant? En thèse générale, le ministère public, dès que la plainte a été déposée entre ses mains, reprend le libre et entier exercice de son action. La partie lésée a le droit de ne pas porter plainte, mais c'est là tout son droit; elle peut suspendre et empêcher la formation de la poursuite, mais c'est là tout ce qu'elle peut. La loi ne lui a pas donné d'autre privilége. Elle épuise son pouvoir en formulant sa plainte; elle n'exerce plus aucune influence au delà. Le premier acte de la poursuite ne peut s'accomplir que sous une impulsion, mais cet acte entraîne après 1 Voy. notre tome 11, p. 263 et suiv.

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lui tous les actes de la procédure sans qu'il soit besoin d'une impulsion nouvelle. Le ministère public peut agir sans aucun concours, sans aucune assistance. I importe peu que le plaignant, après avoir dénoncé le délit, ne s'associe pas à la poursuite, il importe peu qu'il déserte la cause et demeure à l'écart l'action qu'il a provoquée ne lui appartient pas; le ministère public, dès qu'il en est saisi, l'exerce seul et ne doit consulter que les intérêts de l'ordre qui lui sont confiés.

Cette règle générale doit servir à résoudre plusieurs difficultés. La question s'est élevée d'abord de savoir si, lorsqu'un premier jugement est intervenu sur une plainte et que le plaignant garde le silence, le ministère public peut interjeter appel. La Cour de cassation a jugé, dans une poursuite en diffamation: « que si, d'après l'art. 5 de la loi du 26 mai 1819, la poursuite sur délits de diffamation ou d'injures envers des particuliers ne peut avoir lieu que sur la plainte de la partie qui se prétend lésée, cette disposition, dérogatoire au droit commun qui attribue au ministère public le droit de poursuivre tout délit directement et d'office, ne peut être étendue au delà de ses expressions; qu'elle interdit seulement au ministère public d'exercer son action avant qu'il ait reçu l'impulsion par une plainte de la partie lésée, mais que, lorsque cette plainte a été portée, il rentre dans la plénitude de ses attributions; que son action est dégagée de toute entrave, et qu'il peut appeler du jugement qui y a statué, comme faire tous actes

de poursuites autorisés par la loi 1. » Dans une seconde espèce, où l'on tirait un moyen de cassation de ce que le ministère public avait relevé appel du jugement de première instance, sans une nouvelle plainte de la part de la partie offensée, la même Cour a rejeté le pourvoi : « Attendu que le ministère public, ayant compétemment introduit son action contre le prévenu, avait, aux termes des art. 1 et 4 du C. d'instr. crim., droit de poursuivre l'action publique en appel et jusqu'à jugement définitif?. » Ces deux solutions sont parfaitement exactes. L'action publique, une fois mise en mouvement, ne dépend sous aucun rapport de la présence ou de l'appui de la partie qui a provoqué son exercice ; elle n'est point l'exécution d'un mandat qui aurait besoin d'être renouvelé à chaque acte nouveau; elle puise en ellemême le droit en vertu duquel elle procède.

Une autre difficulté se présente lorsque la partie lésée déclare se désister de sa plainte ou la retirer, soit que ce désistement soit le résultat d'une transaction ou d'une simple renonciation à son action. Quel doit en être l'effet sur l'action publique? La Cour de cassation a déclaré : « que si certains délits ou contraventions ne peuvent être poursuivis d'office par le ministère public lorsqu'il n'y a ni poursuites ni plaintes du particulier lésé, il ne s'ensuit pas que l'action du ministère public soit subordonnée aux caprices ou à la volonté de la partie civile ; que l'ac

Arr. Cass. 13 avril 1820 (Journ du pal., t. XV, p. 916).

* Arr. Cass. 5 juin 1845 (Bull., no 190).

tion publique, une fois mise en mouvement par les poursuites ou par la plainte de la partie civile, ne peut être arrêtée ou paralysée par le fait de cette partie; que cette action rentre alors dans l'application de l'art. 4 du C. d'instr. crim., et que, nonobstant toute transaction ou renonciation de la partie civile à son action particulière, le ministère public doit remplir le devoir de ses attributions et continuer les poursuites pour faire prononcer les peines ordonnées par la loi1. » Cette décision est, comme celle qui la précède, incontestable. L'action publique, lorsqu'elle s'applique aux délits qui ne peuvent être poursuivis que sur la plainte des parties lésées, n'est point soumise à des règles particulières ; l'exception qui la suspendait cesse au moment où elle est mise en mouvement, et dès ce moment aussi elle n'est régie que par les règles du droit commun. Il est done certain qu'elle ne peut être ni arrêtée ni suspendue par le désistement de la partie lésée 2.

Quelques criminalistes ont voulu distinguer entre le cas où le désistement a précédé la mise en mouvement de l'action publique et celui où il l'a seule ment suivie; ce n'est que dans ce dernier cas qu'il leur paraît dénué d'effet; mais lorsque le ministère public n'a encore procédé à aucun acte, lorsqu'il n'a pas engagé l'action, ils pensent que la partie est recevable à retirer sa plainte 3. Nous admettrons faci

1 Arr. Cass., 23 janv. 1813 (Journ. du pal., t. XI, p. 70); 31 juillet 1830 (ibid., t. XXIII, p. XXIII, p. 734).

2 Voy. en sens contraire Carnot, Instr. crim., t. I, p. 300.

3 Rauter, Droit crim, p. 297; Chassan, II, 65.

lement que le ministère public ne doit point, en général, s'opposer à ce que la plainte soit retirée lorsqu'il n'a fait encore aucun acte de la poursuite; car il convient, dans une matière où la loi a voulu que l'intérêt privé pût prévaloir sur l'intérêt public, de favoriser, autant que cela est possible, les vœux et les exigences diverses de cet intérêt; annuler la plainte dans ce cas, c'est, pourvu que le fait dénoncé n'intéresse pas essentiellement l'ordre, se conformer à l'esprit même de la règle exceptionnelle. Mais il importe de remarquer que cette adhésion du ministère public n'est que facultative et qu'elle ne peut être exigée d'une manière absoluc. En effet, pour soutenir que la partie a le droit de retirer sa plainte jusqu'au premier acte de la poursuite, il faudrait nécessairement admettre, ou que le droit du ministère public n'existait pas avant ce premier acte, ou qu'elle a pu en arrêter l'exercice. Or, il est certain que le droit du ministère public, enchaîné jusqu'au dépôt de la plainte, a repris sa liberté d'action au moment où cette plainte a été déposée. Car ce n'est pas dans l'acte par lequel il l'exerce qu'il prend sa source; cet acte ne fait que le manifester; il existait antérieurement, il existait depuis la remise de la plainte au parquet. Toute la question est donc de savoir si ce droit acquis au ministère public peut être paralysé par la volonté de la partie; or, l'art. 4 du C. d'instr. crim. répond en termes précis que la renonciation à l'action civile ne peut ni arrêter ni suspendre l'exercice de l'action publique; et quel

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