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LA GRAVITATION

DANS LES SYSTÈMES STELLAIRES

Il y a plus d'un siècle qu'un géomètre, aussi fameux dans le monde savant, par la profondeur de ses conceptions que par l'originalité de ses vues, écrivait ces lignes :

<< La loi de l'attraction, qui étend son empire sur tout ce qui est matériel, ne souffre point dans l'univers de repos absolu : il y a du mouvement partout; tous les corps gravitent les uns vers les autres; tous les rouages de cette grande machine, se meuvent on n'y connaît point de masses mortes et inutiles. L'univers est un tout, dont les parties ou les divers systèmes ne font qu'un système. Mais ces parties ou ces systèmes ne sauraient être liés que par leur action et réaction réciproque, dont le mouvement est une suite nécessaire1. >> Soixante-dix ans plus tard, les prévisions théoriques de Lambert étaient confirmées par les calculs d'un autre astronome français, Savary, qui eut la gloire de déterminer le premier la nature de l'orbite que les composantes des étoiles doubles décrivent autour de leur centre commun de gravité.

Dans cet intervalle de moins d'un siècle, pendant que la théorie de la gravitation dans notre monde solaire, accomplissait, sous l'impulsion des d'Alembert, des Laplace et des Lagrange, ses derniers et ses plus importants progrès, l'astronomie sidérale, grâce aux immenses travaux de laborieux observateurs, sortait de la phase des hypothèses et des tâtonnements pour entrer décidément dans la période positive. C'est l'histoire de ce développement que nous nous proposons de passer rapidement en revue dans cette étude, en nous attachant plus particulièrement aux découvertes qui ont permis d'étendre aux systèmes stellaires les lois des mouvements qu'exécutent les corps de notre propre système. L'importance philosophique d'une telle extension ne peut échapper à personne. Mais les progrès de l'astronomie dans cette direction n'eussent-ils pour résultat que de satisfaire cet

1. Lambert, Lettres cosmologiques sur l'arrangement de l'univers. 1761. Augsbourg,

insatiable besoin de curiosité, qui est la source de nos plus pures jouissances, cela suffirait, pensons-nous, à légitimer l'intérêt du sujet que nous allons traiter.

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Quand on examine à l'œil nu, et par une belle nuit, ce qu'on est convenu d'appeler la voûte céleste, la multitude de points brillants dont elle est parsemée semble jetée au hasard, sans ordre apparent sur la surface de cette voûte.

Tout au plus, distingue-t-on quelques groupes où la condensation des étoiles qui les composent peut être regardée comme l'indice d'une liaison systématique. Tels sont, dans notre ciel boréal, les groupes des Pléiades, des Hyades et du Cancer; et dans l'hémisphère austral, les nuages magellaniques et l'amas du Toucan. Une grande traînée lumineuse, il est vrai, la Voie Lactée, dans laquelle scintille une quantité innombrable de fort petites étoiles, tranche sur le tout, et laisse entrevoir un ordre particulier, un arrangement d'une nature toute spéciale.

Examinée à l'aide d'une lunette d'un grossissement moyen, chaque étoile apparaît comme un simple point, sans dimensions appréciables, et ne différant des autres étoiles que par l'intensité plus ou moins grande de sa lumière, ou par la nuance de sa couleur propre. La prodigieuse distance à laquelle ces astres se trouvent de nous, les a fait assimiler depuis longtemps à autant de soleils, brillant de leur propre lumière, et qui sont, probablement, les centres d'autant de systèmes de planètes qui se meuvent autour de chacun d'eux. Mais il nous faudra renoncer, sans doute, à tout jamais, quels que soient les perfectionnements des instruments d'optique, à nous assurer directement de l'existence des corps obscurs auxquels nous venons de faire allusion. La lumière réfléchie qu'ils nous envoient des profondeurs de l'espace est et sera toujours trop faible, pour produire sur notre rétine une impression perceptible à nos sens.

Si donc, l'univers n'était composé que de mondes semblables au nôtre, c'est-à-dire comprenant autour d'un astre unique, lumineux par lui-même, une série de corps obscurs dont les mouvements sont liés au corps central par des dépendances réciproques, il eût été impossible de connaître les lois des autres systèmes. L'identité de ces lois avec celles qui régissent notre monde planétaire, l'universalité

de la gravitation auraient pu être posées par quelque hardi généralisateur1; mais, privées de la sanction de l'observation et du calcul, elles seraient à jamais restées dans le champ des hypothèses.

Heureusement, il n'en est rien. Grâce au progrès de l'optique et aux admirables instruments qui ont centuplé la puissance et la netteté de la vue de l'homme, l'observation a mis hors de doute l'existence de nombreux systèmes, plus variés que le nôtre, composés soit de deux, soit même de plusieurs soleils, dont la lumière directe arrive jusqu'à nous, séparée par le télescope en autant de points lumineux. En un mot, parmi ces innombrables soleils que nous présente la voûte céleste, et que la vue simple ou une lunette d'une puissance insuffisante nous fait voir comme autant d'étoiles uniques, il en est un grand nombre qui, en réalité, se composent de deux, trois ou quatre, et même de six étoiles distinctes.

C'est du milieu du dix-huitième siècle que datent les premières observations d'étoiles doubles. A la rigueur, on pourrait faire remonter cette découverte à Galilée mais les couples d'étoiles que le grand astronome a signalés ne sont évidemment pas de vraies étoiles doubles, mais bien des couples optiques, c'est-à-dire formés de points. lumineux rapprochés par un simple effet de perspective.

Ceci nous amène à faire dès maintenant une distinction fondamentale. Les astronomes appellent étoiles doubles optiques, ou encore couples optiques, les étoiles qui se trouvent groupées de la sorte par l'effet de leur projection apparente sur le plan perpendiculaire au rayon visuel, ou encore, mais alors provisoirement, aux groupes dont la dépendance n'a pas été encore démontrée. Ils nomment, au contraire, couples physiques les étoiles doubles dont les composantes forment un système réel : nous dirons plus loin à quels caractères on reconnaît les couples physiques.

Un mot du nombre des étoiles doubles actuellement connues.

Vers 1750, on connaissait à peine 20 étoiles doubles Kirch, Bradley, Flamsteed, Tobie Mayer ont attaché leurs noms à ces premières et importantes découvertes, dont le nombre s'accrut depuis rapidement. Parmi ces premiers couples, se trouvent deux étoiles fameuses dans les fastes de l'astronomie : la 61° de la constellation du Cygne et Alpha du Centaure, dont les distances à notre monde solaire, récemment calculées, ont fourni les premiers éléments certains des effrayantes dimensions de l'univers visible 2.

1. Elles l'ont été en effet, non seulement par Lambert, mais par Kant, par Michell et par Christian Mayer.

2. Alpha du Centaure est la plus voisine des étoiles dont la distance à

Vint ensuite Christian Mayer, qui soupçonna la nature des relations qui lient les étoiles composantes de chaque groupe : il publia un catalogue de 80 étoiles doubles. C'est alors que William Herschel, appliquant à ce sujet intéressant ses brillantes facultés d'observation, non moins puissantes que ses instruments, consacra vingt-cinq années à la détermination de plus de 800 couples, dont il publia le catalogue général en 1804. Les deux Struve, Bessel, Argelander, Encke et Galle, Preuss et Modler ont, peu à peu, recensé les étoiles doubles du ciel visible en Europe, pendant que le digne fils de l'illustre astronome de Slough, sir John Herschel, explorait l'hémisphère austral, au cap de Bonne-Espérance.

Aujourd'hui, le nombre total des étoiles doubles cataloguées s'élève à environ 6,000. Mais tout fait présumer que ce nombre ira croissant encore, soit qu'on soumette à un nouvel examen des étoiles déjà recensées et regardées jusqu'ici comme simples, soit que l'observation embrasse de nouvelles étoiles.

Pour donner une idée de la quantité de soleils doubles que peut contenir en moyenne un nombre donné d'étoiles quelconques, citons le catalogue publié par Struve en 1837. Il renferme 2,787 de ces couples, obtenus par l'exàmen minutieux d'environ 120,000 étoiles. On le voit, c'est à fort peu près 1 couple par 40 étoiles.

On a compris sans doute que la résolution, le dédoublement d'un point lumineux, paraissant unique à la vue ordinaire ou à l'aide d'une lunette d'un faible grossissement, que cette sorte de résolution, dis-je, en deux ou trois points distincts est obtenue par l'emploi d'instruments d'une grande ouverture, et dont les miroirs et les objectifs sont construits avec une grande précision. Ces instruments, concentrant à leur foyer optique une grande quantité de lumière, s'ils donnent en même temps des images très-nettes des objets observés, permettront par cela même l'emploi de grossissements plus considérables.

Il est des étoiles dont le dédoublement est extrêmement difficile, d'autres qui cèdent aux instruments de moyenne puissance. La raison de cette différence est facile à saisir. La distance apparente des deux composantes est, en effet, fort variable suivant les groupes. Aussi les astronomes en ont-ils fait des classes rangées par ordre de distances croissantes, depuis 1" d'arc jusqu'à 32′′1. Au delà, deux étoiles voinotre système ait pu être mesurée. Cette distance est égale à 200,000 fois le rayon moyen de l'orbite terrestre. La 61° du Cygne vient ensuite dans l'ordre des distances, trois fois plus éloignée que la première. On sait qu'à raison de 300,000 kilomètres par seconde, la lumière mettrait neuf années à franchir le dernier de ces intervalles.

1. On entend ici par distance l'écartement angulaire des deux rayons vi

sines ne peuvent plus être, à proprement parler, considérées comme des étoiles doubles. Déjà, en effet, un angle de 32", vu de la Terre à la distance minimum qui nous sépare des étoiles, correspond à un éloignement réel entre les deux étoiles d'environ 32 fois le rayon moyen de l'orbite terrestre, ou, si l'on veut, d'un milliard cent millions de lieues de 4 kilomètres. Il n'est pas rigoureusement impossible cependant, que des couples physiques aient leurs composantes beaucoup plus éloignées encore.

Parmi les étoiles très-difficiles à dédoubler, les astronomes citent Epsilon du Bélier, Hèta d'Hercule et Tau du Serpentaire. Aussi servent-elles à juger du degré d'efficacité des instruments: ce sont, suivant une pittoresque expression de John Herschel, empruntée au langage des chimistes, « d'excellents réactifs pour l'essai des télescopes. »

Nous n'avons jusqu'ici parlé que des étoiles doubles; mais on connaît aussi un certain nombre de groupes triples et quadruples. Le plus curieux échantillon de ces systèmes de soleils est, sans contredit, l'étoile Thêta de la splendide constellation d'Orion. Examinée avec les plus puissants télescopes, elle se résout en quatre étoiles principales d'inégal éclat, rangées en forme de trapèze : deux de celles-ci sont elles-mêmes accompagnées d'étoiles très-petites et excessivement rapprochées. Voilà donc un soleil sextuple, ou plutôt un système de six soleils, groupés dans un espace qui ne laisse voir au premier aspect qu'une simple étoile de quatrième grandeur.

Les composantes des étoiles doubles et multiples n'ont pas été rangées seulement par ordre de distances apparentes, comme nous l'avons vu plus haut. Les astronomes les ont aussi distinguées d'après leurs couleurs et d'après le degré de leurs colorations. Sur 600 couples examinés par Struve, sous ces deux points de vue, il en a trouvé 375 dont les deux composantes ont à la fois même couleur au même degré d'intensité; 101 couples ont la même teinte sans avoir la même intensité; 120 different complétement de couleurs.

Mais passons rapidement sur l'intéressante question des couleurs des étoiles doubles, où l'on rencontre les nuances les plus diverses,

suels qui, de l'œil de l'observateur, aboutissent aux deux étoiles composantes d'un groupe. Quant à la distance réelle, exprimée, je suppose, en lieues, elle dépend à la fois, et de cet écartement angulaire, et de l'inclinaison sous laquelle nous voyons la ligne droite qui les unit, et enfin de la distance vraie qui nous sépare du système. On verra plus loin qu'il est un certain nombre de couples pour lesquels ces éléments sont, aujourd'hui, approximativement connus.

Tome XIII.

50° Livraison.

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