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CHAPITRE II.

Origine et nature des capitulations.

bles

En présence de principes religieux aussi inflexique ceux dont il vient d'être parlé, les navires et les sujets de la nation des infidèles n'auraient pas osé se montrer dans les pays mahométans, soit dans un but commercial, soit pour un autre motif, s'ils n'avaient préalablement obtenu des garanties contre tout acte d'hostilité et de violence. Partout ailleurs, dans la chrétienté surtout, un étranger peut voyager librement sous la sauvegarde du droit commun; chez les mahométans, au contraire, un étranger est un ennemi, et nul ne peut se présenter en pays ennemi sans un saufconduit. Voilà pourquoi les premiers marchands européens qui ont voulu tenter les chances du commerce dans les pays soumis à l'islamisme ont dû se faire concéder un traitement exceptionnel et des priviléges d'abord personnels, mais étendus ensuite à la nation tout entière. Telle est l'origine des capitulations.

Dans l'acception de ce mot particulière au Levant, les capitulations sont des diplômes impé

riaux, des lettres de priviléges, octroyés par la Porte ottomane à diverses nations européennes, pour autoriser leurs sujets à entrer librement dans les pays mahométans, et à s'y livrer paisiblement à leurs affaires ou aux pratiques de leur culte. Elles different essentiellernent des traités, et la confusion qu'on a faite à cet égard, en plus d'une occasion, a préjudicié à notre bon droit en jetant une nouvelle obscurité sur des questions déjà difficiles et mal définies. Les traités sont des actes synallagmatiques débattus contradictoirement entre les parties, et acceptés par elles, moyennant des avantages et des concessions réciproques qui obligent les contractants, de telle sorte que l'un d'eux ne peut ni en révoquer ni en modifier les stipulations, de son autorité privée, sans violer la foi jurée, et sans appeler sur lui les dangers d'une agression légitime. Les capitulations, au contraire, lettres de concessions et de priviléges, sont des actes où ne figure qu'une seule partie, un seul gouvernement; de là leur caractère de révocabilité. Il a plu à la Porte ottomane, tantôt d'octroyer certains priviléges à des sujets étrangers, tantôt de les étendre à d'autres nations, de manière à rendre nulles et illusoires les faveurs accordées aux premiers; tantôt enfin, agissant dans la plénitude de son droit barbare, elle a, de fait, révoqué ces priviléges en refusant d'en continuer l'application. Les nations dépossédées criaient alors contre cette violation des capitula

tions; et la Porte, de son côté, s'étonnait fort de voir des puissances qui se disaient plus éclairées qu'elle confondre avec les traités obligatoires des concessions purement gracieuses. Quelque réponse qu'on eût pu faire à cette argumentation, toujours est-il que les capitulations, actes unilatéraux, avaient réellement cette condition implite de révocabilité qui les rendait fort insuffisantes pour sauvegarder les droits et les intérêts des étrangers dans les États mahométans. De là, ces questions toujours agitées et jamais résolues, ces plaintes souvent accueillies, mais rarement satisfaites; ces querelles d'ambassadeurs, et ce prodigieux échange de notes et de firmans contradictoires que chaque règne voyait se renouveler. Et cet état de choses a duré pour nous pendant près de trois cents ans, depuis l'année 1507, date de nos premières capitulations connues, jusqu'en 1802, époque à laquelle le gouvernement français songea enfin à faire de l'existence et du maintien des capitulations l'objet d'un article de traité, et à leur donner ainsi le caractère des clauses obligatoires. La Russie, qui n'est entrée que plusieurs siècles après la France dans la voie des relations internationales avec la Porte, l'avait précédée cependant pour cette garantie essentielle à donner à des capitulations dont elle avait obtenu le bénéfice par droit d'assimilation : il est question, en effet, des capitulations au profit des sujets russes dans le traité de Kaïnardgi, de 1774 (art. x1).

Ce fut après la paix de Belgrade (1739) que le marquis de Villeneuve, ambassadeur de France à Constantinople, profitant du crédit que lui assurait la part active qu'il avait prise aux négociations, fit renouveler et confirmer les anciennes capitulations obtenues par les rois de France. C'est cette compilation des capitulations de 1535, de 1604 et de 1673, augmentées de nouvelles concessions obtenues par le marquis de Villeneuve, qu'on désigne ordinairement, mais improprement, sous le nom de traité de 1740. Les capitulations accordées à des puissances étrangères ne sont pas accompagnées d'une traduction en regard; et cette circonstance avait donné lieu, de la part de nos nationaux, à plus d'une méprise fâcheuse. Frappé de cet inconvénient, le comte de Vergennes, ambassadeur à Constantinople, en fit faire une traduction officielle, qui a été imprimée sous le titre suivant: Capitulations ou traités anciens et nouveaux entre la cour de France et la Porte Ottomane, renouvelés et augmentés l'an de JésusChrist 1740 et de l'hégire 1153; traduits à Constantinople par le sieur Deval, secrétaire interprète du roi et de son premier drogman à la cour ottomane. 1761 1. Le traducteur a numéroté les articles qui, dans le texte original, ne sont séparés que par trois points en or.

Les capitulations de 1740 comprennent quatre

Voir aux annexes le texte des Capitulations.

vingt-cinq articles: les numéros à 16 forment les anciennes capitulations, obtenues depuis l'année 1535 (Soliman le Grand et François 1er); les articles 17 à 31 sont le renouvellement et les additions de l'an 1604 (Ahmed Ier et Henri IV); les articles 32 à 42 comprennent le renouvellement et les additions de l'an 1673 (Moustapha II et Louis XIV); enfin les articles 43 à 85 constituent les additions de 1740 (Mahmoud Ier et Louis XV). Sur ce nombre de quatre-vingt-cinq articles, il en est dix qui ont trait à la question des lieux saints et du protectorat de la France; ce sont ceux qui portent les numéros 29, 32 à 36, 82 à 84.

L'article 1er est ainsi conçu :

« L'on n'inquiétera point les Français qui iront << et viendront pour visiter Jérusalem, de même << que les religieux qui sont dans l'église du Saint« Sépulcre, dite Kamama 1. »

L'article 29 étend aux Français le bénéfice des capitulations accordées aux Vénitiens.

Par l'article 32, il est permis aux sujets des nations ennemies qui n'ont point d'ambassadeurs accrédités à Constantinople, d'aller et venir librement, de trafiquer, et de visiter les lieux saints, pourvu que ce soit sous la bannière

Le mot autrefois employé était Qyamet, qui signifie résurrection. Les Turcs l'ont remplacé par le mot Kamama, ce qui constitue une grossière injure à notre foi et à notre honneur, ce mot équivalant à l'expression française ordures ou immondices.

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