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(juin 1789)

OPINION PUBLIQUE.

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ment, porte sur son dos l'auf à la coque. Non; mais l'œuf est posé dans un coquetier. Les trois ordres mangent ensemble, en amis, en frères. Cette fois, l'homme du tiers-élat tient en main la mouillette la plus forte.

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Ce n'est pas tout, et le tiers pense que sur lui repose, en partie, l'avenir de la France, dont une gravure, mal faite mais d'idée heureuse, explique al!égoriquement l'état actuel. Un arbre de liberté élève vers le ciel sa tête majestueuse, les députés du tiers-état sont perchés sur ses branches, tandis que le clergé et la noblesse font mille efforts pour le renverser. D'un côté, la France, demi-morte, invoque l'assistance de Louis XVI et de Necker. Mes amis, s'écrie-t-elle, ayez pitié de ma situation, il y a longtemps que je suis abandonnée! - Sire, dit Necker, il faut la secourir; nous la relèverons, répond Louis XVI *.

D'un autre côté, on voit le roi assis sur son trône. Necker est en face de lui, tenant une balance. Et, lui montrant que l'impôt pèse plus que l'imposition, le ministre ose dire: Sire, cela n'est pas juste.

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repart Louis XVI, avec le temps et vos conseils.

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J'y remédierai,

Ecoutez enfin, lecteur, le peuple chanter ses litanies nationales. Il demande, il exige des réformes, il exprime ses vœux, il s'écrie avec force :

Des suppôts de la chicane, délivrez-nous, seigneur!

De la visite des commis de barrières et des aides, délivrez-nous, seigneur !
Des capitaineries et des gardes chasse, délivrez-nous, seigneur!
De la milice, délivrez-nous, seigneur!

Noble citoyen, protégez-nous;
Vertueux prélat, priez pour nous;

Cabinet de M. Laterrade, et cartons de la bibliothèque royale.

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PARTIS ET CLUBS.

(juin 1789)

Ministre du trépas, épargnez-nous;
Soldats de la patrie, défendez-nous;
Et nous vous bénirons tous*.

Il est facile de concevoir le succès de ces gravures et de ces caricatures. Les curieux qui assiégeaient les boutiques des marchands d'estampes, riaient d'abord de la chose; et puis, par une pente naturelle et insensible, la réflexion engendrait le mépris qui, chez le peuple, est frère de la haine. Or, le nombre des curieux devenait considérable, car depuis le commencement du mois de mai, beaucoup d'Anglais voyageaient sur le continent, et habitaient Paris, où les bureaux de change regorgeaient de guinées **. Jamais l'Anglomanie n'avait été plus en usage; elle faisait concurrence, pour la renommée, au parti des orléanistes. Le duc d'Orléans, mal vu en cour, et qui avait affecté de marcher avec le tiers, lors de la procession des Etats-Généraux, ne pouvait manquer d'avoir des adeptes, même des admirateurs enthousiastes. Nous verrons, que par l'effet de son caractère inconstant et pusillanime, ce prince eut à souffrir de la fausse position d'un chef de parti, sans profiter des avantages qui en résultent, et que les paroles prêtées plus tard à Mirabeau : « il ne mérite pas la peine qu'on se donne pour lui », étaient vraies sous plus d'un rapport.

Revenons maintenant à la politique proprement dite; occupons-nous de l'Assemblée nationale et des clubs.

Tout naturellement, les nuances des opinions des députés variaient à l'infini. Trois grandes divisions s'établirent. Il y eut le côté droit de l'Assemblée, lequel se composait des intolérants, de ceux qui ne voulaient accepter en aucun point la révolution; le côté gauche, c'est-à-dire les partisans des réformes et des innovations politiques; les impartiaux enfin, autrement appelés le ventre ou les amphibies, qui n'avaient point encore d'idées arrê tées hommes louches, dont un œil contemplait les splendeurs et les douces béatitudes du temps passé, et dont l'autre œil apercevait déjà dans l'ombre le tableau des choses qui allaient être faites. Ces dénominations furent d'abord purement statistiques, selon la position des députés par rapport au président. Elles commencèrent à être employées quelques séances après l'ouverture des Etats-Généraux.

Autour de cette planète gouvernementale gravitaient un bon nombre de satellites. C'étaient, en premier lieu, les clubs dont l'apparition en France a été indiquée plus haut; les clubs, écoles mutuelles de politique, et parmi lesquels ressortaient celui des Américains, puristes libéraux, fondé en 1785; celui de Bretagne, précurseur des jacobins, et d'autres sociétés formées par les amis éprouvés de la famille royale, désignés sous le nom ironique de

⚫ Ces litanies sont tirées d'une série de dessins patriotiques.

Baron de Bezenyal.

(juillet 1789)

ACTES D'INSURRECTION.

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monarchiens *. Tous ces clubs, plus ou moins nombreux ou importants, commençaient déjà à se déclarer parfois en permanence, et à se préoccuper du salut de la patrie.'

Nourri des principes qui y étaient enseignés, le peuple semblait posséder un sens de plus que par le passé, la politique. Il lisait avidement les séances de l'Assemblée nationale. L'habitant des campagnes quittait sa charrue afin d'interroger les courriers, les commis-marchands, les voyageurs. Certainement la révolution était accomplie dans les esprits; il ne s'agissait plus que d'être logique avec elle, car la logique est la loi des œuvres politiques. Un champ vaste avait été ouvert aux espérances du tiers-état, et il ne fallait pas revenir sur des concessions accordées. Mais on ne voulut pas y prendre garde; on répondit aux exigences par des obstinations; aux idées libérales par des coups-d'état; aux besoins de fraterniser par des rancunes. Pour preuve, rappelons les manifestes des ordres privilégiés, et l'emploi fréquent de la force armée contre le peuple.

Cependant, le 30 juin, un commissionnaire entra précipitamment dans le café de Foy, et remit aux habitués de l'établissement une lettre d'avis. Des gardes françaises, emprisonnés à l'Abbaye pour cause d'insubordination, devaient être transférés la nuit à Bicêtre. La nouvelle était de nature à intéresser les motionnaires du Palais-Royal. Un d'entre eux donna lecture de cette lettre, publiquement, au milieu du jardin. Mille individus environ coururent à l'Abbaye pour mettre les prisonniers en liberté. Ceux-ci furent portés en triomphe, soupèrent dans le jardin aux frais de leurs libérateurs, et couchèrent dans la salle du théâtre des Variétés ***. Le lendemain on leur donna des logements à l'hôtel de Genève. Des paniers, suspendus aux fenêtres avec des rubans, étaient destinés à recevoir les offrandes des passants. Une députation demanda la grâce des gardes françaises au roi, et se rendit à l'Assemblée nationale. Chose remarquable! Des hommes sans mission politique aucune franchirent le seuil d'une assemblée parlementaire, et sollicitèrent sa médiation auprès du roi. Les députés prirent cette demande en considération après quelques murmures et promettant d'implorer la clémence de Louis XVI. Faiblesse fatale! Dans la suite, ces conflits devinrent fréquents; l'assemblée se laissa souvent entrainer par des citoyens du dehors, ayant un pied dans le sanctuaire légal, et l'autre pied encore sur le pavé de la place publique.

Cet acte d'insubordination, protégé par les motionnaires, fut comme le signal d'une commotion générale qui éclata dans le commencement de juillet. Le 8, un espion de la police fut massacré ; le 9, deux officiers de hus

Almanach de la Révolution.

**Révolution de France par Beaulieu.

Aujourd'hui le Théâtre-Français.

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DISGRACE DE NECKER.

(juillet 1789) sards se présentèrent au Palais-Royal; on leur barra le passage; ils insistèrent et tirèrent leur sabre, au grand mécontentement de la foule. D'autre part, les ouvriers de Montmartre, exaspérés par la vue des troupes qui environnaient Paris, arrachèrent de prison un détenu et se transportèrent au PalaisRoyal entre onze heures et midi. Ils avaient un drapeau sur lequel on lisait ces mots Vive le Tiers! Le 10, un fait plus grave encore se passa; les canonniers des Invalides quittèrent leur poste et vinrent au Palais-Royal danser avec les poissardes. Ils se disaient du tiers-état aussi *. Quel foyer que le Palais-Royal! C'est là que s'organisèrent les insurrections sous l'Assemblée nationale. Pendant la révolution, le lecteur s'en convaincra à mesure qu'il avancera dans cet ouvrage, il y a eu, à différentes époques, des lieux consacrés pour les mouvements populaires.

Juillet, le mois des révolutions, s'annonce sous de fâcheux auspices. Les régiments qui emplissent Versailles, Sèvres et Saint-Cloud, motivent des craintes à Paris. Tous les visages sont inquiets et sombres. Mirabeau demande le renvoi des troupes. Un seul nom est cité partout, celui de Necker, le sauveur de la France, qui a refusé d'accompagner Louis XVI à la séance royale, et qui ne veut pas laisser transférer l'assemblée dans une ville de province, à Noyon ou à Soissons.

Alors la cour se tenait sur la défensive, elle était en opposition avec M. Necker, tellement que le 11 il reçut l'ordre de donner sa démission et de partir mystérieusement. Le moment était mal choisi.

Sa disgrace fut bientôt connue à Paris, mais on n'en parla d'abord qu'avec beaucoup de circonspection. Le 14, à midi, on savait que MM. de Montmorin, Saint-Priest et de la Luzerne partaient aussi. Necker quittant les finances, cela faisait penser que tout était perdu; aussi les agents de change délibérèrent sur les suites de cet événement, et sur les atteintes qu'il pouvait porter au commerce; ils décidèrent que la Bourse serait fermée le lendemain. La consternation et l'agitation régnaient. Des bandes d'individus armés incendièrent la barrière de la Chaussée-d'Antin. Trône vacant, voilà ce que l'on avait affiché dans Paris, avec cette phrase: « O duc d'Orléans, digne descendant de Henri IV, paraissez, mettez-vous à la tête de vingt mille hommes qui vous attendent ** ! »

Le Palais-Royal aussi protesta contre ce coup d'état. Malgré les affiches que l'autorité avait fait placer pendant la nuit, et qui invitaient les citoyens å rester chez eux, une foule de motionnaires se rassembla dans le jardin, perorant et manifestant son opinion par des cris et par des gestes. Camille Desmoulins, jeune avocat et ami de Maximilien Robespierre, membre de l'Assemblée nationale, était le plus animé. Il monta sur une table, et déclara

⚫ Courrier de Paris, passim.

Appel au peuple, par Louis XVI.

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