Page images
PDF
EPUB

(Août 1792.)

UN SPECTATEUR ACTEUR.

231

A droite, on voit le roi et la famille royale; ils contemplent le dégel de la nation, probablement du haut de la terrasse des Tuileries.

Cette gravure, dont l'allégorie est fort alambiquée, obtint un succès peu commun. Quelle joie, pour les amis du roi, de bafouer ainsi les rêveurs de république! Comme ils riaient en se l'expliquant les uns aux autres ! comme ils se félicitaient de ce que les ambassadeurs étrangers avaient quitté la France!

Quelles grâces ne rendaient-ils pas à l'émigration et au traité de Pilnitz, qui leur donnaient l'espoir de voir toutes les choses rentrer dans l'ordre, et les anciens priviléges revenir, et les factieux perdre toute puissance; en un mot, le soleil monarchique rayonner autant et plus que jamais...!

Mais, qu'ils écoutent Gonchon, l'oraleur des hommes du 10 août, et qu'ils comprennent de quelle façon il veut entretenir dans le peuple la haine des émigrés, des coalisés. « Qu'ils viennent, s'écrie-t-il, relever les murs de la Bastille, ces brigands du nord, ces anthropophages couronnés! Ils ont promis à leurs soldats le sang et le bien des Français; qu'ils entrent dans les sections de la capitale! Si la victoire trahit notre cause, les torches sont prêtes.... Ils ne trouveront que des cendres à recueillir et des ossements à dévorer *. » -Terrible morceau d'éloquence.

Mais, qu'ils passent, ces insensés, devant le château des Tuileries, et qu'ils regardent! Les colonnes sont couvertes de brèches, sur chacune desquelles les vainqueurs du 10 août ont inscrit ces mots :

DIX AOUT.

Et puis, ils ne le savent pas, et ne peuvent le savoir, - un homme était-là, simple témoin du combat qui a renversé le trône de Louis XVI. Cet homme, c'est Napoléon **, qui commence à voir luire son étoile.

Plus tard, après avoir attendu le véritable dégel de la nation, il fera replåtrer les brèches, effacer les inscriptions, et viendra se loger dans la demeure des rois.

Jusqu'alors, suivons les faits; n'oublions pas que Louis XVI est sous clef, que les élections des députés à la convention s'opèrent chaque jour, que la commune a le pouvoir en main, que la royauté est suspendue. pour ne pas dire déchue, et qu'il va lui être substitué un gouvernement not

-

République française.

Extrait d'un discours prononcé le 16 août devant l'Assemblée législative.

Vovez le Mémorial de Sainte-Hélène.

u, la

FIN DU CHAPITRE QUINZIÈME.

232

OFFRES DES PRÊTRES.

(Août 1792.)

CHAPITRE XVI.

Service funèbre en mémoire du 10 août. Le corps de volontaires le vengeur de l'humanité. — Apologie des journalistes jacobins. Visites domiciliaires; emprisonnement d'une foule de suspects. Journées des 2 et 3 septembre; l'exclusif. ·Offrandes à la patric. - Vols dans Paris. — Vol du garde-meuble. — Le pont de Kehl.--Mort de Beaurepaire.-La Convention ouvre ses séances. Un mot sur quelques-uns de ses membres. - Abolition de la royauté, et proclamation de la république. — Accusation portée contre Marat et contre Robespierre. - Le cheval de bois de Thionville. — Détails sur le bombardement de la ville de Lille; félicitations adressées de toutes parts aux Lillois.

Marat, nouvellement nommé, Robespierre et Danton, dominaient la commune actuelle. Elle agit de par eux, et fit, le plus tôt qu'il lui fut possible, célébrer un service funèbre en mémoire des citoyens morts dans la journée du 10 août. Paris s'en préoccupa beaucoup. Plusieurs curés semblaient être disposés à chanter un De Profundis pour le repos des âmes de ces martyrs patriotes; un d'entre eux fit à cet égard une proposition directe; mais on résolut de se passer du ministère des prêtres dans cette circonstance. Il fut répondu au pétitionnaire *: «< Garde tes prières pour les imbéciles qui croient encore aux momeries sacerdotales. Nos frères morts pour la liberté n'ont pas d'excuses à faire à ton bon Dieu, ni de pardon à lui demander. S'il entend son affaire, il aura pour eux des couronnes toutes prêtes, sinon ils sauront s'en passer. Pour nous, nous ne reconnaissons plus d'autre Dieu que la liberté, d'autre culte que celui de l'égalité.

« Vive la nation! et au diable le régiment de la calotte! >>

Les ordonnateurs de la pompe funèbre n'acceptèrent donc pas les offres qui leur étaient faites, et le service fut célébré à la manière antique.

C'était le dimanche 26 août. Une pyramide 'granitique, de style égyptien, avait été construite sur le grand bassin du jardin des Tuileries. Les

* M. Charpentier, curé de la paroisse Saint-Laurent.

(Août 1792.)

SERVICE FUNÈBRE DU 10.

233

quatre faces étaient recouvertes de serge noire, et couronnées, au faîte, d'un drapeau d'étoffe noire aussi. Parmi les inscriptions qui s'y trouvaient, on remarquait celle-ci, vraiment lacédémonienne :

Silence, ils reposent.

L'assemblée législative devait se faire représenter par une nombreuse députation.

Le cortège partit de la maison commune entre cinq et six heures *. Un cordon de soie avait contenu le peuple qui se rassembla en foule sur la place de l'Hôtel-de-Ville pour être témoin des apprêts de la cérémonie.

Une troupe de cavaliers ouvraient la marche; un d'entre eux portait une bannière, sur laquelle on lisait :

Aux manes des citoyens français

Morts pour la défense de la liberté,
La patrie reconnaissante.

Suivait un autre groupe de volontaires à cheval, lesquels portaient dix bannières commémoratives des principales affaires malheureuses dont on accusait la monarchie d'avoir été l'auteur; on lisait:

Massacre de Nanci,

Massacre de Nismes,

Massacre de Montauban,

Massacre d'Avignon,

Massacre de La Chapelle,

Massacre de Carpentras,

Massacre du Champ-de-la-Fédération,

etc., etc., etc.

Des citoyens promenaient l'éternel modèle de la Bastille, sur lequel flottait son ex-drapeau, et quelques autres pris aux Suisses dans la journée du

10 août.

Des femmes vêtues de robes blanches, avec des ceintures noires, portajen tout à côté de la Bastille une arche renfermant la fameuse pétition du Champde-Mars qui avait fait déployer le drapeau rouge, le 17 juillet 1791. Les citoyennes qui l'entouraient invitaient la foule à lire la pétition.

Voyez les Révolutions de Paris, par Prudhomme. C'est le seul journal qui donne des détails circonstanciés

sur cette cérémonie.

234

INSCRIPTIONS.

(Août 1792.

on

Le sarcophage des citoyens morts au massacre de la Saint-Laurent, surnommait ainsi la journée du 10 août,-était entouré de candélabres dans lesquels brûlaient des parfums. Il était traîné par des bœufs, et précédait un groupe de fédérés tenant leurs sabres nus entrelacés de branches de chêne, et faisant flotter dans les airs une bannière sur laquelle on lisait ces inscriptions:

Pleurez épouses, mères et sœurs,

La perte des victimes immolées par les traitres ;
Nous jurons, nous, de les venger.

Une autre bannière disait:

Si les tyrans ont des assassins,
Le peuple a des lois vengeresses.

Venaient ensuite la statue de la loi armée de son glaive, et les juges de tous les tribunaux.

La municipalité marchait devant la statue de la Liberté portée à bras par des gardes nationaux, fiers de leur fardeau, dit Prudhomme. On voyait défiler immédiatement après la commission administrative provisoire, nommée en remplacement du directoire du département, et l'assemblée législative dont le président tenait à la main des couronnes civiques pour être déposées aux pieds de la pyramide funèbre.

Il était presque nuit lorsque le cortége atteignit le Pont-Tournant. Les quatre autels entourant la pyramide flamboyaient. En arrivant, on fit le tour du tombeau, sur lequel on déposa les bannières et les couronnes, tandis que des musiciens exécutaient une marche des morts composée par Gossec, avec des chœurs dont voici le refrain:

Vengeance, vengeance éternelle!

Et partout la mort aux tyrans.

Tout près de là s'élevait une tribune aux harangues; M. J. Chénier y monta, aussitôt le morceau de musique achevé, et prononça un discours fort applaudi à diverses reprises, éloge funèbre des victimes du 10 août. « Hommes généreux, s'écria-t-il avec entraînement, morts pour la liberté dans cette journée mémorable, vous avez été presque tous moissonnés dans la fleur de votre jeunesse! La nature vous devait des années plus nombreuses, et vous deviez être plus longtemps les soutiens de la France, notre mère commune; mais, si vous avez trop peu vécu pour elle, vous avez assez vécu pour la gloire; votre souvenir ne périra point, vos enfants seront des héros comme

« PreviousContinue »