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INTRODUCTIÓN.

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ou de Thorré au Wauxhall, pour les ascensions d'aérostat, et surtout pour les combats du taureau, de nouvelle importation. Malgré cela, les spectacles de société affluaient; il y en avait jusque chez la jeune reine, où se donnaient aussi des concerts spirituels *.

Les habitudes avaient changé sensiblement. On cessait de donner aux enfants les noms des saints auxquels on ne croyait plus, tandis que l'on canonisait les héros de la Grèce et de Rome; plusieurs gentilshommes cherchaient à se démocratiser, en dissimulant leur noblesse. A quoi bon, prétendaient le fils ou la veuve, suivre le convoi d'un parent? - et ils allaient se consoler à la maison des champs. Il existait comme un besoin de fixer, à tout prix, l'attention publique qui se porta sur les hardiesses de la chevalière d'Eon, sur les magnifiques processions du marquis de Brunoy, sur les soupers funèbres de Grimod de la Reynière, sur les séances du nouvelliste Métra, aux Tuileries: « que dit Métra?» demandait souvent Louis XVI. N'oublions pas non plus de mentionner les manœuvres d'un certain chevalier tape-cul, petit vieux, presque bossu, à rouge trogne, à cheveux blancs, portant avec orgueil la croix de Saint-Louis, et qui risquait d'être assommé cent fois par jour, pour le seul plaisir de piquer les femmes avec sa canne. Le but du chevalier n'a jamais été connu, mais sa réputation était immense, et sa présence redoutée.

Louis XVI comprit tout d'abord qu'il y avait des abus auxquels il pouvait remédier. Il s'efforça de faire rendre mieux la justice, et de mettre fin aux procédures interminables du Châtelet. Affecté de la misère du peuple, il exempta ses sujets du droit de joyeux arénement, coutume fiscale qui attirait leurs malédictions sur la tête de chaque nouveau prince.

Plus tard, il diminua le nombre des fêtes religieuses, qui ruinaient l'ouvrier, sans l'engager davantage à la prière. Il fut, à cet égard, chansonné par les soutiens de la bonne cause. Mais, poursuivant son œuvre avec persévérance, il abolit les droits d'aubaine et de main-morte, sortes de douanes pour les hommes; raya de nos lois la question préparatoire; rasa le Fortl'Évêque et le Petit-Châtelet, tout salis de honteux souvenirs. Enfin, il supprima les croupes, ou pensions que les fermiers de l'impôt payaient à quelques favoris de la cour **.

En revanche, la loterie et le Mont-de-Piété s'étaient établis, deux égouts impurs, bons à engloutir l'argent et la moralité du peuple. La France savait gré au nouveau roi de ces heureuses réformes; elle

Voir les programmes dans le Journal de Paris.

** Des lettres, des papiers manuscrits de Louis XVI, que nous avons pu lire, et qui se trouvent dans la riche collection d'autographes de M. Feuillet de Conches, montrent jusqu'à quel point le monarque était, au fond, plein de bonne volonté.

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espérait lui voir mériter sérieusement le surnom de bien-aimé, d'une autre manière que son aïeul, contre lequel une réaction complète s'opérait :

Ci-git Louis, le pauvre roi ;

Il fut bon, dit-on; mais à quoi *?

Aussi, Louis XVI fut généralement fêté dans les premiers temps de son règne. On fabriqua des tabatières en peau de chagrin, avec les médaillons peints du roi et de la reine; on les appelait des consolations dans le chagrin **. On grava sur le piédestal de la statue de Henri IV le mot resurrexit, sans doute parce que, après l'enterrement du feu roi, il avait donné 200,000 fr. aux pauvres, sur sa propre cassette ***.

Pourtant, il faut bien que nous rappelions quelques faits sinistres et de mauvais présage, dont les esprits se préoccupèrent vivement. Une catastrophe horrible avait signalé le mariage du dauphin; quand il fut sacré roi, la couronne le blessa, dit-on; mais, chose plus remarquable, - le même jour, les Rémois arrachèrent une inscription placée sur les murs de leur Hôtel-Dieu, et écrite en lettres rouges sacré le 11, massacré le 12. (11 mai 1775.)

Sans être superstitieux, et sur la simple disposition des esprits, on pouvait penser que ce bonheur de Louis XVI ne serait que l'affaire du moment. « Le grand secret pour être approuvé en France, c'est d'être nouveau, » écrivait l'envieux Frédéric de Prusse à d'Alembert. Et ces paroles avaient, au-delà du Rhin, force de proverbe. Aussi, Marie-Antoinette mit-elle le pied sur le sol français avec des idées arrêtées à l'endroit des sentiments du peuple; elle disait : « les Français ne m'aimeront pas, car ils n'auront jamais à répéter mes bons mots et sentences. » La jeune princesse allemande avait de tristes pressentiments, et peu de confiance dans ceux qui allaient devenir ses sujets.

Sa patrie adoptive la reçut néanmoins très-convenablement. Les chaires, les académies, les sociétés les plus brillantes, les journaux, les almanachs, lui prodiguèrent mille et mille louanges. La mode se fit une loi de ses fantaisies. A peine la dauphine (car alors Louis XV existait encore) eut-elle manifesté son aversion pour les gênes du cérémonial, en appelant Mme l'Etiquette, la maréchale de Mouchy, dame d'honneur, que le sans-façon devint à l'ordre du jour. A peine eut-elle imaginé les grandes plumes, et, successivement, les coiffures-hérisson, jardin, à l'anglaise, montagnes, parterres, - forêts, qu'elles envahirent les promenades, au point d'éveiller les

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Revue Rétrospective.

Mémoires de l'abbé Georgel.

Inscrits au Livre-Rouge.

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INTRODUCTION.

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sarcasmes de la critique contre Léonard, académicien de coiffure et de mode, sur ce point complice de la reine.

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Au contraire, lorsque sa belle chevelure cendrée, dont la teinte était admirée sous le nom couleur cheveux de la reine, fut immolée par le ciseau à la suite d'une couche, et qu'elle eut adopté les coiffures basses, la coiffure à l'enfant fut la seule de bon ton.

Le peuple accueillait avec joie Marie-Antoinette quand elle traversait les Tuileries dans sa chaise à porteurs pour se rendre à Longchamps, quand elle encourageait, par sa royale présence, les courses de chevaux nouvellement établies, ou quand elle assistait aux dernières représentations de la montre des huissiers, procession cérémonieuse de l'honorable corps. Elle était reine par les grâces, par l'esprit, par le rang et par la beauté. Que lui fallait-il de plus?

Léonard, coiffeur de Marie-Antoinette, a laissé des Mémoires récemment publiés. Le titre emphatique que nous lui donnons, était celui que s'attribuaient alors les coiffeurs.

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INTRODUCTION.

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Nous rapporterons encore une parole qui ressemble à une prédiction. Marie-Antoinette entrait pour la première fois dans la cour de Versailles, lorsqu'un violent coup de tonnerre ébranla le château. - « Présage de malheur! s'écria le vieux maréchal de Richelieu; présage de malheur !........ suivant les opinions de ceux de notre âge. » C'est qu'en effet, de ce moment, la reine s'occupait de politique. Aussitôt, le secret de sa vie privée, jusqu'alors respecté, fut violé par la haine et par la calomnie. Comme la reine se trouvait en opposition avec des personnages puissants, ceux-ci employèrent contre elle toutes sortes d'armes envenimées, les pamphlets, les brochures, les estampes. Hélas! elle avait quitté les parterres de Trianon et de Saint-Cloud, pour se fourvoyer dans le labyrinthe inextricable de la politique! Son influence sur le caractère de Louis XVI était connue : aussi devint-elle responsable des actions du roi.

D'abord, à tort ou à raison, elle détesta le duc de Chartres (depuis d'Orléans et Egalité). Ce fut une véritable guerre de partisans. Le duc passait pour avoir remporté une victoire navale à Ouessant; le Te Deum, qui devait être chanté à cette occasion, ne le fut qu'à l'intention d'une grossesse de la reine. Mais le vainqueur fut dédommagé à l'Opéra à une représentation d'Ermelinde. Un acteur, se tournant vers le prince, lui offrit une couronne et lui adressa directement ces vers de la pièce :

Jeune et brave guerrier, c'est à votre valeur

Que nous devons cet avantage;

Recevez ce laurier, il est votre parlage :

Ce fut toujours le prix qu'on accorde au vainqueur.

Les partisans de la reine firent répondre par ce couplet :

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Ils n'étaient pas les seuls à douter de la bravoure du duc de Chartres, auquel la bataille d'Ouessant suscita beaucoup d'ennemis. Leurs sarcasmes attaquèrent aussi l'amiral comte d'Estaing, qui avait pris Grenade aux Anglais.

Certes, ce n'était pas la reine elle-même qui commandait toutes ces que

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INTRODUCTION.

(1770-87) relles à coups de plume et de crayon. Néanmoins, on les dirigeait en son nom, et toujours est-il qu'elles prenaient naissance en son palais, où se tenait bureau d'esprit. Là, quelques nobles, ceux qu'on appelait encore les aimables roués; quelques belles dames, quelques abbés, les fidèles — se répandaient, de temps à autre, en invectives contre les rêves des Cacouas*, des derniers Illuminés **, et des Francs-Maçons; tout en s'entretenant des nouvelles robes de Mlle Bertin et des étonnantes créations culinaires de Laguipierre, le fameux cuisinier, ou des guirlandes inventées par Mlle Contat dans la Coquette corrigée, ou des énormes boucles d'oreilles à la créole qu'on vit paraître pour la première fois dans Mirza, ballet de Gardel ***.

Avec ces réunions sont nées bien des erreurs politiques, et les commérages qui s'y faisaient influençaient Marie-Antoinette qui se trouvait avoir ainsi comme le roi, son petit conseil, son comité autrichien, au dire de ses ennemis. Parmi les bons mots qu'elle y prononça, on remarque sa comparaison des Parisiens à des grenouilles qui ne font que croasser. Imprudente parole, car bientôt leurs croassemens se changèrent en véritables clameurs. Les pièces de théâtre donnèrent lieu à des allusions plus expressives touchant les idées de politique et de liberté. La reine alla un jour voir jouer l'Amant bo irru, et comme un des acteurs disait à Saint Germain, valet de la comédie : — « C'est un coquin qui fait tout de travers, il faut que je le chasse. » Le public se tourna vers Marie-Antoinette avec force applaudissements. Il s'agissait du ministre Saint-Germain ****.

Un exemple encore plus frappant des idées du jour, ressort de ce qui se passa, peu de temps après, à une représentation d'Athalie. Joad donne de sages conseils au jeune roi :

Bientôt ils vous diront que les plus saintes lois.

Maitresses du vil peuple, obéissent aux rois; (interruption.)

Qu'un roi n'a d'autre frein que sa volonté même;

Qu'il doit immoler tout à sa grandeur suprême;

(id)

(id)

Qu'aux larmes, au travail, le peuple est condamné; (id, etc.)

A ce vers : hélas! ils ont des rois égaré le plus sage, il y eut explosion générale. Les avancés, selon l'expression en usage, faisaient ainsi la leçon aux

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Il était collègue de Turgot, et tenait le département de la guerre. Saint-Germain avait voulu introduire dans l'armée la discipline allemande, de nouveaux exercices, et les châtiments corporels toutes mesures qui avaient soulevé de grands mécontentements.

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