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(octobre 1789)

LE DUC D'AIGUILLON.

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troupe d'hommes et de femmes se joignit à elles, guidée par Maillard, héros de la même journée. Il se fit une presse de femmes, à l'imitation de la presse des matelots, en Angleterre. Le tocsin sonna à toutes les églises; les patrouilles redoublèrent de zèle; la garde nationale fut sur pied.

Indécise d'abord de ce qu'elle allait faire, puis prenant une résolution soudaine, cette troupe immense cria: A Versailles! se donna rendez-vous sur la place Louis XV, engagea Lafayette, ou plutôt le força à conduire les patriotes, et se mit en route pour la ville royale.

D'intervalle en intervalle, pendant la marche, éclataient des bravos prolongés, et surtout le cri de Vivent les Parisiennes! Les unes réclamaient du pain, et voulaient ramener le roi à Paris; les autres étaient plus grandes politiques, et venaient, disaient-elles, demander raison à Louis XVI des orgies aristocratiques des 1 et 3 octobre.

On a prétendu que le duc d'Aiguillon s'était glissé, déguisé en poissarde, dans cette armée de femmes.

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Exacte ou fausse, cette insinuation obtint force de vérité reconnue, et la caricature que le lecteur à sous les yeux fit fortune dans le public. Elle doit son origine à un bon mot de l'abbé Maury qui, rencontrant un jour le duc d'Aiguillon sur la terrasse des Tuileries, lui dit avec fermeté : Passe ton

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MATINÉE DU 6.

(octobre 1789) chemin, salope. Ce n'est pas la dernière fois que nous aurons à parler de cet homme remarquable, soit pour citer ses plaisanteries, soit pour apprécier ses faits et gestes politiques.

Une autre vraie femme commandait de concert avec la reine Audu; c'était Théroigne de Méricourt, qui avait fait ses premières armes le 14 juillet, et qui fut l'héroïne des 5 et 6 octobre. Une telle autorité ne pouvait maintenir l'ordre dans cette troupe indisciplinée, qui arriva le soir à Versailles. Le ciel était sombre; la pluie tombait; et les dragons, les gardes du corps, les Suisses, prévenus de ce qui se passait, parcouraient seuls, pour se rendre à leurs quartiers respectifs, les rues larges et désertes de la ville. Les Versaillois, effrayés, avaient entr'ouvert leurs fenêtres, et regardaient passer. Tous les ministres s'étaient rassemblés chez Necker; Louis XVI chassait. Il revint promptement au château, livré à la plus funeste agitation. Les courtisans donnèrent mille conseils en sens contraires; la reine tremblait; mais le roi seul affirmait devant toute sa suite « qu'il n'avait pas peur, qu'il n'avait jamais eu peur............... »

Et, du balcon royal, les uns et les autres apercevaient une masse énorme de monde, éparse sur la place d'Armes.

La troupe envoya une députation à l'Assemblée, une autre à la famille royale. Ensuite, elle avisa aux moyens de passer la nuit le moins mal possible, se réfugia dans les casernes, dans les corps-de-garde et dans le local des députés. Ainsi s'écoula, presque avec tranquillité, la journée du 5 octobre.

Mais, dans la matinée du 6, pendant que Lafayette, rompu de fatigue, était couché tout babillé sur un lit, une scène sanglante terrifia le château. Quelques hommes armés, à la tête desquels se trouvait Jourdan, appelé plus tard l'homme à la longue barbe, le coupe-tétes, s'étaient introduits jusque dans l'appartement de la reine. Heureusement pour elle, de fidèles gardes-du-corps, notamment Miomandre, l'avait avertie à temps; et Lafayette, réveillé en sursaut, s'était efforcé d'empêcher le carnage des gardes-du-corps. Il parvint à faire désarmer les coupables. Dans le même moment, au-dehors, plusieurs coups de fusils furent tirés; puis, le calme revint, et les cris de vive le roi accueillirent Louis XVI à son balcon. Le monarque décida en conseil qu'il viendrait à Paris; la reine annonça que son intention était de l'y suivre; une immense réconciliation s'opéra entre le peuple et la cour.

Marie-Antoinette n'était pas encore revenue de sa terreur, lorsqu'elle se présenta à l'armée parisienne; aussi sa figure n'exprimait-elle pas toute la sérénité que le peuple eut voulu y lire. Lafayette lui baisa la main aux applaudissements de la foule; Louis embrassa quelques grenadiers de la

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garde nationale, et le départ pour Paris s'effectua sans trop de tumulte. Le roi assura qu'il ferait de Paris sa demeure habituelle, ce qui était accomplir le vœu unanime. Les bandes qui précédaient le cortége royal, et qui poptaient en triomphe - fait controversé les têtes des deux gardes du corps, répétaient incessamment : Nous ramenons le boulanger, la boulangère, et le petit mitron. D'après l'opinion générale, la disette tenait à l'absence du roi loin de la capitale, et l'abondance allait renaître à son approche.

Ce ne fut pas sans des regrets pénibles que Marie-Antoinette quitta la superbe résidence de Versailles, et surtout le Petit Trianon, son jardin favori, avec ses pelouses, ses rivières factices, ses collines artificielles, et son joli hameau! Elle allait se trouver face à face avec ceux que la cour qualifiait d'Enragés du Palais-Royal. Il fallait donc abandonner la laiterie et le presbytère ! Renoncer à ces fêtes continuelles qui avaient transformé Trianon en un séjour féerique et délicieux ! Là, elle pouvait oublier si vite les péripéties passagères de la politique! De Versailles, elle n'entendait pas les bruits confus du peuple parisien, ni même les décharges du mousquet et de l'artillerie! Mais elle ne voulait pas y rester seule; elle se rappelait trop les craintes qu'elle avait éprouvées, lors du voyage de son royal époux à Paris, en juillet. D'ailleurs, la matinée du 6 avait assombri sa vie. C'était un funeste pressentiment de plus à ajouter à ceux qui, depuis longtemps, la poursuivaient.

Cette reine, qui entrait dans la moitié malheureuse de sa vie, eut pourtant assez de force de caractère pour renfermer son chagrin au fond de son ame. Les monarchiens, eux, entreprirent de la venger : ils avaient gardé rancune. Sur les tables de leurs salons, à côté du Mercure de France, des Manuels de Toilette, des dessins de Watteau neveu, et des belles gravures d'Audoin, ils plaçaient en évidence cette petite estampe, fort bien exécutée, el qui, disaient-ils, représentait les portraits en pied des héros d'octobre.

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Quoi qu'il en soit, la famille royale revint, par une pluie battante, habiter le château des Tuileries, triste demeure délaissée depuis Louis XIV.

T. I.

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RÉSULTATS DES 5 ET 6.

(octobre 1789) Un domestique peu nombreux l'occupait, avec Legrand et Molinos, directeurs d'une troupe italienne protégée par Monsieur *, Rien n'était préparé pour recevoir le roi: on dressa des lits de sangle et on passa une mauvaise nuit **. Le lendemain, dès le matin, la foule encombra les Tuileries en demandant à voir Louis XVI. Tantôt elle poussait des cris d'enthousiasme; tantôt elle effrayait par ce murmure incessant qui l'accompagne. A ce point que le roi ne pouvait se promener librement dans le jardin, excepté à certaines heures de la journée : alors les factionnaires disaient que le roi était láché.

Une médaille fut frappée et rappela la phrase historique que Louis XVI avait prononcée à Versailles, et son installation aux Tuileries. Le comte d'Artois était hors de France; le comte de Provence avait choisi pour demeure le palais du Luxembourg.

Quant aux gardes-du-corps, pâles et défaits ils traversaient Paris, conduits fraternellement par des bourgeois et par des gardes nationaux, qui cherchaient à les consoler, à leur faire oublier les mauvais jours. Mais la majorité des citoyens ne leur avait pas encore pardonné leurs récentes démonstrations dans l'Orangerie et dans le Manège de Versailles.

Comme on s'y attendait, l'abondance reparut avec Louis XVI dans la capitale, mais le désordre continua : plusieurs maisons, nous ignorons la cause de cette distinction, furent marquées d'un signe ou d'une croix. Le peuple se prodigua de l'encens à lui-même sur sa victoire des 5 et 6 octobre; mille gravures retracèrent les hauts faits de l'armée parisienne. Les femmes étaient à cheval; les femmes trainaient des canons; elles portaient des couronnes et des branches de lauriers. Ce fut toute une Odyssée féminine, depuis le départ jusqu'au retour, depuis l'attaque jusqu'au triomphe. Cependant, en remontant des classes inférieures aux classes élevées, l'épopée se changea en satire. La commune et les Orléanistes d'une part, de l'autre les Aristocrates, se livrèrent combat à coups de plume. Nous allons suivre les diverses escarmouches auxquelles il donna lieu.

Le lecteur a vu quel avait été le rôle du duc d'Aiguillon dont on disait :

En homme c'est un lâche, en femme un assassin.

Le duc d'Orléans et son ami Adrien Duport partagèrent tant soit peu le sort de l'homme-poissarde. Le premier, qui avait trempé, disait-on, dans le

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A l'arrivée du roi, ils firent construirent une salle, rue Feydeau, no 19. Ce fut plus tard le théâtre de Monsieur, ou théâtre Feydeau.

Le Château des Tuileries, brochure, par Roussel, homme de loi.

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