Le costume du tiers-état était simple et sévère, comme son rôle. 21 Un seul député du tiers avait conservé son costume des campagnes : c'était Michel Gérard, cultivateur, député de Saint-Martin-de-Rennes en Bretagne, lequel avait gardé l'habit, le gilet, et la ceinture du Bas-Breton *. La salle qui avait servi à l'assemblée des Notables, et qui était située dans l'avenue de Versailles, reçut les députés aux États-Généraux. Elle se composait de plusieurs chambres distinctes. Aussitôt après la séance d'ouverture, fameuse par trois discours sans portée, - celui du roi qui semblait peu propre à la circonstance, celui de M. de Barentin, garde-des-sceaux, qu'on n'écouta pas, celui enfin de Necker, qui était fort au-dessous de ce qu'on en attendait, les députés procédèrent à la vérification des pouvoirs. Elle fut l'origine d'une discussion déplorable, intempestive, ridicule. Le clergé et la noblesse s'assemblèrent dans des chambres différentes; le tiers-état eut la salle commune. Mais, le tiers (car beaucoup affectaient de ne pas dire le tiers-état) portait plus haut la tête, à mesure que ses concurrents cherchaient à l'abaisser; il prenait, en revanche, le rang le plus honorable dans l'opinion, le mot banal d'alors; il avait ses vengeurs naturels dans la bourgeoisie, dans le public, qui tympanisa la noblesse et le clergé. Parmi les chansons courant les carrefours, les spectacles, les cafés, on remarque Nous donnons le portrait de Michel Gérard que nous avons trouvé dans la magnifique collection de M. Laterrade. 22 CARICATURES. (juin 1789) surtout celle-ci qui se chantait sur l'air de Calpigi; nous en extrayons le premier couplet : Vive le tiers-état de France! Il aura la prépondérance Sur le prince, sur le prélat! Abi! povera Nobilla! Je vois s'agiter la bannière; J'entends partout son cri de guerre : Vive l'ordre du tiers-élat! Ahi! povera Nobilla! Plusieurs médailles furent frappées à l'occasion des États-Généraux. On voit sur presque toutes ces mots : Vive le roi pour le bonheur de son peuple! Celle que nous donnons ici est en étain, et se vendait à très-bas prix. Elle est pleine de fautes d'orthographe, mais le sens en est clair, et d'une haute portée *. Les caricatures se mirent de la partie. Une d'elles représentait un homme de basse extraction, portant sur son dos un noble et un prêtre; une autre est intitulée: la fermière en corvée. La fermière porte une religieuse et une dame de qualité. Les deux prolétaires, surchargés par leur fardeau, prononcent ces paroles : « il faut espérer que ce jeu-là finira bientôt. » Tirée de l'Histoire numismatique de la révolution par M. Hénin, ouvrage très-estimé. 23 Il y a aussi l'œuf à la coque, Le tiers porte l'oeuf, dans lequel le clergé et la noblesse seuls trempent leurs mouillettes de pain *. Qui ne voit là une manifestation non équivoque des idées du jour ? Pourtant, il ne fut tenu aucun compte des impatiences populaires. Les ordres privilégiés discouraient gravement sur leurs prérogatives, et refusaient le vote par têtes, ou le doublement du tiers-état, ce qui réduisait la bourgeoisio à l'impuissance. La vérification des pouvoirs n'eut pas lieu en commun. Les députés du tiers déployèrent alors une grande activité, tandis que le clergé et la noblesse passaient, au contraire, la moitié de leurs séances sans délibérer **..Il y eut en outre des interruptions de séances motivées par des circonstances extérieures, et dont on appréciera la valeur. Le Dauphin, depuis longtemps malade, mourut, le 3 juin à Meudon, et l'assemblée alla, le 8, jeter de l'eau bénite sur son cercueil; le 11 et le 18, une députation accompagna le roi pour les processions du Saint-Sacrement, à Notre-Dame de Versailles. Ce dernier fait, indiqué comme par digression, nous conduit à en examiner un autre auquel il donna lieu. Voici ce qui se passa dans l'église NotreDame. Le clergé fut placé à droite le long des stalles et des places destinées au roi et à la famille royale; la noblesse à gauche, dans les places correspondantes; les communes *** occupèrent le milieu et des banquettes placées *** L'expression les communes fut employée dans les premiers mois de l'assemblée nationale, comme synonyme de tiers-état. |