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la loi même. C'est un acte de souveraineté que le souverain peut seul accomplir; ct nulle disposition de la loi n'a délégué au pouvoir exécutif le droit de suspendre l'action judiciaire. Il est également hors de doute que le droit d'amnistie et le droit de grâce sont deux prérogatives entièrement distinctes, et que la première, plus étendue que la seconde, ne peut par cela même en dériver. Dans l'ordre légal, Pamnistie, qui est une interruption du cours de la justice, une entrave à l'exécution des lois, ne peut appartenir au pouvoir exécutif, qui a pour devoir et pour missión de surveiller cette exécution: Maisiude question, qui tient si intimement à l'ordre politique, ne doit pas se décider par la seule déduction des prineipes du droit. Il est impossible de ne pas tenir compte des faits, des précédents, des nécessités sociales qui peuvent justifier une mesure que la loi n'a pas expressément autorisée. En théorie, il semble difficile de contester sérieusement que le droit d'amnistie, dans l'état de la législation, ne devrait être exercé que par le pouvoir législatif. Dans la pratiqué des faits, il serait non moins difficile d'accuser le pouvoir exécutif qui ferait usage de ce droit; et c'est aussi dans l'usage que la Cour de cassation a cherché sa base, en déclarant « qu'il dérive de l'art. 58 de la Charte tel qu'il a été constamment interprété et exécu‣ té 1. » Comment, en effet, faire abstraction de tant d'ordonnances qui ont proclamé des amnisties? On állègue la révision de l'ancien art. 14, et quoique M. Bérenger ait démontré avec une grande force que Arr. Cass. 15 juill. 1839 (Bull., n° 235).

cette révision n'avait pas atteint le droit d'amnistie, il faut néanmoins en induire, comme l'a fait M. Hello, qu'elle a eu pour effet de resserrer avec plus de rigueur le pouvoir exécutif dans le lit de ses attribu tions constitutionnelles. Mais ne peut-on pas penser que le droit d'amnistie, considéré dans tous les temps et sous tous les régimes comme une haute exception aux règles légales et qui puise sa raison et sa légitimité dans les circonstances où il est exercé, a été l'objet d'une délégation tacite au pouvoir exéeutif?: Tantôt exercé par ce pouvoir, tantôt par le pouvoir législatif, suivant les temps plutôt que pour obéir à un principe, c'est la raison politique, c'est la puissance des faits qui le domine et le régit, Pourquoi, dit M. Hello, la loi ne ferait-elle pas de l'amnistie ce qu'elle a fait du droit de grace? Pourquoi n'en poserait-elle pas le principe, soit absolument, soit d'une manière restreinte, avec.qu sans l'obligation de rendre compte? » Il est évident, en effet, que le droit d'amnistie, dérivant de la même source que la loi, ne peut être régulièrement exercé par le pouvoir exécutif que par une délégation lé gale; cette délégation est nécessaire, parce qu'il importe qu'une telle prérogative ne soit pas obligée, lorsqu'elle l'exerce, de se justifier elle-même et de disouter sa légitimité; elle est nécessaire encore parce que, si cette mesure émane du pouvoir législatif, il est certain que le pouvoir exécutif est le plus souvent seul en mesuré d'en apprécier l'opportunité et de la rendre utile, Done, jusqu'à ce que le législateur ait suppléé à cette lacune, on doit supposer une dér

légation tacite qui résulte des précédents, et par conséquent on ne saurait dénier au gouvernement la faculté de se servir d'un moyen d'action dont tous les gouvernements ont usé, qu'aucune disposition n'a retiré de ses mains, et dont la bienfaisante influence a rarement excité des réclamations.

- Toutefois, en admettant cette délégation tacite, il faut reconnaître qu'elle n'appartient qu'au roi, en qui seul réside le pouvoir exécutif. Ainsi, l'action publique ne serait nullement suspendue, 1' par une circulaire ministérielle, qui prescrirait de suspendre iles poursuites contre les auteurs 'de certains délits, -s'ils remplissent certaines conditions, attendu que les ministres ne peuvent anéantir ni suspendre l'effet des lois pénales, ce droit n'appartenant qu'au pouvoir législatif et au roi, lorsqu'il veut user de son -droit de faire grâce; 2° par un ordre d'un chef de corps de la garde nationale, qui déclarerait faire remise des informations 'disciplinaires, attendu qu'une pareille mesure constituerait de la part de cet officier, une véritable usurpation du droit de grace?» La Cour de cassation a toutefois reconnu que, dans le cas de mise en état de siége, le droit de proclamer une amnistie conditionnelle pouvait rentrer dans les pouvoirs extraordinaires dont le commandant militaire est revêtu : le droit d'amnistie était contenu dans l'ordonnance de mise en état de siége; il était réputé en être le corollaire.

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1. Arr. Cass: 28 juillet 1844 (Bull., 'uo 54),

2 Arr. Cass. 14 avril 1832 (Bull., no 157). ; 15 juin 1832 (Bull., n° 215).

3 Arr. Cass. 5 juillet 1833 Bull., no 252)

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L'amnistic peut être conditionnelle; elle peut être limitée. Il doit être permis, en effet, au pouvoir qui concède une mesure, qui est un bienfait, d'y apporter les garanties et les restrictions qui peuvent être utiles à l'État et à la justice. L'amnistie du 12 janvier 1816 excluait les individus qui étaient l'objet de poursuites régulièrement intentées; celle du 23 avril 1814, ceux à la charge desquels certaines circonstances aggravantes existaient; celle du 13 août 1817, ceux qui étaient déjà repris de justice; celle du 8 mai 1837 maintient la peine de la surveillance à l'égard des condamnés qu'elle libère. Il est inutile d'ajouter que l'amnistie ne doit pas, néanmoins, à l'aide d'exclusions trop étendues, dégénérer en ces abolitions particulières que la loi de 1791 a proscrites 1. me

L'amnistie peut s'appliquer à tous les crimes, délits et contraventions. M. Bérenger excepte seulement le cas où des ministres seraient mis én accusation et traduits devant la Chambre des pairs. Il est clair, en effet, qu'une amnistie qui émanerait du pouvoir exécutif, ne pourrait suspendre l'action de la justice politiqué entre les mains de la Chambre, en dérobant ses principaux agents au jugement qui les attendrait. Mais une telle amnistie, si elle comprenait non les ministres seuls, mais une catégorie d'agents, pourrait, sans aucun débat, être votée par le pouvoir législatif; car la loi peut toujours défaire et modifier les règles prescrites par la loi.

4M. Mangin, no 445.

$197.

Des effets de l'amnistie.

L'amnistie, ainsi que cela résulte de tout ce qui précède, a pour effets d'anéantir les faits incrimi nés et les poursuites auxquelles ils ont pu donner leu, de sorte qu'aux yeux de la justice, par une fic tion légale, ils sont réputés n'avoir jamais existé.

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La Cour de cassation a décrit ces effets avec énergie, en déclarant que l'amnistie porte avec elle l'abolition des délits qui en sont l'objet, des poursuites faites ou à faire, des condamnations qui auraient été ou pourraient être prononcées, tellement que ces délits, couverts du voile de la loi par la puissance et la clémence royales, sont, au regard des cours et tribunaux, sauf le droit des tiers en réparation du dommage par action civile, comme s'ils n'avaient jamais été commis. La jurisprudence ne distingue point si les poursuites sont déjà commencées où ne le sont pas encore; elle reconnait que l'abolition qui dérive de l'amnistie doit s'étendre même aux poursuites qui pourraient être commencées et qu'elle peut avoir pour objet, soit de les prévenir avant qu'elles soient intervenues, soit de les faire

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Une première conséquence de ce caractère géné ral de l'amnistie, est qu'elle profite non-seulement

↑ Arr. Cass. 11 juin 1825 (Bull., no 114), 2 Arr. Cass. 19 juill. 1839 (Bull., no 235). 3 Arr. Cass. 17 juilt. 1839 (Bull., no 229).

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