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tions à raison de certains crimes, délits ou contraventions.

Il suit de là qu'il y a deux sortes d'amnisties: l'une' qui intervient avant jugement, qui fait cesser les poursuites et qui paralyse l'action publique ; l'autre qui n'intervient qu'après jugement, qui n'atteint que les peines et qui n'est qu'une sorte de grâce collective.

Nous ne nous occupons ici que de la première. Nous retrouverons l'autre, ainsi que la grâce, quand nous examinerons l'exécution des jugements.

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Conditions de régularité des amnistics.

La question de savoir si l'amnistie doit émaner du pouvoir législatif ou du pouvoir exécutif) si elle est du domaine de la loi ou si elle se confond avec le droit dé grâce et appartient au prince seul, est un des points les plus graves et les plus controversés de notre droit public.

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A l'appui de l'opinion qui considère l'amnistie comme un démembrement du droit de grâce et la confore exclusivement au pouvoir royal, on invoque un usage, sinon absolu, du moins long et continu; on cite les ordonnances qui ont incessamment publié des amnisties, et particulièrement depuis la Charte de 1830, les ordonnances du 30 août 1830 et du 8 mai 1837; on en conclut qu'en fait le droit d'amnistie a sans cesse été exercé par le pouvoir exécutif, et on remarque qu'aucune accusation d'excès de pouvoir

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n'a suivi ces actes. Il est vrai que la législation ne lui attribue que le droit de grâce; mais qu'est ce que F'amnistie, sinon une grâce anticipée? Est-ce qu'elle n'est pas une application du même principe ? est-ce qu'elle ne dérive pas de la même source? Dictée par la clémence, réalisant une mission de paix et de concorde, comment n'appartiendrait-elle pas au roi à qui la loi constitutionnelle a réservé la haute prérogative de faire grâce? Et puis, est-il possible de soumettre une amnistie au contrôle des pouvoirs politiques? Le but de l'amnistie, qui est de rendre le calme aux esprits agités en jetant un voile sur les fautes et les erreurs, serait-il atteint si elle devait être l'objet d'une discussion longue, passionnée, personnelle peut-être? Si c'est aux majorités parlementaires, a dit M. Bérenger, que vous la contraignez de demander des mesures de clémence, vous les obtiendrez rarement; car ces majorités, le plus souvent liées à des systèmes, irritées des contradictions qu'elles éprouvent, blessées dans leur amour propre, et fières de leur victoire, sont ordinairement avares d'indulgence. Tandis que le monarque, juge impassible des événements, lui dans l'âme duquebil ne peut entrer mi ressentiment ni haine; lui, intéressé plus que personne à la pacification du pays, est seul placé assez laut pour servir de modérateur entre les partis et pour les forcer au repos 4 Ce système tendrait done à priver le gouvernement, dans des temps difficiles, d'un moyen puissant de

Séance de la Chambre des députés du 30 déc. 183% ( Moniteur du 31).

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rétablir l'ordre. Ce moyen, devenu presque impos sible à raison des périls de la discussion, devien drait à la fin à peu près inefficace, s'il fallait traverser tant de formes pour l'accomplir; car c'est l'opportunité de Famnistie qui fait sa force; c'est sa soudaineté qui désarme et qui fléchit : publiquement débattue, elle-perd son prestige; trop longtemps attendue, elle n'a plus d'effett joo, of all ab

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On répond, dans une opinion opposée, que les précédents qui ont attribué au pouvoir exécutif le droit d'amnistie, ne sont ni assez nombreux ni assez constants pour qu'on puisse y puiser un droit; que trois amnisties ont été accordées par des lois, celles des 14 sept. 1791, 4 brumaire an iy et 12 janvier -4816; que l'acte additionnel de 1815 avait cru nécessaire de déclarer l'amnistie, à côté du droit de grâce, une prérogative constitutionnelle; qu'il ne résulte donc pas des précédents un principe qu'on: ne puisse contester. Et comment supposer un prin-cipe qui donne à l'un des pouvoirs de l'État le droit de suspendre l'exécution des lois et d'arrêter le cours de la justice? Si la législation se tait sur le droit d'amnistie, c'est que le pouvoir qui fait la loi peut seul en arrêter l'exécution, c'est que l'amnistie, qui dispense de la loi, dérive nécessairement de la même source que la loi elle-même. « Supposez, a dit un éloquent et savant magistrat, supposez que lors

4.Voy. dans ce sens M. Legraverend, t. II, p. 763; M. Carnot, Instr. crim., t. I, p. 615; M. Bérenger, séances de la Chambre des députés des 29 déc. 1834 et 3 janv. 1835; M. Mangin, no 444; M. Leseyltier, n° 2144; discussion de la loi du 12 janv. 1816 (Moniteur du 18 janvier 1816).

que la justice est saisie, qu'elle a informé, qu'elle a agi au nom de la loi, au nom de la société, lorsque les accusés sont sous cette main puissante à laquelle - personne ne peut résister, dans cette situation, on fasse apparoir une ordonnance portant qu'une amnistie est accordée, c'est-à-dire, que la loi ne sera pás exécutée, que les tribunaux se tairont et cesseront leur action, que les mandats décernés seront annulés, que les poursuites commencées seront anéanties! non, la puissance royale tout entière ne peut que laisser faire la justice et ne peut l'empêcher d'agir1. Une ordonnance d'amnistie est donc, dans l'ordre légal, un excès de pouvoir qui ne saurait plus s'abriter dans les termes, aujourd'hui abrogés, de l'art. 14 de la Charte de 1814. Sans doute la rédac tion nouvelle de cette Charte n'a point introduit un1 droit nouveau : « L'art. 13, à le bien considérer, a dit un éminent publiciste, n'est qu'une confirmation'du droit constitutionnel fondé sur la division des pou voirs; mais, s'il le confirme', il le resserre; il lui rend son évidence, en le dégageant des fausses doc1 trines dont on l'avait obscurci; il établit entre l'époque de 1830 et celle qui l'a précédée une ligne dé démarcation qui coupe en deux la série des précédents, et ne permet pas de joindre les anciens anx nouveaux. La question constitutionnelle d'amnistie ne peut plus s'envisager d'après une tradition avec laquelle elle a rompu; elle doit s'envisager en ellemême et elle se réduit alors à ces termes : une ordonnance d'amnistie dispense-t-elle de l'exécution 1 M. Dupin, Moniteur du 19 mars 1835, premier supplément,ish P

des lois1? On se réfugie dans le droit de grâce; mais où donc est, non pas l'analogie, mais le rapport entre la grâce et l'amnistie? La grace n'intervient que lorsque la justice a accompli sa mission, que la loi est satisfaite, que tous les intérêts sont saufs; elle dispense de la peine, mais par là même elle confirme la sentence, elle s'associe au pouvoir judiciaire pour compléter son, cœuvre en modérant les châtiments qui seraient trop rigoureux. L'amnistic n'attend pas le jugement, elle s'y oppose,, elle frappe d'interdit la justice, elle lui défend d'agir, elle suspend la fonetion du juge, elle suspend l'exécution des lois. Comment serait-elle contenue dans la grâce? comment en dériverait-elle ? Et puis, elle est moins une mesure de clémence qu'une mesure politique; la grâce n'aperçoit que des individus, l'amnistie fait abstrac tion des individus, et ne voit que la nature des infractions et les circonstances qui les entourent, C'est sous ce rapport encore qu'elle appelle le concours de tous les pouvoirs de l'Etat. Si ce concours enlève quelque chose à l'opportunité, à la rapidité de ses effets, il lui imprime une autorité plus grande, il en assure les effets, il en prévient les dangers?.

Entre ces deux systèmes, il nous semble qu'il existe plutôt une question mal posée qu'un conflit sérieux. Au point de vue du droit, il est certain que le droit de suspendre l'exécution de la loi ne peut, à moins d'une délégation expresse, appartenir qu'à;

1 M. Hello, Du régime constitutionnel, p. 554, 3° éd., t. II, p. 77. ต Voy. dans ce sens M. Dupin, Encyclope fie du droit,'v Amnistie;" M. Hello, Du rég. const, 4. p. 78 et suivi o că

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