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encore, semblaient prêtes à s'engloutir dans le sein de l'Empire '.

Cependant cette alliance d'une puissance européenne avec l'empire ottoman ne pouvait manquer d'influer sur la situation des chrétiens appelés à vivre sous la domination des musulmans; car l'union avec un prince de la chrétienté, c'était, pour le chef des croyants, l'obligation d'accorder à des infidèles, sujets de son allié, l'autorisation d'aller et venir librement dans ses États, d'y commercer, d'y séjourner, d'y observer les pratiques de leur culte, et par conséquent d'y entretenir leurs anciennes églises état de choses qui constituait à la fois un droit et un devoir qu'on a réunis de nos jours sous l'acception unique de protectorat.

A partir de ce moment, les rois de France, les padischahs de la chrétienté, comme les appellent les Orientaux, prêtèrent généreusement l'abri de leur pavillon aux vaisseaux de

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!·Comparez:

DUMONT, Corps universel diplomatique;

KOCH, Abrégé de l'histoire des traités de paix;

Ernest CHARRIÈRE, Introduction à l'histoire des négociations de la France dans le Levant (savant ouvrage et le plus complet qui ait été écrit sur cette matière).

toutes les nations amies qui naviguaient dans les mers du Levant, et notamment aux navires. anglais, hollandais et espagnols; ils couvrirent de leur protection les pèlerins et les marchands chrétiens qui se rendaient aux lieux saints. Arrivés après les Vénitiens, que des spéculations purement commerciales avaient attirés de longue date dans les ports de l'empire ottoman, les rois de France prirent immé-diatement et sans contestation le premier rang: leurs ambassadeurs à Constantinople, qu'ils avaient soin de choisir toujours parmi leurs hommes d'État les plus distingués, et leurs consuls dans les échelles du Levant et de la Barbarie, avaient, de droit, la préséance sur les envoyés de même rang appartenant aux autres puissances. Le commerce de la France avec l'empire ottoman acquit une immense importance, et Marseille devint, grâce à ce développement, le premier port de la Méditerranée. Le nom de la France était alors redouté à Constantinople, béni dans le Liban et la Syrie, où s'élevaient de toutes parts des. églises et des monastères fondés par la munis ficence de nos padischahs. Partout il était respecté, ce nom, comme un symbole de grandeur, de justice et de probité; car nul surjet

de la France, à cette époque, ne recevait de son souverain l'autorisation d'aller s'établir dans le Levant qu'à la condition d'apporter les témoignages de sa bonne conduite passée, et de déposer un cautionnement à la chambre de commerce de Marseille. On était enfin si bien habitué dans l'empire ottoman à considérer les rois de France comme les protecteurs-nés et les arbitres de la chrétienté tout entière qu'aujourd'hui encore, comme dans l'origine, les musulmans donnent le nom de Francs à tous les chrétiens, sans distinction de nation. Ce protectorat, dont la France, de l'aveu de tous, faisait un si noble usage, a été longtemps accepté par les nations chrétiennes comme un bienfait providentiel; mais le moment devait venir où les rivalités nationales, cachées derrière le voile troué des dissidences religieuses, lui disputeraient cette glorieuse et salutaire tradition de trois siècles et de douze règnes. En France même, la grandeur de cette question s'est singulièrement amoindrie sous les préoccupations de la politique intérieure. Beaucoup ne veulent y voir qu'une querelle de moines pour des couvents ruinés, et demandent s'il est bien digne de la France d'accepter une situation sans issue et un dan

ger permanent pour une cause en apparence si futile; mais ceux-là oublient certainement que cette question du protectorat est à la fois le suprême espoir de notre influence dans les affaires d'Orient, et, par une conséquence rigoureuse, la dernière garantie donnée à ce système d'équilibre européen que la diplomatie française a créé avec tant de peine et, disons-le, avec tant de gloire. Quand ce système tombera, l'inconnu se lèvera pour nous comme pour nos rivaux, et nul ne saurait dire ce que telle ou telle nation y pourra perdre ou ce qu'elle y gagnera. En présence d'une pareille éventualité, ce n'est pas entreprendre un travail stérile que d'éclaircir une question grave, mais confuse, sur laquelle on dispute beaucoup sans la bien connaître. Il en est quelquefois des peuples comme des individus qui se querellent : les éclairer, c'est les calmer. Étudier la question du protectorat et la faire connaître, puisqu'on en parle, avec la pensée d'en indiquer la meilleure solution possible, mais uniquement pour en dissiper l'obscurité et la placer sur son véritable terrain, c'est travailler au profit de ceux qu'elle intéresse de près ou de loin.

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LIVRE PREMIER.

NOTIONS GÉNÉRALES.

CHAPITRE I.

Nature des rapports de la chrétienté avec la Porte Ottomane.

On comprend mal, généralement, la nature des rapports de l'Europe chrétienne avec la Porte Ottomane, parce qu'on ignore ou qu'on oublie la doctrine fondamentale de l'islamisme.

La loi de Mahomet, code politique autant que religieux, ne reconnaît dans le monde entier que deux nations: la nation des fidèles et la nation des infidèles. La première comprend tous les peuples qui ont embrassé la religion prêchée par Mahomet, les vrais croyants, en quelque lieu de la terre qu'ils habitent. A la vérité, les événements politiques ont imposé à la Porte Ottomane la nécessité d'accepter pour sujets quelques infidèles ou giaours endurcis; ceux-là sont appelés raïas. Les raïas sont tous les sujets de la Porte qui professent une religion étrangère; ils ont droit à l'assistance et

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