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et, pour ne parler que du mode connu de tous, bien des ouvriers ont pu, sans s'affilier à une société de secours mutuels, économiser pendant les jours heureux et déposer à la Caisse d'épargne une somme plus ou moins importante qui s'est accrue peu à peu et qu'ils retrouveront lorsque le besoin s'en fera sentir. Quels que soient leurs avantages, les caisses d'épargne ne sont pas le dernier mot de la prévoyance. Tout en contribuant dans une forte mesure à propager les plus saines habitudes, elles ne répondent pas à tous les besoins du travailleur. S'il ne s'agit que d'un chômage de quelques jours, l'ouvrier trouvera dans. l'épargne réalisée le moyen de traverser cette crise; mais s'il fait une longue maladie, le voilà obligé d'employer jusqu'au dernier sou de ses économies et peutêtre, faute d'argent, se trouvera-t-il dans la nécessité de recourir à la charité des autres pour obtenir les soins que réclame son état. D'autre part, la somme versée dans une Caisse d'épargne, quand bien même elle atteindrait le maximum légal du dépôt, forme bien difficilement une ressource suffisante pour une circonstance qui doit toujours rester présente à l'esprit de l'ouvrier, la vieillesse. Si donc il faut propager le plus possible les caisses d'épargne, s'il faut considérer un livret, quelque minime qu'il soit, comme un des premiers fondements de la sécurité du pauvre, on doit cependant rechercher dans une autre forme un moyen plus décisif et plus souverain.

L'association qui centuple les forces, où dès le premier jour « un et un font trois », comme disait Legouvé, qui multiplie les bienfaits de l'économie, l'association dont la puissance n'est jamais entravée par le temps, peut donner seule ce moyen.

Avec une somme de 12 à 15 francs versée au cours d'une année dans la caisse d'une société de secours mutuels, l'ouvrier malade peut être secouru plusieurs mois; qu'aurait-il fait avec la même somme déposée à la caisse d'épargne ?

Et non seulement les sociétés de secours mutuels assurent à l'ouvrier, par le sacrifice d'une faible partie de son salaire, un secours efficace contre la maladie, la vieillesse, la misère; elles ont d'autres avantages encore qu'il ne faut pas passer sous silence.

La société de secours mutuels, qui a sa source première dans la moralité, moralise encore l'ouvrier par l'esprit de famille qu'elle fortifie. Elle fait naître ou plutôt développe aussi un sentiment qui, comme on l'a dit, est le véritable remède à l'individualisme, à l'isolement des classes, le sentiment de solidarité. A ce point de vue nulle institution ne peut être comparée à la société de secours mutuels avec ses membres honoraires, ses réunions fraternelles du maître et de l'ouvrier qui unissent leurs efforts en vue de faire le bien, où l'on délibère en commun, où l'on s'aime bientôt parce qu'on s'est connu, où les dé

fiances disparaissent, où les malentendus s'aplanissent, où les plus élevés sentent le besoin de donner aux plus humbles le plus grand des enseignements, celui de l'exemple.

Aujourd'hui, du reste, l'utilité des sociétés de secours mutuels, les services considérables qu'elles rendent ne sont plus à démontrer. Le nombre de leurs membres qui grandit tous les jours et qui de 1.086.276 en 1880 a passé à près de deux millions en 1899, montre bien la faveur dont elles jouissent et le rôle important qu'elles sont appelées à jouer.

Notre but est de rechercher ici quelle fut la marche de l'idée de mutualité en France depuis un siècle et quels furent le sort et le régime légal des sociétés de secours mutuels dans notre pays depuis la Révolution française. Mais, pour mesurer avec exactitude le chemin parcouru depuis 1789, il importe auparavant de connaître le point de départ. Nous dirons donc, très rapidement pour ne point sortir du cadre que nous nous sommes tracé en commençant ce travail, quelques mots de la mutualité dans l'antiquité, au moyen àge et dans les siècles qui ont précédé le

nôtre.

PREMIERE PARTIE

LES SOCIÉTÉS DE SECOURS MUTUELS

AVANT 1898.

APERÇU HISTORIQUE ET LÉGISLATION.

I

LA MUTUALITÉ AVANT 1789.

Bien que l'étude des associations dans l'antiquité soit rendue fort difficile par suite de l'absence à peu près complète de documents les concernant, nous savons que chez les peuples anciens, des sociétés se formaient pour pratiquer l'assistance mutuelle sous toutes ses formes.

Si l'on en croit certains auteurs (1), c'est en Judée, chez les Khasidéens, sous le règne du roi Salomon, que l'on trouve les premières traces d'associations de secours mutuels.

En Grèce, il existait, et de savantes pages leur ont

(1) Martin-Nadaud, Rapport à la Chambre des députés, 1881; E. Joly, Le passé, le présent et l'avenir de la mutualité, 1893.

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