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SUITE DE LA FÊTE.

(Juillet 1793.) rer la pyramide de Marat par toutes les femmes, qui ont déposé leurs guirlandes de chêne sur les piques de la grille qui environne son tombeau.

Le cortège s'est rendu ensuite à l'église de Brou, où les tables étaient dressées, où chaque patriote avait porté son diner, et où les pauvres avaient été invités comme premiers convives.

Là, les épanchements fraternels; là, le président de la société a donné, au nom de tous, le baiser de sans-culotte à un député des sociétés voisines, à un vieillard, à une jeune fille et à un défenseur de la patrie.

Le citoyen D... a proposé de boire à la mémoire de Marat, et l'a porté ainsi :

ATTENTION!

Préparez les urnes,

Versez, et comblez les urnes',

Alignez les urnes.

Laissez fumer l'encens en mémoire de Marat,

Serrez les urnes,

Élevez-les à la grande voûte,

Reportez-les au cœur,

Approchez de la tombe,
Versez des jarmes,
Épuisez vos pleurs,

Alignement.

Reposez l'urne sur le catafalque avec unité et indivisibilité, en trois temps égaux,

Recueillez-vous, sans-culottes, et applaudissez :

Marat est heureux; Marat, notre ami, est mort pour la patrie!

Le repas s'est passé avec ordre, avec joie et saus ivresse. Trois mille citoyens, tant de la ville que de la campagne, embellissaient cette fête.

Au premier signal, les tables ont été enlevées, et la musique et la danse ont succédé à la promenade civique et au festin. La nuit approchait. Le canon annonce le départ, et tous, en bon ordre, se sont rendus à la société, où les bustes de Marat et de Lepelletier ont été placés aux cris de vive la république! vive la montagne! et vive à jamais les sans-culottes! (a) »

A tout prendre, cette fête, quoique de date un peu ultérieure, n'en est pas moins l'expression des regrets causés à une certaine classe d'individus par la mort de Marat. Sous cette exagération politique, il faut voir la situation dans laquelle se trouvaient les esprits. Tant d'honneurs accordés à la mémoire de Marat! Le crime de Charlotte Corday prétendu entrepris à l'instigation des gi

(a) Ce procès-verbal a été rédigé par le maire lui-même. Il peut être considéré comme style libre et montagnard.

un modèle de

(Juillet 1793.)

JÉSUS ET MARAT.

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rondins! Toutes les sociétés populaires des moindres villages qui s'empressent aussitôt de montrer leur haine pour le fédéralisme et leur amour de l'unité et de l'indivisibilité !

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Tout cela ne veut-il pas dire que ceront la perte des girondins?

la mort de Chalier et celle de Marat avan

Chaque jour la montagne s'élevait plus menaçante. Le 26, un décret déclara crime capital l'accaparement des grains, pain, viande, toiles, etc.; et, le 27, Robespierre fut élu membre du comité de salut public. Marat assassiné, Robespierre venait à sa place, et suivait ses principes à quelques modifications près. Comme ennemi. implacable de la gironde, néanmoins, son ardeur était la même. Il allait agir d'autant plus vigoureusement que les affaires de la guerre étaient loin d'être satisfaisantes, et qu'en moins de cinq jours les villes de Mayence et Valenciennes s'étaient rendues, la première aux Prussiens, la seconde à l'Autriche, après avoir résisté, mais vainement.

L'apothéose de Marat n'était pas une exagération aux yeux de tous. Ceux qui avaient applaudi à son triomphe pendant sa vie, l'appelaient dieu après sa mort; et ceux qui avaient critiqué Marat porté à la convention s'indignaient même qu'on osât le comparer à Jésus. Voyez ce qu'on lit dans les Révolutions de Paris (b), rendant compte de la fête funèbre : « Marat n'est pas fait pour étre comparé avec Jésus, cet homme fit naître la superstition, il défendait les rois, et Marat eut le courage de les écraser. Il ne faut jamais parler de ce Jésus, ce sont des sottises. Des germes de fanatisme et toutes ces fadaises ont mutilé

a) La Bassée est un gros bourg de Flandre, dans le département du Nord.

b) Les réflexions de Prudhomme sur le triomphe de Marat se trouvent à la page 304 de ce volume.

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DE MARAT ET DE ROBESPIERRE.

(Juillet 1793.)

la liberté dès son berceau; la philosophie seule doit être le guide des réptblicains; ils n'ont d'autre Dieu que la liberté. »

-

Marat était le roi du peuple; Robespierre eut après lui ce trône, aussi chancelant que celui des rois, quand l'autorité de celui qui y monte n'est pas guidée par la sagesse et le raisonnement. Ces deux hommes nous semblent avoir fait ombre à la souveraineté du peuple, en immolant toute chose et tout individu, je ne dirai pas à leur ambition personnelle, cela fait question, — mais à leur propre opinion, selon eux la seule bonne et exclusivement patriotique. Dans une république, les hommes doivent s'effacer devant la raison des masses intelligentes, et c'est parce que Marat, et Robespierre notamment, n'ont pas su le comprendre, qu'ils sont devenus les rois du peuple. tandis qu'ils auraient dû se faire les serviteurs de ses intérêts A quoi avait servi de nier la volonté suprême du monarque, s'il fallait qu'on obéît à la volonté suprême d'un chef de parti? Qu'était-ce, avec eux, que la convention? La convention, cependant, pouvait être regardée comme la véritable expression du peuple; et, en voulant la soumettre à leurs volontés, Robespierre et Marat devenaient despotes.

Mais ces quelques considérations trouveront plus tard à se développer plus largement, lorsque nous examinerons le système terroriste.

FIN DU CHAPITRE VINGTIÈME.

(Août 1793.)

MARCHE DE LA RÉVOLUTION.

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CHAPITRE XXI.

Une carmagnole de Barrère. république.

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Pièces de théâtre jouées aux frais de la
Création de l'armée
Impromptu sur sa mort. —

Fête de l'unité et de l'indivisibilité.— Le fédéralisme terrassé. révolutionnaire, et loi des suspects. Jugement de la veuve Capet. Siege de la ville de Lyon.

Écoutez Barrère, il va vous faire connaître la marche qu'a faite la révolution depuis une année, dans la Carmagnole a), prononcée le 1er août 1793, à la convention. « Le 10 août, le canon ouvrit la route. Le 21 septembre, marqua sa naissance et sa destinée par la proclamation de la République. Le 21 janvier 1793, la république, proclamée, s'affermit par la mort du tyran. Le 2 juin l'horizon politique, surchargé des vapeurs du fédéralisme et de l'anarchie royale, s'éclaircit; la foudre populaire frappa quelques têtes orgueilleuses, et paralysa des mains intrigantes. Le 23 juin, la république fut constituée, et les espérances du peuple s'attachèrent à l'arche sainte de l'alliance des départements et de la fraternité des Français à la constitution (b). »

Barrère prenait rang parmi les plus actifs montagnards. L'Angleterre se faisait l'implacable ennemie de la France, il la dénonça. Sept jours plus tard, la convention déclara Pitt, ministre anglais, ennemi du genre humain (c). C'est alors, qu'immolant tout aux nécessités de la guerre elle déclara que toutes les académies, toutes les sociétés scientifiques ou littér aires, patentées ou dotées par la nation, seraient supprimées. Elle traduisit Marie-Antoinette devant le tribunal révolutionnaire, et annonça que le 10 août prochain les tombeaux

(a) On donnait ce nom aux discours ou aux rapports de Barrère, parce qu'il les faisait flamboyants. (b) Extrait du rapport de Barrère au nom du comité de salut public. (c) Mirabeau l'avait autrefois appelé le ministre des préparatifs.

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FÊTE DU 10 AOUT.

Août 1793.)

et mausolées des ci-devant rois, déposés dans l'église de Saint-Denis, seraient détruits. Au contraire, à dater du 4 de ce mois, sur les théâtres désignés par la municipalité, les directeurs furent tenus de représenter, trois fois par semaine, Brutus, Caïus Gracchus, Guillaume Tell, et autres pièces de ce genre, « capables d'entretenir, dans les cœurs l'amour de la liberté et du républicanisme. » Une fois par semaine, l'une d'elles devait être jouée aux frais de la république.

Or, le 10 août 1792, on avait profané la royauté vivante dans son palais : le 10 août 1793, on viola la royauté morte dans ses tombeaux. Le peuple courut à Saint-Denis disperser les os de toute la lignée des rois de France; il inaugura la statue de la liberté républicaine, et célébra la fête de l'unité et de l'indivisibilité de la république, dont le peintre David fut l'ordonnateur.

Les assemblées primaires, qui avaient été appelées pour célébrer le 14 juillet dernier, l'acceptation de la constitution de 93, durent apporter le procèsverbal de cette acceptation. Le 10, de grand matin, on se réunit sur l'emplacement de la Bastille. Au milieu des ruines s'élevait la fontaine de la régénération. Elle se composait d'une statue colossale en plâtre, assise, représentant la nature, pressant de ses mains ses mamelles d'où sortaient deux jets tombant dans un vaste bassin. Les commissaires envoyés par tous les départements, y puisèrent tour à tour avec une coupe d'agate, et buren tous dans la même coupe, au bruit des canons et aux accents d'une musique éclatante, de cette eau régénératrice, en invoquant dans leur enthousiasme la sainte vertu de la fraternité. Sur la base de la statue avait été gravée cette phrase: Nous sommes tous ses enfants.

Sur les ruines de la forteresse il y avait des inscriptions relatives à la Bastille. Sur une pierre on lisait : Il y a quarante-quatre ans que je meurs; Sur une autre: La vertu conduisait ici;

Ou: Le corrupteur de ma femme m'a plongé dans les cachots;

Ou: Je ne dors plus;

Plus loin, enfin: Mes enfants! Oh! mes enfants (a)!

Sur la place de la défunte Bastille était la première station; la deuxième se fit sur le boulevard l'oissonnière, où un arc-de-triomphe avait été élevé à la mémoire des braves citoyennes des 5 et 6 octobre. A la station troisième vers la place de la Révolution, en face de la statue de la Liberté, on brùla tous les ornements et tous les attributs de la royauté. La quatrième halte eut lieu dans l'avenue des Invalides. Sur un piédestal s'élevait une haute statue, représentant le peuple français armé d'une massue, et faisant rentrer le fédéralisme dans son marais fangeux.

(a) Procès-verbal de monuments, de la marche et des discours de la fête consacré, à l'in sugaritian de la répu' lique française, ote,

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